M. V. : Quel que soit le domaine d’activité, nous prenons en considération la capacité professionnelle du chef d’entreprise avant d’envisager un financement. Dans le secteur du transport, nous tenons à ce que les entrepreneurs nous démontrent leur professionnalisme, car il s’agit d’un métier stressant qui demande une large disponibilité. S’agissant précisément de la reprise, nous avons besoin de comprendre pourquoi le repreneur désire acheter l’entreprise cible, et la politique qu’il compte y mener. Il doit être à l’aise avec le métier de transporteur et avec les chiffres. Son plan de reprise doit également être clair et précis. La durée de ce plan est généralement élaborée sur une vision à moyen terme, soit de quatre à sept ans. Une durée qui comporte donc nécessairement des aléas. S’il n’est pas possible de se conformer, au détail près, au plan de développement ou de trésorerie, il reste important d’actionner des leviers pour atteindre ce plan. Les qualités professionnelles de celui qui l’élabore comptent également dans notre prise de décision.
M. V. : Un banquier ne peut pas prendre des engagements sans un minimum de sécurité. Nous demandons un apport aux entrepreneurs du transport de marchandises, notamment pour le financement de leur parc, car cela représente de lourds investissements que l’on ne peut pas toujours financer à 100 %. Généralement, le repreneur investit dans le renouvellement du matériel lorsqu’il rachète une entreprise. Le TRM reste un domaine qui nécessite une trésorerie considérable. Bien que le délai de paiement soit réglementairement fixé à 30 jours, en pratique, il se situe plutôt autour de 40 jours, voire jusqu’à 52 jours pour les entreprises de moins de 10 salariés. Plus la structure se développe, plus le besoin de fonds de roulement augmente. L’entreprise n’a pas d’autre choix que de dégager des résultats, d’autant plus que les marges restent faibles dans ce secteur.
M. V. : Oui, car un bon nombre de reprises ne se font pas en raison d’un manque de visibilité du candidat. Le cédant a intérêt à avoir des outils de travail en bon état. Tous les feux doivent être au vert pour le repreneur : des contrats de maintenance à jour, une bonne ambiance dans l’entreprise, un faible turn-over, des clients satisfaits, etc. De la même manière, le cédant doit apporter une attention particulière au compte courant d’associés, s’il en existe un, car cela a des incidences financières sur les comptes de l’entreprise. Il faut garder en tête que le compte courant représente de l’argent qui n’est pas incorporé au capital de l’entreprise, ni dans ses réserves, puisqu’il s’agit de sommes que le dirigeant, personne physique, a prêtées à sa société. L’entreprise a donc une dette envers lui. Si le compte courant demeure lors de la transmission ou de la reprise, la question qui se pose est de savoir à quel moment on retire cet argent nécessaire à la trésorerie. Il pourra être remboursé si l’entreprise a du cash disponible, notamment en cas de distribution de résultat. Mais dans la plupart des cas, il n’y a pas de trésorerie disponible. Le repreneur doit donc se rendre compte que cet argent est nécessaire. Par exemple, si le compte bancaire de l’entreprise affiche 50 000 euros mais que le compte courant s’élève à 40 000 euros, en réalité le repreneur devra presque toujours injecter 40 000 euros supplémentaires sur le compte pour rembourser le détenteur du compte courant d’associés. Le banquier analysera donc la situation de trésorerie dans l’étude du dossier de demande de financement.
M. V. : S’agissant de son financement, le secteur du transport demande une intensité capitalistique importante. L’essentiel de la marge doit être conservé pour renouveler sans cesse le matériel. Si la marge est trop faible, elle deviendra négative lorsqu’on passera les écritures d’amortissement. Ce qui révèle que du cash n’a pas suffisamment été dégagé pour renouveler le matériel. Si l’amortissement représente 90 % du résultat économique, pour le repreneur cela signifie que, s’il veut conserver l’activité, la marge dégagée sera consacrée au renouvellement du matériel. C’est ainsi que certaines entreprises ont un résultat économique avant impôt correct en apparence, mais si on regarde le net de plus près, il demeure faible. Ce qui peut jeter un doute sur la richesse de l’entreprise.
