Le clivage Nord-Sud est toujours là

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Le clivage Nord-Sud est toujours là

Président de l’autorité portuaire de Trieste et d’Assoporti, l’association des autorités portuaires italiennes, Zeno D’Agostino pointe les forces et les faiblesses de la péninsule ancrée dans la Méditerranée.
L’OFFICIEL DES TRANSPORTEURS : Au chapitre conteneurs, le port de Trieste joue désormais un rôle de protagoniste en Italie. Quel est votre bilan ?

ZENO D’AGOSTINO : L’an dernier, le volume de trafic a augmenté de 27 % par rapport à l’année précédente. Nous sommes aujourd’hui à plus de 616 000 EVP. Si l’on ajoute à cela le trafic de conteneurs avec les semi-remorques et les caisses mobiles, le volume est de quasiment 1,3 MEVP, soit une hausse de 13,5 % toujours par rapport à l’année précédente. Il est certain que ces chiffres ne sont pas comparables à ceux des ports d’Europe du Nord, mais ils démontrent la vitalité et le dynamisme sans précédent du port de Trieste. C’est un résultat extraordinaire dû à deux raisons en particulier. Trieste joue d’abord un rôle de port de transbordement, ce secteur représentant environ 40 % de nos activités conteneurs. Nous sommes favorisés par la qualité des fonds marins profonds qui permettent le transit des paquebots de grandes dimensions et le départ des autres navires en direction des ports de la partie haute de l’Adriatique comme Ravenne, par exemple. C’est un avantage, mais pas un atout majeur, car d’autres ports ayant une bonne profondeur peuvent se lancer dans la course en réduisant les prix. Nous avons sous les yeux les exemples des ports italiens de Gioia Tauro (Calabre) et de Cagliari (Sardaigne), qui ont perdu une grande partie ou quasiment tout leur volume de trafic de conteneurs à cause de la concurrence. Il ne faut pas se limiter au transbordement.

Quelle est l’autre raison pour laquelle Trieste tient la rampe en termes de volume ?

Z.D.A. : Le deuxième facteur essentiel est la vocation ferroviaire importante du port, qui permet d’augmenter le transport des conteneurs. Le fer et les efforts pour renforcer le système séduit les compagnies d’armateurs et les investisseurs internationaux qui observent notre politique de développement avec grand intérêt. Organiser des trains de Budapest à la Belgique, comme nous le faisons, n’est pas une mince affaire. Derrière ce type d’opérations se cache tout un savoir-faire.

La tendance à la hausse a continué début 2018 au chapitre des conteneurs, ce qui démontre que notre politique de développement de l’intermodalité avec le fer fonctionne. Nous sommes entrés dans un cercle vertueux, les trains augmentent parce que le volume augmente et vice-versa. L’avantage de faire partie d’un territoire périphérique nous évite les risques de saturation. Nous songeons à développer les trains cette année pour augmenter notre volume de trafic de conteneurs.

À ce sujet, faut-il mettre en place une politique de remise en ordre à l’échelle nationale pour accélérer ou relancer certains sites comme Gioia Tauro ?

Z.D.A. : Disons plutôt qu’il faut utiliser les infrastructures et les remodeler comme nous l’avons fait à Trieste. L’objectif doit toujours être celui du développement des trafics et il convient de créer les conditions de marché afin d’attirer les investissements. Les investisseurs privés peuvent avoir des difficultés en cas d’intervention sur des infrastructures publiques. C’est là qu’il faut créer des possibilités d’investissement dans le privé. Les chantiers dans des ports en dif–ficulté, je pense à Tarente (Pouilles), doivent être lancés dans le cadre d’une réflexion. Il faut réveiller les marchés, rendre le territoire séduisant. Créer des infrastructures neuves en abandonnant les vieux réseaux ne sert strictement à rien. À titre d’exemple, en 2006, le nombre de trains de marchandises en circulation représentait le double du volume actuel. Ils passaient bien quelque part ces trains. Donc, parler de déficit aujourd’hui n’a aucun sens. Une partie des trains a été transférée sur le réseau à grande vitesse, ce qui signifie que le réseau traditionnel a été libéré en termes de trafic. Les infrastructures existent, il faut les valoriser.

