Flexibilité des entreprises et déprécarisation de la main-d’œuvre

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D2L Group, spécialisé dans le conseil RH, a mené à la création de quelque 4 000 CDI en moins de dix ans dans le secteur de la logistique par le développement de groupements d’employeurs spécialisés. Guilhem Dufaure de Lajarte, créateur et P-dg du groupe, vise désormais à appliquer le concept au transport. Dans son livre Le chômage n’est pas une fatalité, il met en avant les bénéfices de la mutualisation des emplois et évoque des dispositifs d’emploi innovants.
L’Officiel des transporteurs : Comment vous est venue l’idée de créer une entreprise basée sur les groupements d’employeurs et la mutualisation des postes salariaux ?

Si le dispositif des groupements d’employeurs existait déjà, il restait inexploité. Ce système s’avère pourtant vertueux puisqu’il associe le besoin de l’entreprise de faire appel à une main-d’œuvre temporaire pour coller à son activité tout en déprécarisant l’emploi des personnes. Il est particulièrement intéressant dans certains secteurs fortement consommateurs de travail temporaire, comme la logistique, car les entreprises font souvent face à des pics de charges imprévisibles. L’humain apparaît alors nécessairement comme une variable d’ajustement. Pour autant, comme elles ont recours à la même typologie de main-d’œuvre, l’emploi précaire peut être remplacé par des contrats en CDI temps plein en mutualisant leurs besoins respectifs.

Comment ce dispositif s’est-il déployé ?

G. D. D. L. : Au sein de la commission sociale de TLF, j’ai réussi à réunir autour de la table les DRH des principaux groupes, des représentants de syndicats de salariés ainsi que des personnes de la Direccte pour définir les contours du principe d’un groupement d’employeurs dédié à l’univers de la logistique. Sur plusieurs bassins en France, des pools d’agents logistiques polyvalents ont ainsi été créés. Les salariés, employés à temps plein, sont mis à disposition des entreprises en fonction de leurs pics de saisonnalité pour répondre à leurs besoins de main-d’œuvre externe. Cette flexibilité associée au besoin de déprécarisation de tout un pan de la population est importante. En 2019, il y a une perspective d’embauche de 3,5 millions de personnes, un peu moins de 40 % sont des CDI. Avec le dispositif du GE de flexisécurité, on est capable de déprécariser au moins un tiers des 60 % restants. Ce procédé fonctionne. Aujourd’hui, nous fédérons six groupements d’employeurs sous une appellation commune, le GE logistique (GEL).

Outre la flexibilité, quels sont les bénéfices que ce dispositif peut apporter aux entreprises du secteur ?

G. D. D. L. : Ce dispositif évite d’avoir à former continuellement les nouveaux arrivants. Fréquemment, des intérimaires, à peine formés, ne reviennent jamais dans l’entreprise. Dans le cadre d’un groupement d’employeurs, avec des CDI à temps plein, les mêmes personnes reviennent systématiquement lorsqu’il y a des besoins. Ce dispositif dans le secteur de la logistique et du transport pourrait apporter énormément à la profession. D’autant que les groupements d’employeurs, qui axent énormément sur la formation, contribueraient à redorer les blasons des métiers du secteur.

Combien de salariés « mutualisés » regroupe aujourd’hui le GEL ?

G. D. D. L. : Aujourd’hui, pas moins de 2 000 personnes sont portées par le dispositif, sur différents territoires, en CDI et à temps plein. Elles bénéficient des mêmes avantages que les salariés des entreprises adhérentes car nous sommes sur un principe d’égalité de traitement. Le rôle de D2L Group, en tant qu’animateur de ces groupements, est de sécuriser ce pool de compétences. Nous plaçons ainsi des curseurs pour ne pas atteindre des volumes trop importants et ne remplacer que l’intérim ponctuel, caractérisé par des missions d’une journée à une semaine qui répondent à un pic d’activité à un instant T. Par exemple, si un entrepôt de logistique regroupe 70 intérimaires, nous ne positionnerions pas plus d’une vingtaine de personnes avec le GE pour ne pas empiéter sur la couche d’intérim structurel [missions plus longues, de plusieurs semaines à plusieurs mois]. Notre compteur est donc bloqué à 2 000 personnes mais, en une dizaine d’années, nous avons en réalité accompagné un total de 4 000 personnes. Il y a en effet un turnover de 20 %, certains employés étant recrutés après un certain temps par l’une des entreprises du groupement et le poste au sein du GE est renouvelé par une nouvelle personne.

Vous planifiez de transposer le concept au transport en créant un GE spécifique. Comment prendrez-vous en compte certaines particularités, comme la formation, indispensable dans ce secteur ?

G. D. D. L. : Nous allons déployer un projet plus global pour répondre à la problématique de la profession mais aussi aux difficultés de recrutement. Outre l’animation d’un groupement d’employeurs, nous créons un campus qui aura vocation à embaucher des publics éloignés de l’emploi et/ou sans qualification. Uniquement recrutés sur leurs soft skills, les stagiaires, nourris et logés, seront intégrés dans un cursus de formation entièrement gratuit au siège, à Saint-André-de-Corcy (01), grâce aux financements d’acteurs privés et publics. Ils seront amenés jusqu’à un diplôme. Les personnes qui auront bénéficié de ce dispositif de formation seront portées par le groupement d’employeurs transport, en CDI temps plein et détachés sur l’ensemble du territoire, dans une zone qui correspond à leur lieu d’habitation. On interviendra en complément de tous les acteurs traditionnels de la formation et de l’emploi. Ce GE dédié ferait par ailleurs apparaître des passerelles avec la logistique car des agents polyvalents du GEL s’intéressent au monde du transport.

Vous vous êtes également penché sur des dispositifs qui permettent de dénicher des salariés résidant dans des périmètres assez éloignés des bassins de logistique. Quels sont-ils ?

G. D. D. L. : Notre objectif est de nous montrer agiles en utilisant des dispositifs potentiellement existants qui peuvent devenir plus efficients en les transformant un peu, ce qui est le cas avec les groupements d’employeurs. Les dispositifs des navettes répondent au besoin d’assèchement en main-d’œuvre des bassins de logistique. En effet, la population habitant sur des périmètres éloignés du lieu de travail se trouverait freinée par des frais de déplacement importants. Pour y remédier, nous créons des flottes de petits bus, dont les tournées sont financées par différents acteurs d’un même bassin. Autre concept, nous avons recours à deux bus de l’emploi, équipés pour informer les gens sur les métiers et réaliser des job datings, permettent de leur côté de recruter des gens sur de nouveaux périmètres, par exemple dans un rayon de 20 kilomètres autour du site.

Vous évoquez un autre concept pour attirer les jeunes, celui des agences Job Station.

G. D. D. L. : À travers ces agences, nous visons d’une part à apporter toute une gamme de services via le digital, des recherches sur des bornes interactives jusqu’à la réalisation d’un bilan de compétences, afin d’être plus captifs pour la population millennials. D’autre part, c’est aussi un nouveau concept d’agences physiques des maisons de l’emploi privées qui appliquent le fonctionnement des Galeries Lafayette au monde de l’emploi. Elles regrouperaient en un lieu unique un ensemble d’acteurs du monde de l’emploi. Outre l’ensemble des marques et dispositifs du groupe, des missions locales pour l’emploi, des centres de formation, des associations, des cabinets de recrutement ou encore Pôle emploi peuvent y être représentés. Quelque 70 hubs Job Station devraient être en service sur tout le territoire d’ici la fin de l’année.

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