« La logistique, force de notre territoire : personne ne s’en inquiète »

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François-Michel Lambert estime que la France a un temps de retard dans la mise en place d’une logistique urbaine qui performe, car « les règles ne sont pas prêtes ». Le député regrette que la marchandise n’ait pas été intégrée aux Assises nationales de la mobilité qui viennent de s’achever. Il milite pour un renforcement de la productivité du transport routier.
L’Officiel des Transporteurs : Que faut-il, selon vous, retenir des Assises nationales de la mobilité sur le volet marchandises ?

FRANÇOIS-MICHEL LAMBERT : Dans ces Assises, la question de la logistique sur un spectre large a été traitée en marge. On pourrait le regretter car je pense qu’avant d’arriver dans l’urbain ou d’en repartir, il faut que la marchandise effectue de l’interurbain. Au cours de ces Assises, sur le volet logistique urbaine, des questions ont été posées. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on ne se rend pas compte de la vitesse à laquelle les choses vont être bouleversées. D’ici 4-5 ans, les grandes métropoles d’Europe vont avoir besoin de trouver 25 % à 30 % de parc immobilier urbain en plus pour la logistique. Cela équivaut à environ 200-300 000 m2 d’espaces de stockage à trouver en 4 ans, soit 80 000 m2 par an. Cela me paraît un objectif inaccessible sans un volontarisme fort de l’État, des collectivités. Surtout, cela nécessite la mise en œuvre d’outils spécifiques qui tiennent compte de ce bouleversement.

Il va donc falloir s’activer ?

F. M. L. : En ce début de législature, nous sommes dans la même position qu’en 2012 à la même date sur la question des VTC. Personne ne connaissait Uber fin 2012 ; début 2013 on en parle ; milieu 2013, cela commence à castagner et pendant 3 ans, la situation devient compliquée à gérer. C’était pourtant facile Uber, on pouvait mettre en place des règles très restrictives…

Aujourd’hui, on se projette sur l’approvisionnement de la ville au moyen de règles qui ne sont pas prêtes, de nouveaux acteurs qui arrivent et qui vont tout bouleverser. En clair, on ne se donne pas les moyens pour anticiper et ajuster…

Faites-vous allusion au boom du e-commerce et à l’émergence des plateformes numériques ?

F. M. L. : Tout à fait. Je fais référence également aux nouveaux acteurs qui arrivent en s’appuyant sur la data pour améliorer leurs performances, apporter de nouvelles réponses, des innovations… Aujourd’hui, rien n’empêche de déstructurer les formats de livraison urbaine en s’appuyant sur les voitures de particuliers, les piétons, les espaces de stockage proches.

Lesquels espaces pourraient être l’œuvre de partenariats publics-privés ?

F. M. L. : Nous avons l’exemple de Londres qui a mis en place des espaces de dialogue entre les acteurs (collectivités, transporteurs, chargeurs, chercheurs et citoyens) pour ajuster en permanence les règles de livraison de la cité en fonction d’exigences mais aussi d’évolutions technologiques ou organisationnelles. En France, à part quelques exemples à Paris et Lyon, nous en sommes dépourvus. Au niveau de l’État, on a encore moins d’outils pour aider, guider, anticiper.

Le président de France Logistique 2025 que vous êtes, face au chantier lancé l’an dernier par l’ancien secrétaire d’État aux Transports, Alain Vidalies, et par Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, est en train de nous dire qu’il serait temps de « passer la première sérieusement » ?

F. M. L. : Exactement. Je l’avais déjà dit à l’époque. La logistique est un levier de performance économique. Force est de constater qu’aujourd’hui, le frein à main est tiré car le levier ne s’actionne pas de façon performante en France, ce sont les études internationales qui le disent. Notre niveau de sous-performance économique (de surcoût) est estimé entre 20 et 80 Md€, situation qui n’est toujours pas prise en compte dans les politiques publiques.

Que préconisez-vous ?

F. M. L. : Ce que je recommandais mais qui n’a jamais été pris en compte – je le réitère donc — c’est que nous devrions disposer d’un secrétaire d’État à la Logistique ou, à tout le moins, d’un délégué interministériel. Bref, quelqu’un qui prenne en mains ces sujets, indépendamment d’autres sujets (transport de voyageurs…). La logistique (l’organisation des flux de marchandises et financiers par les flux d’informations) fait la force de nos territoires et de notre économie, mais personne ne s’en inquiète. Nous disposons aujourd’hui de circuits d’informations et de data (que l’on peut traiter, à moindre coût, avec la technologie de la blockchain) qui nous permettent de mettre en place des systèmes plus justes sur l’organisation des flux de marchandises et la manière d’y associer les flux financiers. Cette transformation très profonde n’est prise en compte par personne. Aujourd’hui, je ne travaille qu’avec les services du ministère des Transports…

Les enjeux sont pourtant considérables, non ?

