En France, le marché des cartes carburant se porte bien avec plus de 3 à 4 % de croissance annuelle selon UTA (Union Tank Eckstein GmbH & Co. KG), un des principaux acteurs qui enregistre une croissance à deux chiffres avec 1 million de cartes et télébadges en circulation en Europe. Cet acteur historique fait partie des leaders du marché avec AS24, DKV Euro Service, IDS ou encore Shell. Ces opérateurs de cartes multiservices sont confrontés à la disparition progressive des stations essence. Principales causes, le manque de rentabilité des petites stations, l’absence de repreneurs en cas de départ à la retraite ou une fermeture causée par un projet d’aménagement.
Selon l’Union française des industries pétrolières (Ufip), leur nombre est passé de plus de 40 000 en 1980 à 11 147 fin 2017. Soit 6 031 pour les réseaux traditionnels des pétroliers contre 5 116 pour les acteurs de la grande distribution (Auchan, Carrefour, Casino, Cora, E. Leclerc, Intermarché…), sachant que ces derniers réalisent 61,4 % des ventes sur un total de 44 millions de mètres cubes. Ce succès repose sur le fait que les prix affichés à la pompe sont les plus bas du marché. De quoi intéresser les transporteurs routiers, qui ont vu le coût du gazole professionnel augmenter de 17,8 % entre août 2017 et août 2018 et de + 8,4 % depuis décembre 2017 d’après les dernières statistiques du Conseil national routier (CNR). Situées en général à proximité des petites et moyennes villes, les stations d’essence de super et hypermarchés suscitent aussi le vif intérêt des émetteurs de cartes qui veulent améliorer le maillage de leurs réseaux. Le climat s’y prête car les achats en vrac pour les flottes sont passés de 6,4 millions de mètres cubes en 2016 à 6,8 millions de mètres cubes en 2017, soit une progression de 6,5 %. Dans le sillage d’Intermarché, plusieurs grandes enseignes se sont lancées depuis 2012 dans l’émission de cartes carburant afin de gagner et de fidéliser de nouveaux clients… tout en supprimant le personnel de caisse, sachant que le paiement par cartes carburant leur évite d’avoir à émettre des factures à chaque prise. Parmi les nouveaux arrivants, citons Carrefour, qui disposait fin septembre d’un réseau de près de 456 stations, dont près de 95 équipées d’une piste poids lourds, selon son site Internet. Son offre s’adresse aux flottes allant de 2 à 200 véhicules. Cette cible intéresse également Intermarché, qui compte 1 500 stations essence. « 400 d’entre elles sont équipées d’une piste pour les poids lourds », indique Arnaud Régent, directeur général de La Compagnie des cartes carburant, une entreprise spécialisée dans l’émission de cartes pour la grande distribution. À commencer par Intermarché, qui s’est lancé dès 2012. Sa carte est gratuite la première année, puis il faut compter 5 euros par carte et par an, hors frais de gestion, qui s’élèvent de 1 à 2 % selon le volume. « 50 000 cartes Intermarché ont été émises pour répondre aux besoins de 5 000 entreprises de transport routier », poursuit Arnaud Régent, dont le chiffre d’affaires a augmenté de 20 %, passant de 124 millions d’euros en 2016 à 145 millions en 2017. Intermarché n’est pas le seul à proposer une carte de paiement. C’est aussi le cas de Carrefour et de Leclerc. Le réseau de ce dernier, constitué de 13 stations en bord d’autoroutes, accepte, entre autres, les cartes UTA, Shell ou encore DKV Euro Service.
Présent sur le marché des cartes carburant depuis plus de quatre-vingts ans, DKV opère dans le monde plus de 3 millions de cartes et boîtiers de télépéage dédiés aux poids lourds, véhicules légers ou de transport de voyageurs. En France, le réseau de cet émetteur allemand dénombre aujourd’hui 3 100 stations partenaires dont 60 à 70 % peuvent accueillir des poids lourds. « Plus d’un tiers de notre réseau est constitué de stations low cost », précise Eddy Bahouche, directeur commercial France chez DKV. Cette évolution est particulièrement appréciée par ses clients. » En ayant des stations proches de nos trajets, nos conducteurs n’ont plus à faire de détours pour trouver des prix avantageux à la pompe », explique Didier Ramette, président du groupe France Benne.
