Chaque année, 10 % des ménages changent de domicile, d’après le deuxième Observatoire du déménagement publié par Les Artisans Déménageurs en 2016. Même si le marché est plutôt stable, le nombre d’opérations a tendance à augmenter. La mobilité de la population française s’accroît notamment pour des raisons professionnelles. Les entreprises du secteur sont chargées de 25 % des 11 millions de déménagements réalisés en France. « Ce chiffre est à peu près le même depuis 2007, indique Marc Buigues, porte-parole du réseau Les déménageurs bretons, basé à Beauchamp (95), qui effectue plus de 50 000 déménagements par an. Les plateformes numériques apparues ces dernières années ne parasitent donc pas énormément le marché du déménagement traditionnel. Elles ont plutôt tendance à capter des parts de marché des personnes qui n’auraient pas fait appel à des professionnels. »
La conjoncture est donc plutôt bonne, rapportent unanimement les professionnels. « Mais l’émergence de ces nouvelles structures a permis l’apparition de petits déménageurs qui, auparavant, avaient du mal à trouver des clients sans service commercial. Ce phénomène a joué sur nos marges », nuance Damien Grimault, directeur des Gentlemen du Déménagement, un groupement collaboratif de 75 sociétés du déménagement indépendantes, qui emploie 1 200 salariés et exploite une flotte de 800 camions (CA 2018 : 110 millions d’euros). Pour se démarquer, Démépool, un réseau de concessions de marque créé en 1973 et basé à Gennevilliers (92), qui affiche un CA de 7,5 millions d’euros, s’est orienté en 2016 sur un positionnement 100 % BtoB. Il intervient à présent exclusivement sur le transfert d’entreprises, les mutations de collaborateurs et les marchés locatifs. « Pour le moment, le marché du déménagement d’entreprises semble trop fermé pour laisser s’insérer ces structures numériques, explique Laurent Lacour, directeur général de Démépool. Mais leur apparition témoigne de l’attente des consommateurs : leurs achats, prestations de service incluses, se réalisent en ligne. Il n’y avait aucune raison pour que le marché du déménagement y échappe. »
Les plateformes de fret proposent des devis en ligne, sur la foi d’un inventaire détaillé du client. Un gain de temps pour les utilisateurs qui s’épargnent un rendez-vous à domicile avec un professionnel. « Mais ces plateformes ne sont que des intermédiaires, rappelle Damien Grimault. Elles ne disposent d’aucun moyen propre et sous-traitent toutes leurs opérations. » Quand le client s’engage, la plateforme ne sait pas encore quel prestataire sera chargé de son déménagement. « On ne sait pas sur qui l’on va tomber », résume Sébastien Le Bail, vice-président de la Chambre syndicale du déménagement (CSD) et directeur de l’entreprise Le Bail Déménagements, affiliée au groupement France Armor Déménagements, basée à Vannes (56) (CA : 900 000 euros). En saison haute, de juin à septembre, ces structures ont du mal à trouver des prestataires, les entreprises privilégiant leurs clients directs. « On voit alors intervenir des camionnettes en provenance des pays de l’Est ou des entreprises qui se montent juste pour l’été. Les interventions sont parfois même annulées quelques jours avant, faute de déménageurs… », reprend Damien Grimault. Résultat, les plateformes qui cassent les prix de 30 % en moyenne et n’assurent pas de suivi ont ainsi dégradé l’image du métier. « Ce modèle d’affaire affaiblit le marché des vrais professionnels. Lesquels évitent de travailler avec ces plateformes », poursuit-il.
« Le client nous confie son patrimoine accumulé tout au long de sa vie. Il doit y avoir une rencontre, une expertise, une relation. Il ne faut pas confondre déshumanisation et digitalisation », ajoute Sébastien Le Bail. La visite d’un déménageur chez un particulier, gratuite, n’engage à rien et permet d’examiner les accès et le volume à déménager afin de déterminer les moyens à mettre en place. Cette visite est la garantie du travail bien fait. « Or, si dans son inventaire déclaratif, le client omet ou sous-estime certains volumes, ce sera à lui d’endosser la responsabilité, explique le vice-président de la CSD. La plateforme est tenue par une obligation de moyen, l’artisan par une obligation de résultat. »
Pour faire face aux start-up du numérique, les déménageurs eux aussi se mettent au 2.0. « Nous n’avons rien à leur envier, argue Damien Grimault. Notre relation client est déjà largement digitalisée et notre site offre aussi la possibilité d’estimer le prix d’un déménagement en trois clics, par exemple. Mais, contrairement à ces plateformes, nous restons très attachés à la visite chez le particulier, qui représente une véritable expertise. Cela dit, dans notre stratégie d’adaptation, nous nous posons la question : est-ce un verrou qu’il faut faire sauter ? Nous serons sûrement amenés dans un avenir plus ou moins proche à proposer un devis en ligne. »
Les Gentlemen du Déménagement tentent d’innover avec deux objectifs : améliorer le service et optimiser la chaîne logistique. L’entreprise est équipée de caisses mobiles, de gros conteneurs chargés sur des camions adaptés, qui apportent une plus grande flexibilité, notamment pour les déménagements désynchronisés. Ces caisses mobiles peuvent être stockées facilement avant d’être déchargées au domicile final. Le Bail Déménagements développe également l’activité connexe de self-stockage, un service qui consiste à mettre à disposition de particuliers ou d’entreprises des espaces de stockage individuels de taille variable, sécurisés et accessibles en libre-service. « Les déménageurs se sont adaptés au souhait de la clientèle, affirme Sébastien Le Bail. Auparavant, seules trois catégories types de déménagement étaient proposées. Aujourd’hui, les professionnels proposent du sur-mesure. »
« On n’associe pas forcément déménagement et innovation, ajoute Marc Buigues, des Déménageurs bretons. Pourtant, l’innovation est un réflexe naturel pour se singulariser des autres déménageurs. Notre leitmotiv : le besoin du client. » Outre l’apparition à la fin des années 1990 du paiement fractionné et celle de prestations prévoyant une nuit d’hôtel pour suivre son déménagement, Les déménageurs bretons se sont adossés à un partenaire pour proposer un service de changement d’adresse automatisé en quelques clics : listes électorales, carte grise, CPAM, impôts, banque, téléphone, abonnements… L’entreprise propose aussi gratuitement une mise en relation avec des associations spécialisées dans l’accueil des nouveaux arrivants dans la ville ou la région d’arrivée. « Le but est de faciliter le déplacement des personnes et des familles. Nous sommes les témoins du stress de nos clients et sommes là pour les guider. Ces services-là, les plateformes ne les proposent pas. »