Jean-Pierre Sancier : J’ai la conviction que cela est en lien direct avec le débat sur la LOM [Loi d’orientation des mobilités, Ndlr] qui se déroule actuellement à l’Assemblée nationale. Ces événements-là ne surviennent pas par hasard. Des lobbies, très influents auprès des médias, agissent régulièrement dès lors qu’il existe des sujets sensibles sur le plan politique.
J.P. S. : Celui de faire la promotion de modes de transport alternatifs à la route. Il est difficile d’empêcher cela, et dans le même temps, peut-être ne sommes-nous pas assez efficaces dans l’affichage de notre communication, qui est beaucoup trop dispersée entre les différentes organisations patronales. C’est difficile à digérer d’entendre des titres d’émissions comme récemment Putains de camions, car notre profession accomplit de belles performances au niveau environnemental et sur le plan de l’emploi. Pour autant, je pense qu’il nous faut dépasser la provocation et travailler sur le fond.
J.P. S. : Je pense qu’on peut effectivement l’évoquer mais, sincèrement, il n’est pas très efficace. Il est beaucoup dans la réaction ou la sur-réaction. Avec Éric Hémar [nouveau président de l’Union TLF, Ndlr], nous nous sommes fixé l’objectif de parvenir à fédérer les forces de la filière et travailler davantage en anticipation plutôt qu’en réaction par rapport aux événements. Les sujets sociaux ou environnementaux traités au dernier moment ne trouvent jamais de solution durable. Elle me semble davantage dans le travail sur le fond avec l’État, les collectivités, les Régions, l’Europe et les fournisseurs.
J.P. S. : À la demande du gouvernement, Éric Hémar a engagé une mission sur la compétitivité logistique de la France. Il en ressort que, dans l’Hexagone, on est davantage dans la confrontation ; qu’on n’a pas une organisation chapeau de type « plateforme », sur le plan global chain, qui permettrait de travailler sur des sujets de fond comme savent le faire les Pays-Bas ou l’Allemagne. Je crois que c’est l’un des sujets de notre efficacité relativement faible en termes de compétitivité. Je pense que chaque famille de la profession doit être représentée, avec sa propre sensibilité. En revanche, sur des sujets essentiels d’intérêt général (pour l’entreprise mais aussi l’ensemble de la chaîne logistique), on devrait être capables de trouver des solutions en commun. Personnellement, je ne suis pas dans la confrontation mais dans la recherche de consensus acceptables par l’ensemble des parties.
J.P. S. : En interne, nous avons hérité de l’excellent travail accompli par Yves Fargues (que j’ai rejoint au Comité national routier) et Claude Blot. Ils nous ont laissé une Union TLF en bon état, ce qui n’était pas le cas lorsqu’ils sont arrivés aux manettes. Au-delà, nous souhaitons que TLF se rapproche de ses adhérents. L’intégration d’Alexis Degouy [nouveau délégué général, Ndlr] s’inscrit dans ce sens. Il sera en connexion avec nos délégués généraux, à l’écoute de nos adhérents. Avec Herbert de Sant-Simon, le vice-président chargé de l’Overseas, nous nous sommes fixé quatre axes : améliorer la compétitivité de nos entreprises en Europe, renforcer l’attractivité de notre profession (le phénomène de pénurie va durer en France) ; faire du développement durable un atout pour nos entreprises plutôt qu’une contrainte : c’est un vrai moteur de dynamisation de l’entreprise et des relations internes et avec nos clients ; enfin, miser sur l’innovation, condition de la pérennisation de notre profession. Notre propos, dans ce domaine, vise à fédérer les entreprises afin que l’effort de tous aille dans le même sens, au profit de la profession.
J.P. S. : Aujourd’hui, chacun travaille dans son coin. Je pense que toute initiative est bonne à prendre si elle fait avancer le collectif. L’intérêt de la profession – au-delà des seuls transporteurs et logisticiens – est de parvenir à se retrouver sur les grands thèmes y compris avec l’État, les fournisseurs de matériels ou les collectivités locales.
J.P. S. : Parlons de choses positives. Depuis vingt ans, le TRM français a fait baisser ses émissions de gaz polluant de 80 %, c’est considérable. La consommation de carburant par tonne transportée – c’est un indicateur significatif – a reculé de 20 %. Dans les émissions du type Putains de camions, personne ne l’évoque. Quant aux gaz à effet de serre, la profession a fait diminuer ses émissions de CO2 de 22 %. Je ne suis pas certain que, dans tous les secteurs, on ait consenti cet effort. Par ailleurs, j’ai la conviction que la transition écologique va s’effectuer par les territoires. Sur la très longue distance, je pense que le diesel va rester LA solution pour un long moment. Sur cette distance, on devrait favoriser l’utilisation des méga-camions, qui permettent de réduire de facto l’impact écologique à la tonne transportée. En France, on est très en retard.
J. P. S. : Les lobbies du gaz ont effectué un bon boulot. Je pense pour autant qu’il constitue peut-être une solution de transition, pas durable. Chez STEF, nous avons effectué des comparaisons entre les rejets de tracteurs à l’Euro VII et ceux de tracteurs au gaz : nous n’avons pas trouvé d’écart significatif par rapport au risque pris en termes d’investissement par l’entreprise. Ma conviction (partagée avec les constructeurs) est que, sur les tracteurs longue distance dont les rejets en microparticules sont inférieurs à ceux d’une voiture, la consommation des VI au diesel va continuer de baisser. En matière de transport urbain, pour les véhicules de – 10 tonnes de PTAC, probablement l’électrique est-il la solution. Reste la problématique des batteries (leur poids) et de l’autonomie des VI. Pour les porteurs de gros volumes et les semis qui livrent en ville, j’imposerais les normes Euro VII pour l’entrée dans les villes. Ce n’est pas le diesel qui est à condamner, c’est la capacité de filtration des rejets dans l’atmosphère.
J.P. S. : Oui, que l’entreprise fasse du résultat pour investir, et que l’État ou les Régions accompagnent le mouvement pour l’accélérer par le biais de systèmes de bonification. Sinon, c’est très partagé par les constructeurs, la solution du futur à dix ans, c’est l’hydrogène.
J.P. S. : En France, dès lors qu’il faut trouver une solution à des problèmes légitimes, on a le défaut de mettre en place une taxe. Pourtant, les entreprises sont déjà écrasées par les taxes. Par conséquent, je ne suis pas favorable à ce que défendent les Verts, comme récemment dans leur lettre ouverte adressée au président de la République. Regardez en Allemagne : les Verts y sont très puissants et ce pays n’a pas la main lourde en matière de taxes. Quant à la proposition de l’OTRE, j’avoue ne pas avoir compris. Ils sont les premiers à brandir le glaive lorsqu’il est question de nouvelles taxes sur le transport et on les retrouve à faire de la recommandation pour la mise en place d’une fiscalité. Dans quel monde vivons-nous ?
J.P. S. : On sait bien que l’on se retrouve dans un problème d’équilibre de prix par rapport à une prestation. Le chargeur ne sera pas disposé à payer plus. Il récupérera ce qu’il paiera en taxe sur le niveau de la rémunération du transporteur. C’est comme cela que l’on tire une profession vers le bas. Ma conviction est que, si l’on veut faire avancer les choses, il faut au contraire créer les conditions susceptibles d’améliorer le niveau de marges du secteur. Et rompre avec le trop-plein fiscal et réglementaire car, si c’est là l’unique objectif de l’économie, eh bien, je n’ai pas tout compris.