Étienne Maclouf : Je travaille notamment sur le théorie des organisations, en étudiant celles-ci comme un système… qu’on ne pilote d’ailleurs pas tant que cela. La marque employeur est l’un des aspects de cette étude : elle est constituée par l’ensemble des représentations associées à l’image d’une entité, tout ce qui nous influence. C’est un phénomène social, bien distinct du marketing employeur qui, lui, cherche à jouer sur ces facteurs d’influence. Mais on peut toujours essayer de se donner une image. Si la réalité est différente, les gens risquent de venir dans l’entreprise pour de mauvaises raisons. Et donc d’en repartir rapidement.
E. M. : Je crois avant tout qu’il faut s’interroger, au niveau collectif de la branche – sur les comportements des salariés : changer constamment d’employeur, est-ce de la surenchère ou est-ce aller d’insatisfaction en insatisfaction ? Certes, il est difficile d’être transparent, et les candidats peuvent parfois être dans un jeu individualiste, mentir en entretien… Mais il faut sortir de ce climat et aller voir, à la racine de ces comportements, si des pratiques RH, par exemple, sont devenues inadaptées aux attentes actuelles, notamment des jeunes.
Au niveau de l’entreprise elle-même, c’est la première chose à faire : nommer quelqu’un, en interne, qui va reprendre, à la base, pourquoi on vient dans cette société, pourquoi on la quitte, etc. Il suffit d’enquêter, de questionner les gens qui arrivent, ceux qui partent, voire ceux qui ne viennent pas à un entretien.
E. M. : On pense naturellement au responsable RH, mais il ne faut pas hésiter à se tourner vers les universités pour recruter un jeune issu d’un institut d’administration des entreprises (IAE), d’un master de GRH comme celui que je dirige, ou même de sociologie, de sciences politiques, etc. Ils peuvent aider à se reposer des questions de bon sens. Cela implique d’interroger jusqu’au contenu des postes de travail et les pratiques RH, le management, les modèles de gestion… Si, par exemple, les technologies ne sont mises qu’au service de l’efficacité, que l’on parle d’automatisation, il peut être normal que les personnes perdent le sens de leur travail.
Ce diagnostic vise à discerner, pour le dirigeant, ce qui relève de lui ou pas. Là où il peut jouer, c’est de vérifier qu’il a une bonne connaissance du « package » qu’il propose (sa « promesse employeur »), s’il adresse les bons canaux de recrutement… et prendre conscience qu’il ne peut pas avoir d’influence sur d’autres causes peut lui permettre d’éviter de dépenser inutilement des sommes énormes.
E. M. : Aller trop vite à la solution et tomber sur des consultants qui vendent la même chose à tout le monde est le plus grand risque. Le sentiment d’être à la traîne ou obsolète, que peuvent parfois ressentir des dirigeants de petites entreprises en observant les grandes, est le pire des conseillers. Car il conduit au mimétisme institutionnel. Les réseaux sociaux, par exemple, ne sont peut-être pas la bonne manière de recruter pour les PME. La marque employeur, c’est un couple notoriété-image. Or une PME n’a pas la même notoriété qu’un groupe. Elle ne doit donc pas avoir la même façon de faire. Il faut garder ce bon sens. Sans doute est-il plus pertinent pour elles d’humaniser la relation, de faire savoir ce qu’est la qualité de vie au travail dans une entreprise familiale : être présente sur des salons, aller parler avec des jeunes, etc. Car le recrutement, c’est aussi une forme de hasard…
1 Maître de conférence HDR (habilité à diriger des recherches) et directeur du master GRH et relations du travail à l’Université Paris II Panthéon-Assas.
2 Avec B. Belvaux, Revue de Gestion des Ressources Humaines 99, 2015