À l’heure du e-commerce, le camion doit pouvoir aller plus loin et livrer plus vite à toute heure de la journée. Le camion autonome répond à ces nouveaux modes de consommation. Cette nouvelle génération de véhicules est là, entraînant avec elle une concurrence féroce entre les constructeurs. De l’autre côté de l’Atlantique le marché attire de nouveaux acteurs issus de l’économie numérique comme Uber, Waymo (Google) ou Tesla. Mais le vieux continent compte bien rester en lice. Ainsi six constructeurs de poids lourds européens (Daimler Trucks, DAF, Man, Iveco, Scania et Volvo) ont démontré leurs avancées en la matière en participant au concours de camions autonomes organisé l’année dernière par le ministère néerlandais de l’Infrastructure et de l’Environnement : l’European Truck Platooning Challenge. Il s’agissait d’exposer la technique dite de « platooning » (peloton routier). Ce système consiste à faire circuler des camions sans chauffeur en convoi compact. Les véhicules sont reliés par Wi-Fi. Seul le camion de tête requiert un conducteur. Les avantages du platooning ont été largement commentés : réduction de la consommation de carburant et des émissions polluantes ou encore temps de freinage et de réaction pris en charge par la machine et, ainsi, plus rapide que l’humain. Mais une implantation de camions autonomes implique aussi une réduction de la population de chauffeurs.
Les conducteurs se disent inquiets de la disparition programmée de leur métier. « Nous devons en effet éviter aux chauffeurs des difficultés excessives et veiller à ce que les gains à attendre de la technologie soient équitablement répartis dans l’ensemble de la société. Les camions autonomes risquent de bouleverser les carrières et les vies de millions de chauffeurs professionnels », déclarait Steve Cotton, secrétaire général de la Fédération internationale des ouvriers du transport à la présentation du rapport du Forum international des transports (FIT)(1) qui fait le point sur les conséquences du camion autonome sur les emplois de conducteurs. Le rapport envisage la disparition potentielle de 2 millions de postes de conducteurs (voir p. 28). « L’hypothèse du FIT, c’est ce qui se produira si les parties prenantes n’agissent pas à temps pour y parer. Bien entendu, cette éventualité va à l’encontre de leur intérêt. Par conséquent, un accompagnement dans la transition vers le camion autonome sera mis en place », entrevoit Jacques Van Wittenberghe, directeur du programme E-Way de l’O.I.E(2).
Cependant, même si les poids lourds 100 % autonomes, soit sans chauffeur, ne devraient pas rapidement envahir les routes, il en est autrement pour les convois de camions automatisés. Tous les spécialistes s’accordent à dire que le platooning se déploiera d’ici 4 à 5 ans. Le conducteur de camion voit ainsi ses missions transformées. « L’automatisation du fret routier nécessitera le recrutement de nouveaux chauffeurs, constate Rodolphe Allard, commissionnaire de transport, président et cofondateur de Chronotruck, une entreprise qui compte investir le champ des camions autonomes. Il faut revaloriser le métier de chauffeur pour attirer des candidats potentiels. En effet, le poste sera davantage qualifié, avec des missions de pilote d’engin. Le futur conducteur deviendra polyvalent et capable d’utiliser des logiciels de gestion tout en pilotant son activité. » Autrement dit, une formation des futurs conducteurs des camions de tête de convoi s’impose. « La formation du chauffeur doit lui permettre de supporter les nouveaux risques qu’entraîne ce type de convoi, par exemple la réduction de la distance de sécurité entre les camions », prévient Jacques Van Wittenberghe. En tout état de cause, la digitalisation du métier de conducteur s’accroît. « Sensibiliser davantage les chauffeurs aux outils numériques est inévitable aujourd’hui, notamment en leur fournissant un smartphone avec diverses applications », préconise Rodolphe Allard.
L’arrivée du camion autonome pose également la question de la sécurité. Des études sont menées pour répondre à ce défi, comme le projet « Safety » au sein de System X : « Le projet de recherche Simulation pour la sécurité du Véhicule Autonome (SVA) au sein de System X concourt à la démonstration par les constructeurs automobiles, de la sécurité du véhicule autonome. Il s’appuie sur la simulation numérique pour apporter les éléments de preuve scientifique de la sécurité. Par ailleurs, les transitions entre le mode manuel et le mode automatique du point de vue du conducteur sont un sujet d’études mené au sein de notre Institut », témoigne François Stephan, directeur général adjoint en charge du développement et de l’international de l’Institut de recherche technologique System X. Côté pouvoirs publics, citons l’Allemagne qui vient de créer une commission éthique en vue de s’assurer que les algorithmes du véhicule autonome resteront capables de prendre des décisions qui protègent l’humain. Par ailleurs, le 3 septembre dernier, la Commission européenne et le Parlement ont annoncé le démarrage de travaux sur la réglementation des voitures connectées. Sur le plan international, une première étape a été franchie par une réforme de la Convention de Vienne sur la circulation routière, adoptée par les Nations Unies en 1968. Ainsi, le 23 mars dernier, la commission économique des Nations Unies pour l’Europe (Unece) a annoncé que la Convention de Vienne autorise désormais les systèmes de conduites automatisées. Cependant, l’article 8 de la Convention qui prévoit que « tout véhicule en mouvement ou tout ensemble de véhicules en mouvement doit avoir un conducteur » n’a pas été modifié. Reste à savoir si cela peut laisser penser que le métier de conducteur de poids lourds a encore de beaux jours devant lui…
(1) Organisme rattaché à l’OCDE
(2) Observatoire de l’Innovation dans l’Énergie (programme e-way).