Année noire pour les commerçants et les industriels, 2018 restera aussi dans l’histoire des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) dont certaines ont vu leur activité perturbée par les actions des Gilets Jaunes. À l’instar de Vinci Autoroutes, qui vient d’annoncer que son activité sur les deux derniers mois de 2018 a été touchée. Malgré ces événements, la majorité des SCA devraient voir leur activité progresser en 2018. Rappelons que ce secteur dénombre 19 groupes qui opèrent un réseau de 9 200 km sur un total d’environ 12 000 km d’autoroutes. Ces acteurs gèrent 134 barrières de péage pleines voies et 987 barrières d’échangeurs. Selon les prévisions du cabinet d’analyse Xerfi, publiées l’été dernier, leur chiffre d’affaires devrait augmenter de 3,5 % en 2018 et de 4 % en 2019. Cette progression repose sur trois éléments. D’abord l’augmentation du trafic liée à la hausse du tourisme et à la reprise du trafic des poids lourds. Second facteur, la hausse tarifaire qui devrait osciller, selon Xerfi, entre 1,33 % et 2,04 %. Dans les faits, ces prévisions seront probablement en baisse. Début février, APRR (Autoroutes Paris-Rhin-Rhône) annonçait une hausse moyenne de 1,80 % contre 2 % pour Area. Chez Vinci Autoroutes, qui regroupe Cofiroute, ASF et Escota, elle est en moyenne de 1,80 %.
Ces augmentations reposent sur trois facteurs. L’inflation (1,36 % en moyenne), la hausse de la redevance domaniale payée à l’État et la compensation du gel des prix des péages en 2015 (+ 0,25 % en moyenne suivant les contrats). L’augmentation des tarifs tient aussi compte des travaux demandés par l’État afin de fluidifier le trafic et réduire son empreinte environnementale. Le financement de ces travaux est pris en charge par les SCA dans le cadre du plan d’investissement autoroutier (PIA). Lequel succède au plan de relance autoroutier, dont l’investissement de 3,27 milliards d’euros est complètement financé par l’allongement des concessions de 2,5 années en moyenne. Portant sur 20 opérations majeures, ce plan vise à améliorer la sécurité et la fluidité du trafic. Quant au PIA, le montant de l’investissement pour l’ensemble du réseau s’élève à 700 millions d’euros, financé par les collectivités locales et la hausse des péages. Soit en moyenne + 0,20 %. Ce PIA prévoit une cinquantaine de chantiers dont la construction d’une vingtaine d’échangeurs autoroutiers, des murs antibruit et l’aménagement de parkings de covoiturage.
En matière de prestations, les sociétés d’autoroutes ont réalisé d’indéniables efforts pour moderniser leurs aires de services. Avec ses quelque 4 500 kilomètres de réseau autoroutier, Vinci Autoroutes en compte 187 dont 120 ont été modernisées depuis 2013 afin daméliorer leur confort et inviter les usagers à prolonger leur pause. Dans le cadre du renouvellement de ses sous-concessions (leur durée est de quinze ans en moyenne), le groupe accueille sur ces aires de services de nouvelles enseignes de distribution de centre-ville et a entrepris de rénover les bâtiments et leurs abords. Il s’est appliqué aussi à améliorer la sécurité des usagers en séparant les flux de véhicules légers et de poids lourds. À l’exemple de l’aire de Limours-Janvry qui vient d’être rénovée. Située sur l’A10, qui est empruntée par 85 000 véhicules par jour, celle-ci proposera dans le courant de ce premier semestre des bornes haute puissance pour la recharge de véhicules électriques. Côté restauration, plusieurs enseignes y sont installées telles que Paul, McDonald’s Originals et Pizza Hut Express. De quoi intéresser les conducteurs de PL qui préfèrent déjeuner dans leur cabine assis devant un écran. Les rénovations ont également bénéficié aux aires jumelles de Chartres-Gasville et Chartres-Bois-Paris sur l’A11 qui reçoit 36 000 véhicules par jour. Conciliant aussi détente et sécurité, toutes deux préfigurent, selon le groupe Vinci Autoroutes, les aires d’autoroutes de demain avec une architecture des bâtiments repensée. Et notamment des bornes de recharge électrique dont quatre de très haute puissance. De quoi susciter l’attention des transporteurs qui rêvent d’investir dans des camions électriques.
Les rénovations entreprises par les sociétés autoroutières concernent aussi les aires de repos. L’enjeu est d’inciter les usagers à faire une pause, se désaltérer et éviter ainsi l’assoupissement, facteur d’accidents. En témoigne le groupe APRR, qui couvre les régions du centre et de l’est de la France. Soit 2 250 km d’autoroutes, dont 1 800 km en propre et 450 km pour sa filiale Area. Ce réseau compte 97 aires de services comprenant au moins une offre de restauration ainsi que 150 aires de repos. La moitié d’entre elles est équipée soit d’espaces de jeux pour les enfants soit d’équipements de fitness pour les adultes. C’est notamment le cas des aires de La Loyère (A6) et du Lavaret (A43).
