Philippe Duron : Ce n’est pas une première. Dès 2002, à l’occasion de l’élection présidentielle en France, nous avions interrogé les candidats, comme à chaque élection. Nous avons même organisé un grand débat lors de l’élection en 2017 (avec les candidats ou leurs représentants), au cours de laquelle M. Leroy, représentant du candidat Macron, a annoncé publiquement la volonté de ce dernier, s’il était élu, de reprendre la dette de la SNCF. Cette annonce avait alors estomaqué les 500 personnes de l’assistance.
P. D. : On se livre à un exercice un peu complexe. Nous rassemblons, dans un premier temps sur une plateforme, toutes les thématiques qui nous semblent importantes pour les cinq ans à venir. En 2014, nous avions présenté le rapport Dix propositions pour une politique européenne des transports, remis à Violeta Bulc [commissaire européenne des Transports, Ndlr]. Mais nous n’avions encore jamais interrogé les têtes de liste avant chaque présidentielle. Cette fois-ci, nous le faisons dans le cadre des élections européennes.
P. D. : Parce que la politique des transports est l’une des politiques les plus importantes de l’Union européenne, déjà présente dans le traité de Rome en 1957. Elle n’a cessé de s’enrichir depuis lors, avec les problématiques d’ouverture à la concurrence, du détachement ou du cabotage. Ce qui n’est pas sans poser de problèmes puisque la politique de la concurrence est axée sur le consommateur, avec une volonté de pratiquer des prix bas. Un parti pris qui pose des problèmes aux entreprises de transport et aux salariés d’un certain nombre de pays, car le coût du travail en Bulgarie, en France ou au Danemark varie considérablement. Tout cela doit être soumis à débat lors de l’ultime session de cette législature. Nous savons que, pour l’heure, on est loin du consensus.
P. D. : Oui, ce sont des sujets de cohésion, non pas seulement sociale mais également territoriale. L’UE a favorisé une politique de développement pour les infrastructures inclusives, qui vise à améliorer la circulation à l’intérieur de l’UE ; je veux parler de la politique des corridors ou de soutien très fort à un certain nombre d’infrastructures. En France, nous avons deux sujets, très poussés par l’UE. C’est le tunnel Lyon-Turin ferroviaire et le canal Seine-Nord, qui ne constituent pas des sujets consensuels en Europe et dans notre pays. Sur ces sujets de clivage, il nous semble intéressant d’interroger les têtes de liste pour s’assurer qu’elles ont bien envisagé la totalité des enjeux des politiques de l’UE et des points de vue qu’elles défendront devant les électrices et les électeurs. Nous avons donc lancé un livre vert pour dresser le bilan des mobilités en Europe et de ce qui pourrait être en jeu dans la prochaine législature.
Nous avons également élaboré un questionnaire TDIE (Europe 2019 : l’initiative TDIE) et avons interrogé des candidats sur leur stratégie en faveur d’une politique commune des transports, sur la mobilité durable, le financement des infrastructures, sur la route. La route a été « oubliée » pendant de nombreuses années et on voudrait savoir si les candidats ont bien perçu qu’elle accaparait 85 % des flux de passagers et de transport de marchandises. Nous avons préparé un chapitre sur la politique industrielle (faut-il, par exemple, favoriser l’émergence de géants européens pour lutter, notamment dans le ferroviaire, contre le risque de concurrence chinoise ?). Il y a également des sujets sur le numérique ou l’innovation.
P. D. : Nos préconisations figurent dans le livre vert. On souhaiterait tous une harmonisation vers le haut. Mais je pense qu’il faut plutôt aller vers une convergence. Nous sommes conscients que nous ne serons pas capables d’amener la Bulgarie au niveau des conditions du Danemark. Cela vaut pour les salaires mais aussi pour les temps de travail, les temps de repos, les contrôles de cargaison…
P. D. : Je ne sais pas si l’Europe est menacée, mais je crois qu’elle est fragilisée. Nous pensons que des efforts doivent être accomplis pour que l’on puisse continuer de croire dans l’Europe et que tout le monde travaille normalement dans son pays et au sein de l’Union européenne.
P. D. : Je pense qu’il faut que les poids lourds contribuent au coût d’usage des infrastructures, notamment ceux qui traversent notre pays en ne payant même pas la taxe sur les carburants puisqu’ils font le plein en amont et en aval de notre territoire. Il s’agit d’un sujet difficile, tout comme l’écotaxe, qui n’avait pas été bien préfigurée sur le champ de la répercussion. Je crois qu’il existe sept ou huit pays en Europe où existe une redevance kilométrique. Malgré cela, tout le monde n’est pas convaincu de la nécessité de cette taxe. Il faut progresser, car elle deviendra sans doute nécessaire. Mais elle doit être proportionnée aux efforts que font les professionnels de la route pour se doter de flottes moins émissives.
P. D. : Je crois qu’une partie du produit de la taxe qui serait instituée – je préfère d’ailleurs parler de redevance – serait majoritairement destinée à la route, soit à l’infrastructure soit à l’aide aux professionnels pour rendre leurs flottes plus compatibles avec les enjeux climatiques. On doit avoir une approche gagnant-gagnant.
P. D. : On a évoqué l’idée de l’imputer aux transporteurs étrangers mais il est difficile de discriminer les professionnels d’un pays. On est d’accord sur le constat que nos infrastructures ont été insuffisamment entretenues depuis une quinzaine d’années. Nous avions dit qu’il fallait porter les dépenses de régénération et d’entretien des routes nationales (10 000 km) à 1 Md€ par an. Je crois que les deux derniers gouvernements ont pris conscience de cela et élevé le niveau d’intervention. Alain Vidalies [ancien secrétaire d’État aux Transports, Ndlr] avait commencé à le faire en mettant en place un observatoire qui s’assure que n’arrive pas un décrochage de la qualité. Élisabeth Borne a également convaincu le gouvernement qu’il fallait hausser l’effort en matière d’entretien du réseau routier. Ce dernier s’est donc engagé à consacrer 1,3 Md€ d’ici à 2023. On est sur la bonne route.
P. D. : Eh bien, il faut trouver 500 M€ de plus. Dans le cadre du COI (Conseil d’orientation des infrastructures), nous avions proposé plusieurs pistes parmi lesquelles on pouvait envisager une autre répartition de la Ticpe, revoir la ristourne gazole (la partager entre l’entretien et les professionnels), ou instaurer une vignette d’usage forfaitaire, une solution avancée par l’OTRE. Selon moi, si le gouvernement choisissait d’aller dans cette direction, il faudrait un engagement très clair à ce que la ressource prélevée pour la route soit destinée à la route principalement. C’est, je pense, l’un des éléments de son acceptabilité.
Philippe Duron est le président de TDIE, un think tank qu’il a créé en 2001. Il était jusqu’en 2017 aux manettes de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Au moment où le dirigeant normand s’apprêtait à quitter l’organisation, atteint par la limite d’âge, Élisabeth Borne lui a confié la présidence du Comité d’orientation des infrastructures, émanation des Assises de la mobilité que la ministre des Transports a lancées en septembre 2017. Philippe Duron en sortira en préconisant un renforcement de la fiscalité au bénéfice des infrastructures, prônant notamment la mise en place d’une vignette temporelle et un rabotage voire un aménagement de la ristourne gazole. Philippe Duron a également été député du Calvados de 2007 à 2017.