L’Europe peaufine ses outils

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Si les fraudes au travail détaché se complexifient, les acteurs des contrôles s’organisent au niveau européen. C’est le cas de l’Acoss, qui vérifie les cotisations sociales. Et bientôt, l’Autorité européenne du travail offrira aux acteurs économiques, dont les transporteurs, un nouvel outil de régulation.

Dans l’Europe élargie, les instances de surveillance, des contrôleurs des transports terrestres aux inspecteurs du travail, de la police des frontières aux Urssaf, s’organisent pour mieux faire face à l’ampleur et à la sophistication des fraudes sociales. Plus de 17 millions d’Européens, deux fois plus qu’il y a dix ans, travaillent dans un autre État membre que leur pays d’origine. Or, les forts décalages de rémunérations, entre conducteurs en particulier, favorisent le dumping social et les fraudes en matière de travail détaché.

130,7 M€ de redressement

Entre l’Est et l’Ouest, les rémunérations des conducteurs internationaux s’échelonnent de 300 à 3 300 euros mensuels, les cotisations, elles, varient de 673 €/an à 16 221 €/an, selon un rapport du Comité national routier en 2016. Et les fraudes prennent des formes multiples. Ici, un transporteur de l’Est travaille à l’Ouest, sans respect du cabotage, dans les conditions de son pays d’origine. Là, une entreprise de l’Ouest établit à l’Est une société « boîte-aux-lettres » pour réduire ses charges sociales. « Les fraudes peuvent aussi être le fait d’entreprises françaises », tempère-t-on à l’Acoss, la Caisse nationale des réseaux des Urssaf, qui a réalisé l’an dernier 201,7 millions d’euros de redressements pour travail dissimulé, soit 18,5 % de plus qu’en 2017, dont 130,7 millions concernaient du travail détaché. Ces résultats record dans la lutte contre la fraude au détachement traduisent, indique-t-on à la caisse nationale, « une amélioration des méthodes d’investigation et une professionnalisation accrue des inspecteurs chargés de la lutte contre la fraude. Le partenariat s’est aussi renforcé, au niveau national européen ». Les contrôleurs ciblent ainsi plus en amont des d’entreprises « suspectées » ou « susceptibles » de frauder (88 % des contrôles donnent lieu à une sanction) et à fort enjeu financier (plus de la moitié des sommes redressées concernent des fraudes de plus de 1 M€).

Les TRM suspendus au paquet mobilité

Si le commerce, le BTP et l’hôtellerie-restauration arrivent en tête des secteurs « fraudogènes », les TRM ne sont pas exempts de fraudes aux cotisations. Mais leurs contrôles, rendus plus difficiles par la mobilité et des règles de circulation spécifiques, sont plus souvent abordés sous l’angle du temps et des conditions de travail, et effectués par les agents dédiés des Dreal ou des gendarmes. D’ailleurs, les réglementations sur le détachement placent les TRM un peu à part des autres secteurs. Ainsi, exclu du champ d’application de la directive sur les travailleurs détachés (février 2019), le secteur routier reste suspendu à l’adoption par le trilogue (conseil, Parlement, commission) du Paquet mobilité (cf. interview F. Berthelot p. 24). Mais, quel que soit le secteur ou le mode de contrôle, les enjeux restent identiques, souligne-t-on à l’Acoss : « Il s’agit de préserver les droits sociaux des salariés et une concurrence loyale pour les entreprises. » Un modèle de société auquel la nouvelle Autorité européenne de travail doit apporter un outil adapté, à l’échelle communautaire.

Données
RGPD : comme un avertissement

Un « avertissement non public ». Telle est la sanction qu’un transporteur de fret de proximité a reçue l’an dernier de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Le bilan de la Cnil respecte l’anonymat de l’entreprise et la sanction ne se chiffre pas en euros. Mais son motif a de quoi rendre la profession vigilante : « Non-réponse et droit d’accès à un dossier d’un salarié (notamment aux données d’un chronotachygraphe) ». Avec la mise en place, en mai 2018, du règlement général sur la protection des données (RGPD), l’accès des conducteurs à leurs données, déjà possible depuis 2014, sort renforcé.

Les « données » que vise le règlement européen ne se limitent pas à celles « des clients ou des usagers », comme l’avancent encore certains entrepreneurs. Elles sont aussi les informations relatives à la paie, aux points, primes ou sanctions… Aujourd’hui, les entreprises doivent créer et tenir un registre de traitement des données personnelles, les protéger et les tenir à disposition des salariés.

Dès sa première année d’application, le RGPD a fait exploser les plaintes à la Cnil, avec 11 077 plaintes enregistrées en 2018, donnant lieu à 310 contrôles et, au final, une petite dizaine de sanctions, la plupart financières. Dans une entreprise de transport où les outils numériques décloisonnent l’environnement de travail des salariés, la gestion des données sociales devient une préoccupation majeure. L’année 2019 reste une « année de transition » où la pédagogie est de mise pour la Cnil et Bpifrance, chargé du conseil… Mais, dans l’absolu, les sanctions peuvent atteindre jusqu’à 4 % du CA annuel. F. R.

Europe
Une autorité pour mieux encadrer la mobilité

Mieux lutter contre les abus et les fraudes en matière de travail, faire respecter les droits sociaux, renforcer la lutte contre le « dumping social » : telle est la feuille de route de la nouvelle Autorité européenne du travail – qui démarre ses travaux en octobre prochain à Bruxelles, avant de s’installer à Bratislava, en Slovaquie. Cette instance – composée d’environ 140 agents pour un budget de 50 M€ par an – n’aura pas vocation à remplacer les inspections nationales du travail, mais à soutenir et compléter leur action, en particulier pour les complexes dossiers transnationaux. Elle comptera trois missions principales : fournir des informations aux citoyens et aux entreprises sur les opportunités d’emploi et de mobilité, les droits et obligations, encourager la coopération entre les autorités nationales sur les questions transfrontières, assurer une médiation en cas de différend transfrontalier. F. R.

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