Ferroutage : cinq axes, cinq approches

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Qu’il s’agisse de franchir un obstacle naturel comme la Manche, de réduire la pollution dans les vallées alpines ou de limiter le trafic de transit dans la vallée du Rhône, le ferroutage est bien une réalité en France. Il y apparaît cependant comme une solution ponctuelle, marginale à l’échelle du TRM. Ceux qui voient en lui « la solution » pour un transport longue distance respectueux de l’environnement et souhaiterait sa généralisation, omettent ses multiples contraintes.

Actuellement cinq autoroutes ferroviaires sont en service en France. Chacune présente ses singularités et opère à son rythme en respectant parfois la coupure dominicale. À l’exception notable du lien fixe transmanche qui offre une desserte cadencée, les services de ferroutage imposent des horaires auxquels les transporteurs doivent se conformer. Cette rigidité s’oppose dans une certaine mesure à la souplesse traditionnelle du TRM. Globalement, le ferroutage se pratique aujourd’hui dans le cadre de plans de transport qui l’utilisent pour leur optimisation ou comme outil de communication. Bien évidemment, le ferroutage possède ses arguments, dès qu’il s’agit de bilan carbone.

Services transmanches en pleine forme

Avec une cadence qui peut atteindre jusqu’à 7 départs par heure en cas de pointe de trafic, le Shuttle Freight d’Eurotunnel (Getlink) constitue, par son débit, un exemple emblématique des autoroutes ferroviaires. Le service est assuré par 18 navettes, 24 h/24, 365 jours par an. La traversée s’effectue en 35 minutes. Pour les transporteurs, c’est la garantie que leur camion traversera la Manche au plus vite, y compris la nuit. À la différence des ferries, le tunnel est insensible aux aléas climatiques. Avec un taux de disponibilité commerciale de 99,8 %, il reste l’une des infrastructures les plus disponibles et fiables.

Le problème des migrants a entraîné depuis 2015 des investissements de sécurité exceptionnels pour une infrastructure privée. Il n’existe pas de système de réservation de places pour le Shuttle Freight. Les premiers arrivés sont les premiers à embarquer à son bord, les transporteurs ayant des contrats annuels avec Eurotunnel. Afin d’améliorer son expérience client, Eurotunnel s’est lancé dans un grand plan de digitalisation dont l’effet le plus visible sera l’accélération des procédures administratives. En retour, Eurotunnel revendique un positionnement tarifaire en rapport avec son service premium. Le marché suit puisqu’Eurotunnel absorbe l’essentiel du trafic transmanche. Il n’en reste pas moins que le tunnel n’est pas saturé. 44 % des sillons sont encore disponibles, ce qui laisse une belle marge de progression à l’entreprise.

Pour attirer de nouveaux trafics transmanche, Eurotunnel a mis en place une aide dédiée avec ETICA (Eurotunnel Incentive for Capacity Additions). Lancée tout d’abord pour le développement du fret ferroviaire, cette aide a été élargie aux nouveaux trafics de passagers. Rappelons par ailleurs que Eurotunnel ne profite pas d’un financement du ferroutage.

Les services transmanche de navettes de camions de Getlink (Shuttle Freight) ne constituent pas, à proprement parler, du fret ferroviaire. Il s’agit de ferroutage transmanche. Ce service fonctionne sans subvention d’aucun type. Les subventions sont d’ailleurs interdites par le contrat de concession. L’activité est donc nécessairement bénéficiaire et autofinancée. Quant aux trains de fret longue distance qui passent également par le tunnel, ils sont exploités librement et sont nécessairement viables économiquement puisqu’aucune obligation de fourniture de service n’existe dans leur cas.

Nouvelle donne

Le Brexit, en admettant qu’il se concrétise effectivement, devrait être sans effet dévastateur sur l’activité de Getlink. En effet, le Shuttle Freight du lien fixe transmanche est utilisé principalement pour des produits frais et de la messagerie express. Tous ces biens nécessitent un acheminement rapide et sans aléas, à toute heure. Contrairement aux autres axes concernés en France par le ferroutage, le ferroutage transmanche ne subit pas la concurrence d’un axe routier ! Cela le place dans une situation confortable face aux services maritimes, victimes des contraintes liées à leur mode. Les quatre autres axes français actuellement desservis par un service de ferroutage ont en commun leur exploitation par VIIA, la concurrence que leur opposent l’autoroute et le recours à des wagons-coques Lohr. Dans le détail, ces quatre services présentent leurs propres spécificités.

Malgré leur proximité géographique dans le secteur de Calais, le Shuttle Freight de Getlink et le service VIIA Britanica sont sans rapport. Tandis qu’Eurotunnel transporte des ensembles routiers complets, sans séparer tracteur et semi-remorque, VIIA Britanica ne prend en charge que les semi-remorques sans chauffeur, ni tracteur. On parle dans ce cas de fret non accompagné. VIIA Britanica associe les ferries P & O assurant le trafic transmanche (Calais-Douvres) en Ro-Ro au ferroutage entre Calais et Le Boulou, afin de proposer un service Douvres-Le Boulou entre l’île britannique et la Péninsule ibérique avec une traversée de la France en moins de 24 heures. Ainsi, le service se présente comme « plus rapide que la route », voire même deux fois plus rapide si l’on s’en tient à son discours commercial. Lancé initialement le 29 mars 2016, le service VIIA Britanica a ensuite été interrompu temporairement. Il a repris en février 2017 avec un aller-retour quotidien. Il devrait être bientôt suivi d’une seconde rotation quotidienne. Le service fonctionne 6 jours sur 7 et couvre 1200 km de route en 22 heures. Il est compatible avec l’ADR, le gabarit P400, les conteneurs sur semi-remorques, ainsi qu’avec des semi-remorques grand volume, celles chargées de vrac, ou encore, avec les frigos. Quant au rythme de la desserte, le décalage est flagrant entre les Shuttle Freight de Getlink qui atteignent sept départs par heure en cas de pointe de trafic, et la VIIA Britanica qui ne propose qu’un seul départ par jour.