L’occasion pour les conducteurs de poids lourds d’y pratiquer des exercices d’étirement sachant que peu d’entre eux ont le temps ou le courage de faire de la gymnastique après leur journée de conduite. « En outre, nous avons ouvert en 2017 six espaces de sport pour les amateurs de football et de basket-ball », fait valoir Guillaume Hérent, directeur de clientèle du groupe APRR.
Par ailleurs, cette société d’autoroutes a conclu un contrat de plan avec l’État portant sur la durée 2014-2018 afin de rénover ses installations sanitaires ouvertes au public. Ces travaux ont concerné une partie de ses aires de repos. Mais aussi la totalité de celles du réseau Area, sa filiale rhône-alpine. Les sanitaires ont été rénovés de sorte que leur entretien soit facilité. Un effort particulier a été accompli pour les conducteurs de PL. « Ces deux dernières années, nous avons installé sur certains emplacements réservés aux poids lourds des sanitaires plus confortables où ils peuvent se raser et faire leur toilette dans des cabines isolées », indique Guillaume Hérent. En matière de communication, les SCA ont fait de gros efforts pour informer leurs usagers via les réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter ou sur leur site Internet. Cela ne semble pas suffisant car les utilisateurs déplorent la pauvreté des informations délivrées par les panneaux d’affichage. Par exemple, ils ne fournissent pas de façon dynamique le nombre de places disponibles sur les parkings sécurisés ou sur les aires de stationnement PL.
Une lacune que comble l’A63 ouverte depuis 2013. Rappelons que cette autoroute assure la continuité du trafic entre la péninsule ibérique et l’Europe du Nord via Bordeaux. De ce fait, elle est empruntée par 30 000 véhicules par jour dont un tiers de poids lourds. La concession du tronçon nord, qui traverse les Landes, a été confiée à la société Atlandes. Cette dernière en a confié l’exploitation à Egis, filiale à 75 % de la Caisse des dépôts. « Les 25 % restants appartiennent au personnel », indique Richard Lengrand, directeur général d’exploitation Aquitaine chez Egis. La mission de l’exploitant consiste à maintenir l’autoroute en bon état de circulation et de gérer le trafic routier au moyen notamment de panneaux à messages variables. Ces derniers concernent la sécurité et la disponibilité des aires de stationnement pour les poids lourds. Ces panneaux indiquent en temps réel la disponibilité des places sur les aires qui leur sont dédiées. « Sur les 104 km que nous exploitons, huit aires de repos ont été aménagées à proximité desquelles se trouvent les parkings destinés aux conducteurs de PL, explique le dirigeant. Protégées par des caméras de vidéosurveillance, 1 200 places de parking leur sont réservées. » Ces aires PL sont équipées de sanitaires et de douches gratuites avec eau chaude grâce à l’installation de pompes à chaleur. Par ailleurs, pour se restaurer, ils ont à leur disposition quatre aires de services où des restaurants les accueillent 24 h/24.
Concernant la maintenance de l’autoroute, Egis développe depuis deux ans un logiciel qui va deviner de manière prédictive les pannes sur certaines portions d’autoroutes. Il s’agit d’une première dans le domaine autoroutier, selon l’exploitant. En pratique, le logiciel conçu par la start-up bordelaise Qucit donne des tendances sur les horaires, jours et lieux où des accidents sont susceptibles de se produire avec un taux de précision de 85 %. Cela permet de prévoir des renforts et de réduire le temps d’intervention nécessaire aux équipes pour la reprise du trafic en cas d’accident. L’outil utilise un algorithme qui exploite une base de données des événements géolocalisés ainsi que d’autres informations comme la météo, les calendriers scolaires français et espagnol. Des efforts ont été déployés également au niveau des barrières de péage. À titre d’exemple, chez Vinci Autoroutes, un bouton de télé-appel est mis en place pour les conducteurs de poids lourds qui rencontrent des problèmes techniques par exemple sur le fonctionnement de leur télébadge. Rappelons que les péages autoroutiers peuvent être payés de différentes façons. D’abord par boîtier de télépéage appelé aussi « badge Tis-PL ». En 2017, on dénombrait 810 000 abonnés au badge Tis-PL selon le site Autoroutes.fr édité par l’association des sociétés françaises d’autoroutes (Asfa). Sur les 179 millions de transactions effectuées par les poids lourds, le boîtier de télépéage en représentait 91 %. Le reste provenant notamment des cartes multiservices émises par Total, UTA, DKV, etc. Selon les émetteurs, ces cartes permettent aux conducteurs d’acheter du carburant, des accessoires et des services liés à l’entretien du véhicule. Tels que le lavage ou le dépannage, parking sécurisés, etc. Avantage pour l’employeur, il n’a plus à rembourser de multiples notes de frais. En outre, il se retrouve avec une seule facture à traiter en fin de mois. Aussi pratique soit-il, le paiement du trajet autoroutier par carte multiservices pâtit d’un problème de sécurité. Et ce, dans la mesure où, lors du passage à la barrière de péage, il n’est pas demandé au conducteur de taper un code PIN. Une faille relevée par des bandes organisées. Lesquelles en profitent pour mettre en circulation des cartes contrefaites. Ce qui leur évite d’avoir à payer les péages. D’où la nécessité, en cas de perte de carte, de le signaler immédiatement à l’émetteur de la carte et surtout d’avoir un œil avisé pour repérer les éventuelles fraudes.