« Sur nos 80 adhérents, 55 travaillent avec DKV pour un achat global, en 2017, de 8 millions de litres et 5 millions d’euros de péage », rapporte le transporteur, également directeur des Transports Ramette, à Merville (59) et Lafille, à Zoteux (62). Cet ensemble constitue un groupe de 100 salariés, dont 80 conducteurs et 75 tracteurs. Comme bon nombre de ses confrères, Didier Ramette dispose de ses propres cuves à domicile qui répondent à 80 % de ses besoins. Pour les 20 % restants, les chauffeurs s’approvisionnent dans des stations en vrac (30 %), chez DKV (10 %) et AS24 (60 %). Créée en 1988, cette dernière, filiale de Total,recenseplus de 30 000 clients qui ont accès à plus de 800 stations-service dédiées au poids lourd dans 28 pays dont 250 en France et quelque 12 000 stations partenaires. Ce qui en fait le premier réseau européen. AS24 et DKV sont les fournisseurs de cartes de Didier Ramette. Tous deux délivrent des services d’assistance et de dépannage. « Mais AS24 se distingue par sa capacité à fournir dans ses stations de l’AD Blue et à proposer un service de lecture de carte conducteur », indique le dirigeant. Ce service appelé Tak & Drive fonctionne à l’aide d’une borne installée en station qui récupère les données sociales des chauffeurs stockées dans le chronotachygraphe numérique lors de leur passage en station.
Les informations sont ensuite accessibles dans l’espace client du transporteur. « C’est un service très utile pour les conducteurs détachés », résume Didier Ramette. Concernant le prix des carburants, ce dernier estime que, au final, les coûts sont sensiblement identiques en DKV et AS24. Rien de surprenant. « L’intérêt d’une carte multiservices ne s’analyse pas seulement en termes d’économies réalisées sur l’achat de carburant et des péages mais il s’apprécie surtout en termes de services procurés », rapporte Philippe Auquière, dirigeant du cabinet Conseil Énergie et Transports. De gros efforts ont été accomplis par les émetteurs pour que les exploitants et les services comptables gagnent en productivité sur le reporting, le suivi des consommations par conducteur, la mise en place de plafonds modifiables en ligne à tout moment et sur la gestion des alertes temps réel en cas de fraude.
Les émetteurs de cartes permettent aussi aux entreprises de préserver leur cash flow en consentant des délais de paiement d’une dizaine à une quinzaine de jours. Voire même jusqu’à quarante-cinq jours, comme le propose DKV qui, dans ce cas, facture des frais de gestion en fonction des volumes. À l’instar d’UTA, qui cherche aussi à préserver la trésorerie de ses clients. Créée en 1963 outre-Rhin, cette entreprise diffuse une carte carburant acceptée dans 3 100 stationsenFrance. Notamment chez Esso Express, E. Leclerc et Cora. Sans oublier Auchan. « Nous sommes la seule carte multimarques acceptée par cette enseigne », s’enorgueillit Christian Wittmer, directeur d’UTA France, dont le capital est détenu à 17 % par ses fondateurs, en l’occurrence la famille Eckstein et à 83 % par le groupe Edenred. Ses cartes sont délivrées gratuitement contre paiement de frais de services sur les transactions effectuées. C’est depuis son siège social basé en Allemagne que sont émises les factures libellées en hors taxes. À la grande satisfaction des transporteurs français. « Comme nos achats sont facturés en hors taxes, cela nous évite l’avance de trésorerie de la TVA », fait valoir Mickael Bouchend-homme, cofondateur et cogérant de New Log, une entreprise de transport national et régional spécialisée dans les marchandises générales et produits secs.
