« L’enjeu est concentré autour des fluides frigorigènes »

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Déléguée générale de l’UNTF, de l’USNEF et de Transfrigoroute, Valérie Lasserre est également, depuis octobre, 2016 déléguée générale de La Chaîne Logistique du Froid. C’est en cette qualité qu’elle nous répond sur les préoccupations d’un secteur bien spécifique.
L’Officiel des Transporteurs : La Chaîne Logistique du Froid vient de souffler sa première bougie. Concrètement, quel est le rôle de l’association ?

Valérie Lasserre : La Chaîne Logistique du Froid a pour vocation de rassembler et représenter tous les acteurs de la logistique et du transport frigorifiques. L’Usnef, Transfrigoroute France et l’UNTF ont créé cette association de moyens, humains et physiques, pour pouvoir parler d’une même voix sur des sujets communs. Mais chaque organisation professionnelle conserve son identité et ses spécificités. Le rôle de l’équipe, composée de 5 permanents, consiste à faire interagir des acteurs qui partagent la responsabilité de préserver la sécurité sanitaire de denrées sensibles, qu’elles soient alimentaires ou des produits de santé. Ainsi, progressivement, nous créons des groupes de travail à l’intention des adhérents des trois associations. Je constate qu’après une année d’existence, les choses se mettent en place et fonctionnent bien !

L’O.T. : Avec qui travaillez-vous, quels sont vos interlocuteurs ?

V. L. : Nous avons deux catégories d’interlocuteurs. D’une part, les autres organisations professionnelles représentant la grande distribution (FCD) et les clients chargeurs (les Entreprises de Glace et Surgelés – EGS – ou l’Association nationale de l’industrie agroalimentaire – l’Ania), ainsi que les fédérations de transport routier généralistes (FNTR et TLF). D’autre part, nous entretenons des liens réguliers avec nos autorités de tutelle que sont les ministères de l’Agriculture, de l’Ecologie, du Transport et parfois de l’Industrie. Nous avons notamment des relations très étroites avec la DGAL, la Direction Générale de l’Alimentation, qui dépend du ministère de l’agriculture. Notre cœur de métier est de stocker ou de transporter des denrées périssables : fruits et légumes, produits laitiers, viandes, produits de la mer… Il n’y a pas que le surgelé. À l’USNEF comme à l’UNTF, certains adhérents disposent d’entrepôts bi ou tri températures. Les métiers sont variés mais essentiellement liés à l’alimentaire.

L’O.T. : Pouvez-vous nous donner un exemple de vos travaux ?

V. L. : Nous avons réussi à faire aboutir un projet sur la température des denrées réfrigérées ayant d’énormes enjeux économiques et contribuant à la lutte contre le gaspillage.

Les règles d’hygiène sont définies par un « paquet hygiène » européen (textes qui définissent les règles générales). Y figure notamment une tolérance sur les produits surgelés aux phases de chargement et de déchargement, qui, en France, est fixée à +/-3°C. Or, aucune tolérance n’est accordée aux produits réfrigérés (températures >0°C). Pour limiter les refus à la livraison, trop souvent basés sur des prises de températures réalisées avec des outils non réglementaires, nous avons sollicité de l’administration une certaine souplesse aux phases de livraison, sans pour autant remettre en cause les exigences règlementaires. L’aboutissement de nos travaux interprofessionnels a été la reconnaissance officielle d’un protocole validé par tous les acteurs, transporteurs, logisticiens, producteurs et enseignes.

L’O.T. : Concrètement, comment cela se traduit-il ?

V. L. : Désormais, un produit est réputé conforme si sa température au contact est mesurée au plus à 2°C de sa température réglementaire. En cas de doute, un contrôle à cœur doit démontrer que la température de la denrée ne dépasse pas de plus de 1°C la température règlementaire, étant entendu que ces mesures sont réalisées avec des thermomètres à sondes conformes aux normes de fabrication et de vérification en vigueur.

Nous sommes très fiers d’avoir fait aboutir, en très peu de temps, ce projet aux enjeux importants.

L’O.T. : Echangez-vous aussi avec les pays étrangers ?

