Comment une relation humaine entre le dirigeant et ses salariés peut-elle fonctionner sans que s’installe nécessairement un rapport de forces ? Marianne Olivier, DRH et directrice de l’expérience client chez Cultura, a apporté des éléments de réponses aux jeunes dirigeants qui ont participé au séminaire à Malte. Après une expérience comme manager à la SNCF, elle a entrepris un chemin de reconversion pour accompagner les dirigeants et managers. Elle s’est notamment intéressée à la notion d’« entreprise libérée », un temps à la mode, notamment en travaillant avec GT Location, qui s’est inspiré de ce mode de management. Pour Marianne Olivier, la relation humaine au travail se définit à trois niveaux, entre lesquels le dirigeant doit être capable de naviguer. La tête est la « zone froide » : le dirigeant partage les faits, les chiffres, sans dire qui il est. C’est ce que l’on apprend qui ressort. Vient ensuite le cœur, soit la « zone tiède », qui regroupe les ressentis et les émotions. Dans cette partie, l’humain commence à s’insérer en disant ses émotions. La « zone chaude », le socle, comporte les valeurs, l’essentiel de ce qui nous anime. C’est cette partie qui donne l’énergie d’aller travailler. Passer d’un niveau à l’autre permet au dirigeant d’être suffisamment lisible par ses employés pour savoir si tout va bien : « Un bon manager doit être prévisible », indique Marianne Olivier.
Les dirigeants, qui se sont inscrits aux trois jours de séminaire, étaient à la recherche d’une clé supplémentaire dans leurs méthodes de management. Plusieurs relations problématiques se sont déjà posées dans leur entreprise. Placer un filtre dans la relation avec ses salariés apparaît important pour tous : « Tous les jours, quelqu’un a un bobo, rapporte l’un des jeunes chefs d’entreprise. Pourtant, nous devons nous montrer positifs. » Mais, pour autant, se montrer trop distant avec ses salariés peut conduire le dirigeant à manquer certaines informations capitales pour l’entreprise. « Être humain, c’est aussi accepter d’être parfois de mauvaise humeur », souligne Marianne Olivier. Pour qu’il y ait relation avec les salariés, il faut créer un lien. « Quand le tuyau est là, tout pourra être dit, sans qu’il y ait besoin de curseur, précise la consultante. Il est important de créer un lien avec les représentants syndicaux en période calme. » Attention toutefois à ne pas tomber dans la relation opposée, en ne marquant pas la différence avec ses salariés, lesquels considèrent alors le dirigeant, pourtant supérieur hiérarchique, comme un simple collègue. « Je leur fais confiance et leur demande de l’autonomie, indique ainsi un jeune dirigeant qui emploie cinq salariés. Mais ils prennent parfois trop de responsabilités et mes messages ne sont pas toujours appliqués. » Dans ce cas de figure, « les salariés renvoient à l’image d’un homme qui veut être comme les autres », souligne Marianne Olivier.
La relation de confiance apparaît également difficile pour les participants, comme pour ce dirigeant qui estime ne pouvoir accorder sa confiance qu’à un seul des 36 salariés qu’il emploie. Un sentiment renforcé par le contexte de pénurie de conducteurs actuel : « Ils sont aujourd’hui en position de force », précise-t-il.
Une autre tendance est rapportée par les jeunes transporteurs : les salariés leur reprochent souvent un manque de reconnaissance. « Chaque relation nous ramène à nous-mêmes, à des parts de nous qui viennent de l’enfance, explique Marianne Olivier. Dans le cas du manque de reconnaissance, des figures d’autorité sont projetées sur le dirigeant ou le manager. Mais vous n’êtes pas le père du salarié. Grandir, c’est prendre ses responsabilités. » Le dirigeant est le gardien des règles du jeu : « Vous décidez et déterminez les valeurs sur lesquelles vous ne transigerez pas. Si vous dites que tel comportement est inadmissible, vous protégez ainsi le collectif. » Un outil d’approche de communication entre personnes permet de déceler un jeu psychologique qui apparaît souvent au sein des entreprises : le « triangle dramatique ». Il fait apparaître trois rôles : le bourreau, qui contrôle par la domination ; la victime, qui tient son pouvoir de la relation par des plaintes répétitives ; et le sauveur, qui dit rarement non et a l’impression que le monde ne peut s’en sortir sans lui. Dans cette relation, un jeu de codépendance apparaît et les rôles peuvent tourner. « Le bourreau se cherche une victime qui cherche de son côté un bourreau, explique Marianne Olivier. La victime se plaint. Malgré l’intervention du sauveur, aucune solution n’apparaît. La victime peut alors devenir bourreau à son tour. » Lorsque des événements répétitifs se font sentir dans une relation humaine, il faut sortir du jeu, souligne-t-elle. La seule solution de sortie pour le dirigeant est de travailler sur les zones de responsabilité. « Le dirigeant peut ainsi ramener un salarié qui apparaît comme un profil de victime à sa zone de responsabilité, par exemple en lui demandant ce qu’il a mis en place de son côté pour que la situation change », souligne Marianne Olivier.