F. M. L. : Oui, il en va de l’amélioration de la performance des entreprises, de l’abaissement des impacts environnementaux et sociaux ; il est question également des enjeux de transformation des emplois. On sait que 50 000 vont disparaître mais qu’autant et plus vont émerger. Prenez le cas de l’Allemagne : dans ce pays, on vend une logistique made in Germany. En France, on a des infrastructures remarquables autour de Roissy mais nous avons affaire, là, à des acteurs privés, dans leur propre sphère et pour leur propre sauvegarde. Sinon, on n’a pas du tout la prémisse d’une stratégie de performance rapide pour nos entreprises en matière de logistique. Prenez le document remis il y a 18 mois à France Logistique 2025, il n’a même pas fait l’objet de commentaires, de critiques, de considération par aucun politique. Si je n’avais pas été réélu (comme député des Bouches-du-Rhône, Ndlr), ce document n’existerait plus. Cela tient à une personne…

Cela doit-il être traduit, devant l’inaction des gouvernements successifs, par le message « laissons faire le marché » ?

F. M. L. : Le marché ira ailleurs, là ou on lui a donné les moyens d’être meilleur, notamment sur la capacité à accéder aux nouvelles technologies et à la data. Aujourd’hui, la France prend un leadership sur le véhicule autonome car nous avons changé, dans la loi Macron il y a 3 ans, les autorisations de tests de véhicules autonomes. Si Renault peut aujourd’hui tester un véhicule autonome sur l’autoroute de l’Ouest, c’est parce qu’il y a eu des évolutions législatives.

Si l’on revient sur les Assises de la mobilité, a-t-on une idée de ce qui va en sortir ?

F. M. L. : Ca va être très transport de voyageurs. Du coup, je pense que la question reste entière sur la logistique. Certes, on va apporter des réponses sur la logistique urbaine, mais celle-ci ne peut être traitée en dehors d’une globalité.

Et en matière de fiscalité des infrastructures ? Le gouvernement cherche toujours 10 Md€ pour leur financement à l’horizon 2022…

F. M. L. : J’attends d’être auditionné par le Comité des infrastructures… On a fait le constat d’échec de l’écotaxe. Demain, bâtissons un système sur la data : que transportez-vous ? Et on décide que le lait bio est détaxé et le non bio taxé ; que les déchets sont taxés mais pas les déchétriers ; que le camion qui transporte 30 palettes paye plus (on sait à qui rattacher les 30 palettes) que le camion qui n’en a qu’une ; s’il est au gaz, il contribue moins. Toutes ces data, on les possède… En deux ans, on peut mettre en place ce type de fiscalité.

On évoque beaucoup le retour de l’écotaxe à l’échelle régionale en PACA et dans le Grand Est…

F. M. L. : Lesquels s’enferment dans un modèle pendant que les autres vont avancer dans un autre modèle. Aujourd’hui, on pourrait très bien décider qu’un camion qui circule entre un point A et un point B doit fournir des données (sur lequel on l’impose) et que, s’il ne les fournit pas, il y a une fiscalité forfaitaire qui s’applique.

Sinon oui, on peut toujours introduire une écotaxe régionale. Mais que l’on ne se retrouve pas dans un modèle qui empêche d’aller vers une fiscalité appliquée à la réalité de « qui est le chargeur ? Ce qui est transporté ? Et comment ? ».

Vous allez faire ressortir les Bonnets rouges !

F. M. L. : Non, au contraire. C’est le chargeur qui doit prendre la responsabilité. Sinon, c’est « forfaité ». En fait, on n’a jamais eu de réel débat sur le sujet de la fiscalité. Dans la précédente législature, on nous a demandé de réfléchir sur un seul et unique modèle qui était Ecomouv. Ecomouv correspond à un cahier des charges de 2011. À cette date, aviez-vous un smartphone dans votre poche ? Aujourd’hui, avec votre appareil, je peux avoir accès à tout ce qu’a été votre journée, et encore, sans que j’y ajoute certains capteurs… On pourrait donc établir un cahier des charges en nous posant la question de savoir où nous en serons en 2020. Le système Galileo, beaucoup plus précis, aura alors été mis en place ; nous serons aux portes de la 5G et donc d’informations plus puissantes ; nous aurons 20 milliards d’informations sur les produits, etc.

Malgré les remarquables progrès effectués au niveau des motorisations, le camion continue d’être vilipendé par les politiques, les médias et l’opinion publique. Que faire ?

F. M. L. : Depuis trois ans, j’explique que la productivité du camion va prendre 30 % en quelques années, sans parler de la performance. J’en reviens à la data, celle qui consiste à faire émerger les bons élèves et les moins bons. Le camion de demain sera plus performant que le fer en termes d’impact environnemental. Je pense – et je le soutiendrai devant la commission Duron (celle sur les infrastructures, Ndlr,) – qu’il n’est pas opportun de développer les infrastructures ferroviaires. Il convient simplement de maintenir celles existantes. Il faut surtout se concentrer sur la question de savoir comment on accélère l’augmentation de productivité (au sens générique du terme) du transport routier. Là où arrivent les nouvelles technologies relatives à la motorisation, au pilotage, au taux de chargement, au platooning, à la consommation de carburant, les horaires décalés… Je pourrais très bien m’installer au comptoir d’un bar et me lancer dans un « “yaka fokon” élimine les camions et tout ira mieux ». Mais là, on passe à côté…

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