V. L. : L’Usnef dispose d’un relais européen : l’ECSLA (European Cold Storage and Logistics Association). De son côté, Transfrigoroute France est membre fondateur de Transfrigoroute international. Ces deux instances, installées à Bruxelles, sont à la fois notre voix et nos oreilles sur la scène européenne, puisque 90 % des règlementations nationales émanent soit d’une directive (elles sont alors transcrites en droit français) soit d’un règlement qui s’applique de fait dans les États membres. Nous avons besoin d’être informés et agir très en amont afin que les règlementations prennent en compte les réalités opérationnelles de nos adhérents.

L’O.T. : Quelles sont les difficultés actuelles de la filière du froid ?

V. L. : L’enjeu est concentré depuis quelques années autour des fluides frigorigènes utilisés pour la production du froid.

Pour s’éloigner des gaz à fort impact sur la couche d’ozone (les HCFC) dans les années 1990-2000, les entreprises françaises ont été contraintes de se tourner vers les gaz à effet de serre, et en particulier le HFC R-404A, très rentables pour l’industrie chimique, au détriment d’autres substances telles que l’ammoniac, pourtant très bien maîtrisé et dont les performances énergétiques sont inégalées. Celui-ci, bien que très largement déployé chez nos voisins européens (Allemagne, Espagne, Scandinavie) et sans effet de serre ni impact sur la couche d’ozone, a en effet le double défaut d’être toxique et surtout de ne pas représenter d’intérêt économique pour les producteurs de fluides frigorigènes. Pour lutter contre les gaz à effet de serre, l’Union Européenne a dans un premier temps imposé des règles de vérification de l’étanchéité des installations avec le règlement F-Gaz I (842/2006). Le règlement F-Gaz II (517/2014), quant à lui, renforce ces règles de surveillance et surtout met en place une interdiction progressive d’utilisation des substances ayant un fort Potentiel de Réchauffement Global (PRP).

L’O.T. : Quelle est donc la suite à attendre pour ce règlement ?

V. L. : Cette deuxième génération du règlement F-Gaz est entrée en vigueur en 2015 et raisonne en tonne équivalent CO2 et non plus en kilo de gaz. Le règlement F-Gaz II instaure un calendrier de réduction progressive des quantités de gaz mises sur le marché et ce, dès le 1er janvier 2018 avec -37 % par rapport à la période de référence (2009-2012). En 2030, les quantités de fluides mises sur le marché ne représenteront plus que 21 % de la période initiale de référence.

L’O.T. : En termes d’innovation technologique, quels sont les challenges ?

V. L. : Les challenges sont différents selon qu’il s’agit de réfrigération fixe ou mobile. Dans l’entreposage, le challenge est avant tout financier. Les alternatives aux fluides HFC existent mais de nombreuses entreprises françaises ont pu être contraintes de construire ou convertir des installations existantes avec des HFC, du fait des difficultés évoquées ci-dessus à utiliser l’ammoniac. Nos entrepôts frigorifiques ont une période d’amortissement de 20 à 25 ans. Les investissements réalisés jusqu’en 2014 ne seront donc amortis qu’en 2034. Une anticipation de ces amortissements doublée d’une obligation nouvelle d’investir n’est pas supportable.

L’O.T. : Et qu’en est-il pour les camions ?

V.L. : L’essentiel de la flotte française et européenne fonctionne au R404A. Nous sommes face à un vrai défi technologique. Il n’existe pas encore d’alternative industrielle disponible en capacité de satisfaire la flotte française (environ 125 000 véhicules du VUL au PL). Certaines solutions de transition permettront la conversion des équipements avec des gaz de PRP moins élevé, mais cette situation n’est pas pérenne. Se pose aussi la question des motorisations des poids lourds. Tout le monde semble avoir enterré le diesel malgré les progrès considérables réalisés sur les EuroV et VI. Les collectivités proposent d’interdire tout véhicule qui ne sera pas gaz ou électrique. Mais quelles seront les infrastructures déployées pour l’avitaillement ? Quel impact certaines solutions ont-elles sur le poids des engins et donc leur charge utile ?