Cependant, ce type de situation ne doit pas freiner le repreneur. Il existe de petites entreprises qui ont des petites valeurs dans le sens capitalistique du terme, mais qui détiennent de vraies richesses en termes de notoriété de marque, de collaborateurs compétents, d’outils de travail performants, ainsi qu’une clientèle de qualité.
M. V. : Les conseillers de la Banque populaire ont accès à des monographies propres à chaque secteur, qui sont élaborées par des spécialistes. De plus, dans nos agences, il existe des réunions de comités locaux sous la responsabilité des directeurs, afin de prendre des décisions au plus près du terrain. Ainsi, 80 % des dossiers sont étudiés en agence, ce qui permet de prendre rapidement les décisions. En revanche, les dossiers de financement conséquent, c’est-à-dire de quelques millions d’euros, sont transmis à des spécialistes d’ingénierie financière afin de les étudier de manière plus approfondie et technique. Il appartient à l’agence de décider du taux de financement.
M. V. : En effet, grâce au programme Cosme, destiné à renforcer le soutien de l’Union européenne (UE) aux petites et moyennes entreprises, Les agences Banque populaire ont été dotées d’une enveloppe de garanties permettant d’accorder 1 milliard d’euros de crédit. Ce qui nous permet d’intervenir jusqu’à hauteur 150 000 euros à travers le prêt Socama transmission-reprise (PSTR), un instrument distribué dans toutes les agences Banque populaire. Ce type de financement est particulièrement intéressant dans la reprise d’une TPE/PME de transport car grâce à la contre-garantie du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) qui abonde le programme Cosme et à celle fournie par Socama, nous pouvons limiter la caution personnelle du dirigeant à 25 %, dans le cadre de la transmission-reprise. À noter que ces contre-garanties européennes permettent aux banques de couvrir les taux de sinistralité les plus importants, comme celui du transport. Ce type de crédit est complété si nécessaire par d’autres crédits et crédits baux.
M. V. : Je lui recommande de veiller à l’insertion de certaines clauses dans la convention de reprise, notamment lorsqu’il reste sur la réserve en ce qui concerne la qualité de l’entreprise qu’il vise. Ainsi, il peut proposer au vendeur un crédit-vendeur à rembourser à terme (exemple : six mois, un an, un an et demi) avec des conditions suspensives telles que la présentation de tous les clients ou encore celle prévoyant un remboursement lorsque les résultats auront atteint un minimum à négocier. Il arrive fréquemment que le vendeur reste quelque temps avec le repreneur, pour lui présenter les clients et les collaborateurs ou l’aider à s’installer dans son premier développement. De la même manière, le banquier ne manque pas de vérifier l’opportunité d’insérer certaines clauses suspensives dans les protocoles. Dans certains cas, le repreneur a intérêt à solliciter deux ou trois banques dont le principal banquier du cédant car il connaît bien l’entreprise et détient l’historique des événements qui ont rythmé sa vie. Si ce dernier refuse de participer à la reprise, il convient d’en comprendre la raison. Ne pas s’adresser à l’un des banquiers du cédant, c’est décider de ne pas recevoir d’alerte, même si la plupart du temps, tout va bien.
M. V. : Sur les demandes de crédit transmission-reprise, nous enregistrons 90 à 95 % de réponses positives. Nous pouvons répondre à tout type de financement, et quelques fois proposer des prises de participation (capital développement), le temps de permettre à l’entreprise de se développer. La très grande majorité du secteur est composée de petites entreprises qui ne doivent pas rechigner à formuler des demandes de financement car malgré leurs faibles marges, elles détiennent des points forts comme leur expérience et un savoir-faire qui leur permet de répondre aux exigences du métier.