« Le transport doit rester aux mains de professionnels »

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Le Premier ministre, Édouard Philippe, lui a confié début janvier une mission d’audit du marché du TRM au travers du prisme des VUL. Objectif : apporter des préconisations qui aillent dans le sens d’une régulation du marché. Secrétaire de la commission Développement durable à l’Assemblée nationale et membre de la commission des Affaires européennes, Damien Pichereau nous livre ses premiers commentaires.
L’Officiel des Transporteurs : Pourriez-vous nous dire en quoi vous êtes « légitime » pour mener cette étude sur le marché du VUL que vous a confiée le Premier ministre, Édouard Philippe ?

DAMIEN PICHEREAU. : Je voudrais juste rappeler d’où je viens. Je suis député de la Sarthe, un passionné de mobilité, terrestre avant tout. Mon père était conducteur de car et je compte un certain nombre d’amis dans le transport routier de marchandises. C’est un domaine que je connais bien, en fait, et dont je discute très régulièrement. Par ailleurs, je suis secrétaire de la commission Développement durable (de l’Assemblée nationale, Ndlr) en charge des questions de transport et membre de la commission des Affaires européennes. Et, c’est dans le cadre de cette commission que j’ai hérité de cette PPRE (Proposition de résolution européenne), ce rapport sur le Paquet Mobilité. En fait, les deux sont liés : durant cette PPRE, j’ai été conduit à voyager, notamment en Belgique, Roumanie, Portugal, pour aller à la rencontre des institutions locales et des organisations professionnelles de transporteurs.

Quels sont les contours de la lettre de mission que vous a confiée le Premier ministre ?

D. P. : Cette lettre comporte deux volets. Le volet européen lié à l’augmentation du nombre de VUL sur les routes européennes et un volet plus urbain, lié à la montée en puissance du e-commerce (on parle de la présence d’un million de colis chaque jour sur nos routes) couplée à une volonté du consommateur de se faire livrer dans des délais toujours plus rapides, d’où une augmentation du nombre de VUL. Ce phénomène touche, pour l’heure, les grandes métropoles. Mais il est appelé à se développer partout. Gouverner c’est prévoir, donc je salue le gouvernement d’avoir lancé cette mission tant qu’il n’est pas trop tard pour réguler.

Et qu’avez-vous retiré de vos voyages ?

D. P. : Tous mes interlocuteurs ont mis l’accent sur la problématique VUL. Il existe effectivement un vrai problème avec des véhicules qui sont censés être moins compétitifs que les poids lourds. Sauf que le flou réglementaire facilite des temps de conduite extensibles, jusqu’à 90 heures de conduite hebdomadaire, sur fond de surcharge que l’on tente de contrôler au maximum, mais exercice qui reste difficile par manque de moyens, même si le travail d’optimisation des contrôles actuellement mené constitue déjà un bon pas en avant. Du coup, on se retrouve dans une situation qui veut que ces VUL deviennent autant, sinon plus, compétitifs que les poids lourds. Ce qui n’est pas logique ni acceptable en termes de développement durable. Et je n’évoque même pas les conséquences en matière de compétitivité vis-à-vis de nos transporteurs nationaux, et même des transporteurs internationaux puisqu’un conducteur de VUL est encore moins bien rémunéré qu’un chauffeur PL.

Se posent, dès lors, des questions de concurrence déloyale, notamment en matière d’accès à la profession…

D. P. : Effectivement, en France, la réglementation sur les VUL est au point et le marché demeure globalement régulé. Néanmoins, nous pâtissons d’un manque évident d’outils de contrôle, en direction des Français mais également vis-à-vis des Européens. Notre volonté est de rester cohérents : à partir du moment où, dans le cadre du Paquet Mobilité, on est — c’est mon cas — favorable au durcissement des règles en faveur d’une concurrence qui soit plus équilibrée, il est logique qu’on y inclue les VUL. Le risque, si on ne le fait pas, c’est qu’il y ait un effet boomerang car, si l’on durcit les règles sur les poids lourds, les pays qui pratiquent les transports les moins chers seront tentés d’opter pour les VUL en raison de l’absence de règles. L’objectif est donc là : comment fait-on pour réguler ce marché ?

Les enjeux sont-ils seulement d’ordre économique ou de développement durable ?

D. P. : Il y a également des enjeux de sécurité routière. Le taux d’accidentologie chez les VUL est important comparé aux poids lourds. Pour autant, dans le VUL, il convient de distinguer le transport pour compte d’autrui, en compte propre et de particuliers. Au final, le compte d’autrui représente une minorité qui reste toutefois élevée, comparée au nombre de poids lourds. Faisons donc attention d’éviter les amalgames en y incluant, par exemple, le plombier ou l’artisan du coin. L’objectif n’est pas d’empêcher les VUL de circuler mais de réguler le marché afin que nos transporteurs (lourds et légers) puissent composer avec une concurrence saine et équilibrée.