Les échanges tendus, voire conflictuels, avec les salariés peuvent parfois mener à des moments compliqués pour le dirigeant. Quelle attitude adopter pour trouver la porte de sortie qui conviendra aux trois parties, le dirigeant, le salarié et l’entreprise ? Une certitude, selon Marianne Olivier : la meilleure attitude à observer n’est pas d’aller au rapport de forces, mais bien de « lâcher l’affaire ». « Plus vous renoncez au rapport de forces, plus la personne va s’épuiser, faute de combat à mener », souligne la consultante. À ses yeux, il est plus judicieux à cet instant, pour l’entreprise, d’apporter de la reconnaissance au salarié plutôt que d’aller à la bagarre. Pas facile à admettre, mais Marianne pense que le dirigeant ne doit pas considérer qu’il va perdre la face s’il agit de la sorte. Dans un contexte de « relation déplacée, de réaction émotionnelle disproportionnée, qui dure », il doit créer les conditions d’un « travail de tri » pour que s’expriment uniquement les émotions du moment, « pas celles du passé ».
Pour être audible, écouté et respecté, le dirigeant doit manifester une cohérence au niveau du discours. Sa manière de gérer son entreprise, de manager, son système d’évaluation des collaborateurs, de rémunération, bref l’ensemble des processus qui viennent dessiner la charpente de l’entreprise doivent être en parfaite cohérence avec le discours. « Ne vous racontez pas d’histoires. Partez du réel, ce sera plus simple », conseille Marianne Olivier à son auditoire. Le dirigeant doit, en somme, réduire au maximum les écarts possibles entre son discours et « la vraie vie, ce qui n’exclut pas le pilotage ». Marianne Olivier estime que « lorsque l’on est dans l’humain, il convient d’être prudent sur les mots, de montrer d’abord par l’exemple avant de verbaliser. Vous êtes à l’origine de la vraie vie », lance-t-elle à une salle médusée. Et de citer cette envolée lyrique de Gandhi : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ! » Il est question ici, au niveau des enjeux pour le dirigeant, de crédibilité, fiabilité et juste distance. « Par la crédibilité, vous allez démontrer que vous avez les compétences, premier élément qui va fonder la confiance. La notion de fiabilité renvoie à la question : ce que vous dites se révèle-t-il dans la durée ? Quant à la juste distance, elle renvoie à l’idée qu’il convient de se sentir libre par rapport aux enjeux de la vie des autres », explique la consultante.
Autrement dit, le dirigeant doit se dégager du système de sympathie afin d’être en mesure de prendre des décisions librement, à condition d’être capable de maîtriser l’analyse du risque. « Libérez-vous de votre besoin d’être aimés. » Réactions diverses dans la salle… Témoignage d’une participante, dans le droit fil de cette exhortation : « Un salarié, qui m’avait promis depuis son arrivée qu’il me serait toujours fidèle, vient de m’annoncer sa démission. Je dois dire que je ne me sens pas touchée, alors qu’il m’a raconté des histoires. »
Un autre participant : « Si vous êtes clair avec vous-même et que le salarié sait où est votre place, on peut imaginer une relation de sympathie. » Un autre : « Je pars du principe que manager ne m’oblige pas à plaire. » Marianne Olivier conclut ce petit florilège d’interventions : « Soyez conscients de ce qui se joue pour vous ; soyez dans une distanciation affective. » Ce qui détruit la confiance, estime-t-elle, « c’est lorsque le dirigeant est entièrement tourné vers sa propre réussite ». Le dirigeant, comme tout un chacun, a des croyances et des valeurs. Plus il les formule, plus il est crédible, selon Marianne Olivier, qui ajoute ? « La confiance n’exclut pas le contrôle. » Les croyances sont légion. Elles sont omniprésentes dans les relations humaines, jusque dans l’entreprise. Il convient, pour le dirigeant, d’avoir en la matière une idée précise de sa propre mission.
* Les partenaires des Rencontres jeunes dirigeants sont DAF Trucks, Trimble, ZF et STS.