« Ce problème de sécurité nous a d’ailleurs conduits à retirer en 2017 le règlement des péages de notre carte multiservices », indique Marie Bandelier, responsable marketing Fleet Solutions chez Shell France qui fête ses 100 ans cette année. À défaut de proposer le règlement du péage par carte multiservices, le groupe pétrolier anglo-néerlandais propose deux boîtiers de télépéage. Le premier, Interoute, utilise la technologie micro-ondes (DSRC)1. Ce type de boîtier est accepté en France, Espagne, Portugal et dans certains tunnels en Allemagne et en Belgique. Le second boîtier, Interoute Plus, utilise la technologie satellitaire (GNSS)2. Ce qui lui permet d’être compatible avec davantage de réseaux à l’étranger. Dont le réseau belge Viapass. Il sera bientôt autorisé en Autriche. Ce badge est proposé en partenariat avec Axxès, un des cinq émetteurs de badges agréés par l’Asfa avec Eurotoll, DKV, Total GR, et Telepass.
À la différence des cartes multiservices, seul le paiement des péages par badge permet de profiter de remises commerciales. Lesquelles sont accordées par les SCA aux véhicules et non à la flotte. Par ailleurs, ces remises sont plafonnées à 13 %, en application de la directive européenne du 29 avril 2004, qui a institué le système européen de télépéage. « À titre d’exemple, sur le réseau APRR, le conducteur qui dépense 150 euros par mois en péage bénéficiera d’une remise de 7 % plus un supplément de 6 % s’il conduit un véhicule Euro 6 », nous indique un commercial de Total qui commercialise, en plus de sa carte GR, le boîtier de télépéage Passango, accepté en Espagne, au Portugal, en Belgique et, d’ici à quelques mois, en Allemagne ainsi qu’en Autriche. L’année 2019 devrait d’ailleurs être l’année de décollage des télébadges satellitaires interopérables et géolocalisables. Lesquels sont appelés à gagner du terrain du fait du développement des taxes et de l’application du principe pollueur-payeur, selon Régis Cottereau, directeur commercial de Telepass France. Filiale du groupe italien éponyme, l’entreprise a lancé en avril 2018 son dernier modèle Telepass Sat. Environ 100 000 unités ont été installées. Ce boîtier est utilisable dans plusieurs pays : Autriche, Belgique, Espagne, France, Italie, Portugal, et sur une partie du réseau polonais. « En mars prochain, il sera utilisable en Allemagne et Scandinavie », indique Régis Cottereau. Ce boîtier géolocalisable et interopérable est proposé en association avec l’application KMaster Business qui permet, entre autres, d’affecter des missions aux chauffeurs et de faire du Geofencing. En juin prochain, cette application sera associée à d’autres modules pour récupérer les données du chronotachygraphe ainsi que celles du CAN-bus afin de consulter les consommations du véhicule et faire de l’éco-conduite. À condition que le boîtier soit connecté aux équipements correspondants. En matière de télépéage, le français Axxès n’est pas en reste. Créée en 2005, cette PME de 70 personnes revendique le fait d’avoir été longtemps la seule à assurer l’interopérabilité des télépéages. « Nous gérons plus d’un milliard de flux de péage », indique Jérôme Lejeune, président d’Axxès qui dénombre 330 000 boîtiers déployés dont un tiers est immatriculé en France. Basée à Lyon (69), l’entreprise délivre deux types de boîtier. L’un à technologie micro-ondes (DSRC) utilisée massivement en France, et le second à technologie satellitaire (GNSS), lancé il y a cinq ans. Ce dernier est multifonctions. « Il permet de circuler dans différents pays comme l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, le Portugal, dans les Herrentunnel (Allemagne) et Liefkenshoek (Belgique). Il fournit aussi une application de gestion de flotte qui optimise les coûts », fait valoir le président d’Axxès. Ce dernier attend avec impatience de proposer à ses clients l’interopérabilité avec l’Allemagne. « Nous avons identifié que plus de 60 % de nos abonnés s’y rendent au moins une fois par an », constate Jérôme Lejeune. Ce dernier se frotte déjà les mains sachant qu’en Europe, c’est l’Allemagne qui collecte le plus de péages devant la France et la Belgique.
1 Dedicated Short Range Communications
2 Global Navigation Satellite System