En matière de logistique urbaine et de congestion, en partie en rapport avec le nombre important de VUL, le député François-Michel Lambert, président de France Logistique 2025, nous disait récemment (L’OT 2906) que la France était en retard…

D. P. : Cela fait 8 mois que nous sommes aux manettes et nous avons très rapidement lancé les Assises de la mobilité, lesquelles ont comporté un volet fret et logistique urbaine. Il existe des outils aujourd’hui. Les ZCR (zones de circulation restreinte), par exemple, qui peuvent être utilisées à la régulation du trafic de VUL et de PL. Il y a également des initiatives en région. Je pense notamment à la ville de Grenoble, porteuse d’une démarche vertueuse de massification, de développement d’espaces logistiques urbains. Faut-il aller plus vite ? Probablement ! La loi d’organisation des mobilités est en gestation. Là où j’aurais tendance à tirer un signal d’alarme, c’est sur la question des infrastructures qu’il faut développer également pour la logistique, pas uniquement au bénéfice du particulier. Pensons aussi aux entreprises !

Quelque 6 semaines après qu’Édouard Philippe vous a officiellement confié sa mission, qu’avez-vous tiré de vos rencontres ?

D. P. : En l’espace d’un mois, nous avons effectué environ 80 heures d’audition (de professionnels, d’institutions, d’associations, d’énergéticiens, de chargeurs, d’organisations syndicales). Nous avons entamé, il y a peu, un second round, un peu plus ciblé. Le tableau que nous brossons est celui que je décrivais plus haut, de distorsions de concurrence sur le plan social mais aussi technique (surcharge)… Nous avons, bien entendu, rencontré des acteurs vertueux tant sur le plan social qu’en matière de flottes propres. Nous devons aider ces acteurs. Et puis, il y a ces petits acteurs titulaires d’un permis B, qui n’ont pas accès aux mêmes outils ni aux mêmes connaissances, et qui n’ont pas un comportement aussi vertueux. À nous de les aider à l’acquérir. Il faudra également apprécier le rôle des plateformes numériques. Il est certain, qu’aujourd’hui, le transport doit rester l’œuvre de professionnels.

C’est-à-dire en adéquation avec la réglementation transport ?

D. P. : Tout le monde — organisations syndicales et professionnelles comprises — le dit : il faut que ce métier reste aux mains de professionnels. C’est dans l’intérêt du consommateur, du chargeur, de l’environnement, du chauffeur et du transporteur lui-même. L’idée n’est pas d’aller vers une restriction de la liberté d’entreprendre mais de faire respecter des règles.

Impossible d’évoquer le dossier du VUL sans faire allusion à l’émergence des plateformes numériques d’intermédiation…

D. P. : C’est une certitude : elles représentent les nouveaux acteurs du transport, comme les bourses de fret l’ont été il y a une trentaine d’années. Elles ont également déclenché des réflexes de peur et il a été nécessaire parfois de réglementer. Certaines plateformes ont elles-mêmes pris leur responsabilité en devenant commissionnaires. Pour les autres, il y aura sans doute matière à réglementer car je suis tout à fait d’accord avec l’idée que tout le monde ne peut pas « faire » du transport. En tout cas, il y a des règles à respecter.

Partagez-vous les craintes de ceux qui voient émerger une forme de concurrence déloyale avec le recours massif à de nouveaux travailleurs précaires (auto-entrepreneurs) ? On pense notamment au conflit entre le SNTL et la plateforme Stuart (voir page 23)…

D. P. : Je pense qu’il faut raisonner au cas par cas. Je dirais juste que le monde du transport ne doit pas devenir le Far-West. Il faut respecter certaines règles. L’exécutant doit disposer de conditions de travail dignes. Pour autant, n’oublions pas, non plus, que ces plateformes peuvent constituer un atout pour certains publics. Ces métiers peuvent aussi être perçus comme des tremplins qui permettent de revenir sur le marché du travail. Sur le marché du VTC, on a pris les choses à bras-le-corps et on a régulé.

Vous avez récemment — dans le cadre d’une réunion sur le financement des infrastructures — pris partie pour une prime aux choix nationaux…

D. P. : Le système actuel — l’Eurovignette — offre la possibilité de prendre en compte les externalités négatives, mais seuls trois pays le font. La Commission nous propose aujourd’hui de passer à un système purement kilométrique, ce qui revient à cloisonner encore plus. Mon idée consiste à ce que, globalement, on mette en place un système de tarification pour nos routes, et que l’on permette à chaque État membre de choisir son mode de prélèvement en termes d’acceptabilité financière. Je suis, par ailleurs, favorable à ce que le fléchage serve au développement et à l’entretien de nos infrastructures de transport, notamment à des parkings sécurisés et à l’intermodalité.

Pour le financement des infrastructures, le rapport Duron préconise diverses pistes qui frapperaient surtout les transporteurs : vignette forfaitaire ou redevance, péages urbains, hausse de la TICPE… Le TRM français se sent ciblé…

D. P. : Le problème de fonds aujourd’hui, c’est le prix du transport. L’objectif du Paquet Mobilité — et je suis heureux que le Gouvernement et l’Assemblée nationale se soient mobilisés en sa faveur — c’est que si on arrive à appliquer les règles globales, notamment de détachement et de cabotage, le prix du transport peut augmenter. Ce sera au bénéfice de nos transporteurs qui seront en mesure de retrouver de la marge. Dès lors, participer davantage à l’effort demandé sera moins un frein.

Je comprends la peur des transporteurs. À titre personnel, je considère que le dispositif Eurovignette peut aussi permettre de revoir la taxation. La taxe à l’essieu a été jugée archaïque par la Cour des comptes. Ne pourrait-on envisager sa suppression ? Pourquoi pas. En tout cas, je ne laisserai jamais dire que nous laissons de côté le transport de marchandises.

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