La vigilance s’impose en permanence au transporteur

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« Quelques conseils et précautions pratiques à l’attention des transporteurs dans le cadre du transport intérieur de marchandises par route », par Me Renaud Clément, avocat au barreau de Paris, cabinet Arsinoe.
1. La formulation de réserves lors de la prise en charge

L’émission d’une lettre de voiture sans réserves est lourde de « responsabilités » pour le transporteur. Elle stigmatise en effet, sur le plan documentaire, la notion de prise en charge au sens de l’article L 133-1 du Code de commerce et fait naître une présomption de responsabilité à son encontre. En clair, il est inutile aux « intérêts marchandise » de prouver la faute du transporteur pour engager sa responsabilité.

La première obligation du transporteur est donc de s’assurer de l’inscription, au visa même de cette lettre de voiture, des éventuelles réserves qu’il entend prendre à l’égard de la marchandise qu’il reçoit de l’expéditeur. Et précisons-le ici, il peut s’agir de réserves relatives à l’état de la marchandise elle-même, comme aux conditions de prise en charge. À cet égard, le transporteur qui s’estimerait improprement mis en mesure d’assurer sa mission devra bien, sauf à ce qu’il refuse purement et simplement d’exécuter celle-ci comme il en a le droit, prendre a minima toutes réserves utiles en indiquant de façon extrêmement précise ce en quoi les conditions de prise en charge auxquelles il se plierait ne seraient pas optimales. Prenons le cas du transport de citernes : le transporteur dont l’ordre d’affrètement mentionnerait une exigence de bons de levage devra, s’il estime que cette mention résulte d’une erreur, le relever clairement par écrit à titre conservatoire et, par prudence si cela est matériellement possible, attendre la confirmation écrite de son donneur d’ordre qu’il l’entend également bien ainsi, avant de poursuivre l’exécution de sa mission.

2. En cas de litige après prise en charge : saisine immédiate de son assureur et/ou du cabinet d’expertise « transport » associé.

Les assureurs responsabilité civile des transporteurs bénéficient d’un réseau attitré d’experts. Dans le cadre d’une relation suivie et d’une vision d’entreprise à moyen terme, il est important que les assurés s’attachent à nouer des liens privilégiés avec certains d’entre eux. De la sorte, des réflexes et « process » pourront se mettre en place et s’avérer fort utiles sur le plan opérationnel, le moment venu.

En cas de litige après prise en charge, il incombera au transporteur, en cas de mise en cause à son endroit pendant l’acheminement, et a fortiori lorsque des réserves « précises et immédiates » (trois jours en cas de dommages non apparents) seraient prises lors de la livraison par le destinataire, de contester cette mise en cause et/ou lesdites réserves, tant dans leur principe que dans leur quantum et ce, de façon efficace, c’est-à-dire suffisante pour renverser la présomption de responsabilité qui pèse sur lui. S’il peut le faire par tout moyen (la preuve est libre en matière commerciale), le recours à l’expertise demeure le plus pertinent, à la condition que cela s’inscrive dans un cadre contradictoire (les juges exigent la preuve des convocations pour en attester) et ce, à la lumière des dispositions prescrites par l’article 1363 du Code civil. Au cas où sa responsabilité serait alors établie ou avérée, ce sera, à tout le moins, la seule occasion pour lui de se préserver toute preuve de nature à mettre en échec l’éventuelle faute inexcusable qui pourrait lui être reprochée par application de l’article L 133-8 du Code de commerce et qui ferait donc sauter le plafond de responsabilité dont il bénéficie (33 € ou 20 € par kilo de poids brut de marchandises manquantes ou avariées avec un plafond respectif de 1 000 € et 3 200 € suivant le contrat-type général dans sa version applicable depuis le 1er mai 2017).

3. Le transporteur ne doit pas oublier qu’indépendamment du fond de la réclamation, il bénéficie, de façon intrinsèque, de moyens d’irrecevabilité redoutables.

3.1. Forclusion (article L 133-3 du Code de commerce) : il s’agit de l’obligation pour le réclamant de notifier (par LRAR) au transporteur une « protestation » motivée dans les trois jours de la livraison. Pour schématiser, et comme la jurisprudence la plus récente en témoigne, l’exigence impérative du respect de cette formalité demeure pleine et entière dans les trois cas suivants :

– absence totale de réserves à la livraison,

– réserves non valables (de type « sous réserves » ou sans signification),

– contestation expresse des réserves du destinataire par le transporteur, ou contradiction manifeste de celles-ci.

Ses effets sont radicaux : responsable ou non des pertes ou avaries, le réclamant se trouve forclos, et donc dans l’impossibilité de mener à bien sa réclamation, au fond, à l’encontre du transporteur.

3.2. Irrecevabilité pour défaut de qualité pour agir : le contrat de transport est un contrat à trois. Sauf à prouver de façon certaine leur qualité d’expéditeur ou de destinataire réel, seuls ceux mentionnés au visa de la lettre de voiture sont recevables à agir à l’encontre du transporteur. À défaut et par l’effet des dispositions prescrites par les articles 32 et 122 du Code de procédure civile, tout réclamant s’avérerait là encore irrecevable.

3.2. Enfin, toute action doit être intentée à l’encontre du transporteur dans le délai d’un an à compter de la livraison ou, en cas de perte totale, à compter de la date à laquelle la marchandise aurait dû être livrée (art. L 133-6 du Code de commerce). À défaut, toute réclamation sera considérée comme prescrite, c’est-à-dire comme non susceptible d’être utilement intentée, car « hors délai ».

Sans doute, le droit français admet des causes d’interruption et de suspension de prescription (outre l’assignation en justice, la reconnaissance de responsabilité et le report de prescription). Mais lorsqu’en amont d’un procès, une réclamation « hors délai » est présentée au transporteur au prétexte d’un report conventionnel de prescription, il y aura tout lieu pour lui de vérifier, outre l’identité du réclamant (cf. point 3.2 infra) et son intérêt à agir (notamment en cas de subrogation) au sens de l’article 31 du Code de procédure civile, la validité du report (l’émetteur du report avait-il bien qualité pour le faire ?).

C’est donc la vigilance qui s’impose en permanence au transporteur. Il doit être conscient de ses droits et obligations au moment de la contractualisation (les contrats-types ne constituent que des « guides » !) et de la prise en charge (cf. 1). Il devra faire preuve de réactivité en cas de contestation et dans la prise de mesures conservatoires (cf. 2). Dans la négociation post-litige, il vérifiera enfin le strict respect par les réclamants de leurs obligations formelles (cf. 3 infra) et dont les effets radicaux constituent une contrepartie bien méritée de la présomption de responsabilité qui pèse sur lui en amont.

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