Créée avec Clément Parmentier, celle-ci réunit une soixantaine de salariés et près de 50 cartes grises poids lourds. « Nous nous approvisionnons principalement chez Leclerc ou Auchan », rapporte le dirigeant, qui enregistre une croissance de 20 % de son activité cette année. En revanche, là où le bât blesse pour ce transporteur, c’est au niveau de la hausse du prix du carburant, un poste qui représente 20 % de son chiffre d’affaires. Or, les prévisions pour 2019 vont rester comparables à celle de 2018 avec le maintien d’un pétrole cher. Dans ce contexte, ce dernier a réussi à négocier auprès d’UTA un allongement des délais de paiement qui vont passer de quinze à vingt jours. Pour faciliter l’accès aux stations les plus intéressantes en termes de tarifs de carburant, UTA lui envoie chaque mois la liste par département. L’information est ensuite communiquée aux conducteurs. UTA propose aussi à ses clients une application sur smartphone qui filtre les stations-service en fonction des enseignes, des services disponibles, de l’emplacement géographique et du type de carburant. Il n’est d’ailleurs pas le seul à proposer une telle application. Leclerc a sauté le pas ainsi que DKV Euro Service. « Notre application aide les exploitants à optimiser les trajets au regard des prix à la pompe et de l’accessibilité des poids lourds aux stations-service », détaille Eddy Bahouche.
Idem pour Shell. Le groupe anglo-néerlandais propose une carte multiservices et multi-énergies. Grâce à son propre réseau et celui de ses partenaires – dont font partie Avia, BP, Esso, Esso Express et Leclerc – ses porteurs de carte ont accès à plus de 2 200 stations essence dont 1 500 sont adaptées aux besoins des transporteurs routiers. « Les conducteurs y trouvent des services réservés aux routiers tels que des douches ou des menus spéciaux », nous informe Marie Bandelier, responsable marketing Fleet Solutions chez Shell. Cette carte multiservices se fait aussi multi-énergies. Les conducteurs au volant de véhicules hybrides ou électriques ont désormais accès à plus de 13 000 bornes de recharge électrique du réseau NewMotion, une start-up rachetée en 2017 par le groupe Shell. De quoi intéresser les spécialistes du transport urbain. Côté péages, Shell propose à ses clients de les payer avec leur carte carburant ou avec un boîtier de télépéage. Ce dernier est accepté en France et dans plusieurs pays de l’Union européenne « à savoir l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, le Portugal et bientôt l’Italie et l’Allemagne », indique Marie Bandelier. D’autres opérateurs de cartes ont suivi le mouvement. C’est notamment le cas d’UTA, qui a lancé fin avril avec son partenaire Telepass le premier boîtier interopérable baptisé UTA One. Il est utilisable en France et aussi en Autriche, Belgique, Espagne, Italie, Pologne et Portugal. À ces sept pays viendront s’ajouter en 2019 l’Espagne et la Hongrie.
Pour sa part, DKV Euro Service prévoit de lancer fin 2018 son boîtier de télépéage européen. Ce dernier est testé par plusieurs de ses clients, dont Didier Ramette, qui en a équipé 12 camions. « Cet équipement facilite la vie des conducteurs, qui n’ont plus à vérifier qu’ils disposent du bon badge de télépéage dans leur camion avant de prendre la route pour l’étranger », explique le transporteur. Après les boîtiers de télépéage, l’autre étape que franchiront sûrement les émetteurs de cartes sera de proposer aux transporteurs le paiement sans contact afin d’éviter les contrefaçons de cartes conducteurs et le vol de données.
Spécialisé dans le ravitaillement carburant des camions avec 600 stations, IDS ouvre la voie avec une carte à puce sans contact qui s’appose sur les lecteurs. À charge pour le conducteur de saisir son code PIN. De quoi réduire les risques de piratage des cartes de paiement via leur piste magnétique depuis les automates et terminaux de paiement.
Cet argument a convaincu le transporteur Waberer’s, qui compte 7 900 personnes dont 4 900 conducteurs pour une flotte de plus de 4 400 camions. « Nous testons depuis deux ans les services proposés par IDS, indique un des porte-parole du transporteur, qui contrôle l’approvisionnement en carburant de ses conducteurs en temps réel. Nous sommes à même de réaliser des économies sur l’approvisionnement en carburant en limitant l’usage dans des pays, stations-service ou produits non autorisés. »
La carte de paiement sans contact est un premier pas vers le paiement sans carte, via le smartphone. À cet égard, BP vient d’annoncer le déploiement outre-Manche de sa solution mobile dans la plupart de ses stations-service, de sorte à éviter le passage en caisse. DKV Euro Service cherche aussi à sauter le pas en menant des expériences avec des partenaires pétroliers et des stations-service. Il y voit deux avantages majeurs. D’abord, la dématérialisation supprime les problèmes logistiques liés à l’impression et à l’envoi des cartes. Ensuite, elle évite les risques de contrefaçon.