L’O.T. : Quelle visibilité avez-vous sur les projets d’innovation ?

V. L. : Différentes alternatives sont en cours de développement mais il n’existe pas une solution universelle pour tous les modes de transport, longue distance ou livraison.

Qu’il s’agisse de la compression de vapeur d’un gaz alternatif au R404A ou d’une rupture technologique telle que la cryogénie, les équipements ne sont pas encore disponibles et nécessiteront des investissements lourds des transporteurs.

L’O.T. : L’État ou d’autres instances vous aident-ils aujourd’hui ?

V. L. : Nous ne recevons aucune aide de l’État ou d’autre instance, à l’exception des certificats d’économie d’énergie, très symboliques, lors d’acquisition d’équipements économes en énergie, mais il en existe peu dans le transport frigorifique.

Le projet de taxe sur les HFC – qui a été présenté en amendement du PLF 2018 mais n’a finalement pas été soutenu lors de l’examen lors de la séance publique du 17 novembre proposait paradoxalement une aide sur les suramortissements liés à la conversion des installations HFC. Le fruit de la taxe devait « aider » les entreprises à investir. Nous ne pouvons que nous féliciter de ce que la taxe ne figure pas, à ce jour, dans la petite loi de finances mais nous restons vigilants.

L’O.T. : D’autres pays n’ont-ils pas mis en œuvre un telle taxe ?

V. L. : Le Danemark a mis en place une taxe il y a très longtemps sur les HFC, qui sont fort peu répandus dans le pays. Ils utilisent tous l’ammoniac dans leurs entrepôts. C’est donc un peu de l’hypocrisie bien que tous leurs poids lourds soient refroidis aux HFC. Les Espagnols ont mis une taxe à l’achat de gaz en 2015. Grâce à la réutilisation des fluides usagés, ils limitent les achats de gaz et réussissent à contourner la taxe. Les autres pays n’ont pas de taxe, considérant que le cadre règlementaire se suffit à lui-même.

L’O.T. : Mi-novembre, l’UNTF a organisé pour la première fois des États Généraux du Transport Frigorifique. Qu’en retenez-vous ?

V. L. : Les États Généraux ont été couronnés de succès. Leur objectif, qui était de réunir les professionnels, adhérents ou non de l’UNTF, pour réfléchir aux difficultés partagées de la profession, a été atteint. Une cinquantaine de dirigeants d’entreprise se sont réunis et ont évoqué les enjeux de notre profession. Nous retiendrons la spécificité de notre filière et l’importance, pour les transporteurs, de trouver un lieu d’échanges qui prenne en compte la technicité de leur métier. Le transport frigorifique est réalisé pour de nombreuses filières, fruits et légumes, surgelés, viande pendue, produits de la mer, avec des exigences particulières.

L’UNTF offre donc à ses adhérents ce lieu d’échange unique. Elle peut et doit également enrichir les réflexions des autres organisations, plus généralistes, pour qu’ensemble elles prennent en considération les besoins des entreprises.

L’O.T. : Le salon Solutrans vient de se terminer, cette édition a-t-elle été enrichissante pour vous ?

V. L. : La visite de Solutrans est toujours intéressante. S’y rendre permet de visualiser les nouveautés technologiques et les orientations techniques de demain, par exemple en matière de production de froid, qui permettront demain aux transporteurs d’exercer leur métier malgré les nouvelles contraintes règlementaires. Ce que nous y avons vu relève encore néanmoins du prototype.

À l’origine…

Créée en octobre 2016, La Chaîne Logistique du Froid regroupe l’Usnef (l’Union Syndicale Nationale des Exploitations Frigorifiques, créée en 1961), Transfrigoroute France (organisme technique dédié au transport sous température dirigée fondée en 1955) et l’UNTF (l’Union Nationale du Transport Frigorifique). Cette dernière a été fondée il y a 10 ans par les membres d’un groupement qui existait alors au sein de la FNTR. Les transporteurs frigorifiques ont souhaité prendre leur autonomie et créer une nouvelle structure capable de représenter leurs spécificités.

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