Dans certaines régions pourtant, on peut parler de déficit…

Z.D.A. : C’est vrai… je pense à Naples, mais on ne peut pas continuer à parler de déficit, c’est un faux alibi. Il est essentiel de tenir compte des liaisons géographiques, optimiser pour rentabiliser. Ce n’est pas en construisant des quais, des tronçons de voie ferrée à Gioia Tauro, que l’on va résoudre les problèmes portuaires. La force de Gioia Tauro, c’est la mer, et non la terre. On ne peut pas penser à la construction d’un réseau ferré pour raccorder ce port à l’Autriche comme Gênes ou Trieste, ce serait ridicule. Il faut songer aux routes à relier par voie maritime, le port étant situé en pleine Méditerranée. Il faudrait songer à développer le transport de marchandises par voie d’eau maritime. La situation géopolitique est différente car il y a eu des changements, des bouleversements importants, mais il faut penser à demain.

En tant que président d’Assoporti, vous avez évoqué la capacité des ports italiens en termes de compétitivité et de développement…

Z.D.A. : Nous avons les ressources nécessaires au développement du système portuaire italien, en termes de ressources humaines. Les autorités portuaires ont démontré qu’elles ont le savoir-faire et les bagages nécessaires pour programmer les opérations de développement et regarder l’avenir d’un point de vue stratégique. Il faut seulement réfléchir et cibler les interventions en fonction des ports, de leurs zones de compétences et de leur fonctionnement. L’adoption de la réforme portuaire a remodelé le paysage et les systèmes de gouvernance. Au niveau d’Assoporti, nous pouvons intervenir auprès des instances européennes pour faire entendre notre voix et faire comprendre que le système portuaire est un rouage essentiel de l’économie. Le scénario au niveau mondial a changé, les dimensions de plus en plus importantes des cargos génèrent une économie d’échelle pour les compagnies de navigation, mais obligent les ports à adapter leur aménagement. Il y a des transformations au niveau des terminaux portuaires avec l’achat de structures par des armateurs et des fonds d’investissement. En l’absence de réglementation internationale, les ports doivent accepter les conditions des armateurs, au risque d’être exclus des circuits de trafic. Nous sommes dans une époque de changements importants.

Au chapitre politique, les positions anti-européennes des vainqueurs des législatives du 4 mars dernier, le M5S et la Ligue du Nord, peuvent-elles remodifier la donne en ce qui concerne notamment les transports maritimes ?

Z.D.A. : À partir du moment où la campagne électorale est terminée, il est presque certain que ces partis vont revoir leurs positions. Ils vont devenir plus politiques et plus concrets. Je pense personnellement qu’ils vont rentrer dans les rangs. Il faut modifier notre perception de l’Europe et comprendre qu’appartenir au cercle d’une monnaie forte est un facteur primordial en termes de développement et de possibilités d’avenir. L’Italie a toujours eu du mal à se sentir partie en cause ou partie prenante d’un contexte international. Notre système industriel est basé sur un tissu de PME, Fincantieri [chantiers navals] est l’un des rares groupes à avoir les épaules larges et à jouer un rôle important. Le réseau d’exportations italiennes est basé sur une multitude d’entreprises. Il faut rassembler, renforcer. Nous devons réfléchir autrement et avoir une finance qui soutient la réalité industrielle. Dans les pays voisins, les institutions accompagnent toujours le processus d’élargissement de l’industrie. Pas en Italie. Le prochain gouvernement et nos institutions doivent comprendre qu’il faut s’intégrer dans un nouveau système basé sur des rapports de force économiques.

La Ligue du Nord veut favoriser l’économie du Sud pour élargir son bassin potentiel d’électeurs. Elle promet des mesures importantes pour dynamiser cette partie du pays. Quel est votre sentiment à ce propos ?

Z.D.A. : La Route de la Soie n’est pas le seul et unique enjeu pour les ports italiens. Il y a la Méditerranée, où la situation politique se normalise et qui peut, si elle est bien exploitée, relancer l’économie du sud de l’Italie à travers ses ports. Le monde africain est essentiel, alors ne perdons pas cette occasion. Je le répète, il faut changer notre perception et devenir plus « internationaux ». Cela dit, en tant que représentants de l’Assoporti, nous sommes déçus que la question des transports n’entre pas dans le débat politique électoral, alors que nous jouons un rôle important dans l’économie du pays. Ce thème ne passionne pas les électeurs, alors que les infrastructures sont essentielles dans notre vie quotidienne. Il faut mobiliser l’opinion publique en organisant des rencontres avec les citoyens, inscrire la question des infrastructures dans les discussions politiques et électorales.

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