Ferroutage avec VIIA

VIIA est la marque créée en 2012 par SNCF Logistics pour rassembler ses activités d’autoroutes ferroviaires. À sa création, VIIA intègre l’AFA (Autoroute Ferroviaire Alpine) et Lorry-Rail qui étaient alors déjà opérationnels. Le ferroutage n’a rien de nouveau en France. Le service UFR a été présenté en 1935, suivi par le Kangourou en 1959, sans parler des multiples systèmes allogènes qui ont tenté leur chance dans le sillage de la coordination rail-route de 1934. Citons pour mémoire Macquart et Sérem-Coder, voire Willème-Coder. Tant l’UFR que le Kangourou souffraient du nécessaire recours à des semi-remorques conçues spécialement. L’entrée du ferroutage dans l’ère moderne doit beaucoup à l’arrivée des wagons-coques Modalhor de Lohr. Surbaissés, ils exploitent au mieux le gabarit ferroviaire au profit des véhicules transportés qui sont des véhicules routiers classiques, sans équipement spécifique. L’astucieux pivotement des coques permet un transbordement horizontal rapide puisque tous les wagons peuvent être chargés ou déchargés simultanément. Ouverte le 4 novembre 2003 entre Aiton (Chambéry) et Orbassano (Turin), l’AFA est le résultat de l’association de SNCF et de Trenitalia pour la création d’un service de ferroutage à travers les Alpes. Le service inaugure les fameux wagons Lohr, mais il est dans un premier temps bridé par le gabarit des tunnels dans la vallée de la Maurienne. C’est pourquoi seules des semi-remorques citernes ont été transportées au cours des premières années. Depuis fin 2007, l’adaptation de l’infrastructure permet le transport de toutes les semi-remorques habituelles, y compris 44 t, par l’AFA. Initialement, celle-ci a profité d’une subvention de la part des états français et italien, avec l’accord de l’Union Européenne. Actuellement, l’AFA propose cinq départs quotidiens dans chaque sens, six jours sur sept. Le trajet de 175 km est parcouru en trois heures. En tout, au moins cinq heures sont nécessaires en raison des procédures au départ et à l’arrivée. Comparée aux autres services de ferroutage de VIIA, l’AFA a la particularité d’être un transport accompagné. Les chauffeurs et les tracteurs voyagent ainsi par le même train que leurs semi-remorques. Le cap des 300 000 véhicules transportés par l’AFA a été franchi.

Autoroutes ferroviaires

Lorry Rail. Ouvert en 2007, le service Lorry-Rail relie Bettembourg (Luxembourg) au Boulou, ville-frontière des Pyrénées orientales au-delà de laquelle les voies ferroviaires passent à l’écartement ibérique. Le service Lorry-Rail fut, dès ses débuts, le résultat d’un partenariat avec CFL. Il est inclus depuis 2012 aux services de ferroutage français sous la marque ombrelle VIIA. Comme l’AFA, la relation Bettembourg-Le Boulou emploie des wagons Lohr. En revanche, cette relation qui se présente comme la plus longue autoroute ferroviaire d’Europe est « non accompagnée ». Les semi-remorques y voyagent donc seules.

VIIA. Le service a franchi le cap des 10 000 trains depuis sa création. Il fonctionne sept jours sur sept avec trois rotations par jour. Chaque train transporte 48 semi-remorques et se singularise par sa longueur de 850 m, assez rare dans le paysage ferroviaire français. Les 1 054 km du trajet sont parcourus en 15 heures, mais l’amplitude atteint 24 heures entre les heures de remise et de reprise des semi-remorques. En termes de bilan carbone, VIIA annonce des émissions de CO2 réduites d’une tonne par semi-remorque et par voyage grâce à ce service. La dernière née, et la moins connue des autoroutes ferroviaires, est celle créée par VIIA à la demande du transporteur et logisticien turc Ekol Logistics. Celui-ci opère un navire Ro-Ro entre le port d’Izmir (Turquie) et celui de Sète. Là, les semi-remorques (y compris P400 et Mega) sont chargées sur des wagons Lohr et acheminées jusqu’à Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis. Ce service est un exemple de relation spécialisée, principalement destinée à couvrir les besoins de l’industrie automobile.

En admettant que les problèmes de gabarit soient résolus sur les itinéraires concernés, le ferroutage concurrencé par l’autoroute n’apparaît comme une solution efficace que sur de grandes distances et pour des dessertes « point à point », sans recomposition des rames au fil de leur acheminement. L’offre est donc très différente de celles qui concernaient les semi-remorques UFR (1935-1983) qui pouvaient être expédiées ou reçues depuis 185 gares françaises ! Le temps de transbordement et celui consacré aux formalités doivent être compensés par la distance parcourue. La longueur du trajet permet en effet au rail de prendre l’avantage sur la route qui est contrainte par les temps de conduite, voire par les aléas du trafic. Faire voyager des semi-remorques seules représente une économie de personnel. Après tout, entre Bettembourg et Le Boulou, un conducteur de train conduit 48 semi-remorques ! Cela nécessite cependant une organisation optimale des remises et des reprises des semi-remorques par les chauffeurs en charge des dessertes terminales. Le ferroutage a donc ses domaines de pertinence, mais aussi ses limites.

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