Mais où sont donc passés les carrossiers sur le segment du véhicule utilitaire léger (VUL) ? Assurant de 15 à 20 % des livraisons aux utilisateurs finaux, l'activité carrossage intervient pour une faible part (6 %) sur le segment des fourgonnettes et plus significativement sur les fourgons légers sur base monospace (20 %) et lourd, type Renault Master (30 %). La majorité des VUL qui alimentent le marché sont, en effet, construits et carrossés directement par les constructeurs de véhicules industriels, premiers clients des carrossiers. « Les utilisateurs finaux captés directement par les carrossiers sur le marché des VUL ne concernent en moyenne que 20 % des volumes - constitués essentiellement de camping-car ! (ndlr) - alors que les constructeurs de VUL et leurs réseaux sont destinataires de 70 % de leurs produits », selon les conclusions de l'étude « Prospective et stratégie de la carrosserie industrielle française », réalisée par le cabinet BIPE/Startorg qui note que les loueurs arrivent en quatrième position avec 10 %. Les réseaux reçoivent principalement des matériels isothermes et des bennes tandis que les constructeurs commandent des kits en vue de transformer des véhicules particuliers en véhicules utilitaires. Sur ce marché, les constructeurs américains avec Ford et General Motors sont, à l'échelle mondiale, leaders incontestés tandis qu'en Europe, PSA Peugeot-Citroën, talonné par Fiat-Iveco, et Renault dominent.
A la différence des autres activités de la carrosserie industrielle, le segment VUL se caractérise, en outre, par une forte concentration de ses acteurs puisque 20 % des carrossiers VUL alimentent 80 % du marché total et, par une grande dispersion des acheteurs finaux avec un poids homogène entre les principales catégories représentées par l'industrie, le bâtiment et les travaux publics, la location, le commerce ou le transport. On distingue ici deux grandes familles d'utilisateurs. D'une part, les petits clients qui représentent 60 % des ventes de VUL avec des attentes faiblement définies. Ils ont une forte sensibilité aux fonctionnalités et aux performances du véhicule ainsi qu'à son prix. Ils attendent un service global non contraignant qui se traduit dans les faits par un service de proximité, une souplesse d'achat et de financement, du choix, du conseil, des contrats réparation/entretien ou encore par les conditions de remplacement du véhicule en cas de panne. La livraison de châssis seul, et donc à même d'être carrossés en seconde monte, concerne ici majoritairement les entreprises du BTP. D'autre part, les flottes avec, à l'inverse, des besoins définis et un budget conditionné à l'adéquation de l'offre. Avec 40 % des ventes, ces acheteurs sont essentiellement captés en direct par les constructeurs de véhicules industriels. Leurs décisions d'achat sont guidées par la longévité et la robustesse des matériels « tandis que leur sensibilité au prix est inversement corrélée à la taille du parc détenu », note l'étude du cabinet BIPE/Stratorg pour qui cette clientèle attend « une offre européenne homogène et un prix de revient au kilomètre ». On lit également que le « renouvellement du véhicule est variable selon les secteurs : élevé dans le transport et les industries alimentaires, faible dans les secteurs de l'agriculture, chez les collectivités et dans l'administration ». Ici, les châssis seuls sont principalement commandés par les loueurs et les collectivités.
30 % des volumes à destination des utilisateurs finaux sont captés directement par les carrossiers dont les premiers clients sur ce segment sont les réseaux constructeurs qui absorbent 40 % de leur production contre 15 % chacun pour les constructeurs et les loueurs. Par type de matériels, les réseaux constructeurs, tout comme les loueurs, demandent principalement des carrosseries standards composées principalement de Dry-fret et dans une moindre mesure de bennes et d'isothermes. Les utilisateurs finaux attendent, pour leur part, des équipements frigorifiques, des citernes ainsi que des aménagements spécifiques et sur mesure. Parmi les constructeurs, l'allemand Daimler-Chrysler est largement en tête en Europe porté par un marché domestique deux fois plus élevé qu'en France. Les tailles des marchés respectifs masquent toutefois une structure de la demande très différenciée avec une prépondérance des tracteurs sur les marchés français, belge, néerlandais et espagnol.
Avec 90 % de parts de marché, les utilisateurs finaux composés majoritairement de transporteurs publics (avec 70 % de la demande), absorbent la quasi-totalité de la production des carrossiers, distributeurs incontestés. Les 10 % restant sont partagés de façon égale entre les réseaux constructeurs et les loueurs, tandis que les constructeurs n'apparaissent pas. Les matériels livrés sont pour plus de la moitié des semi-remorques et des remorques Dry-fret (52 %), carrosseries à faible valeur ajoutée. Les attentes des transporteurs publics s'articulent autour de deux préoccupations fortes : d'une part, le produit ou plus précisément, ses caractéristiques techniques dont les matériaux utilisés, le degré de résistance, le poids et la garantie de sécurité et d'autre part, le service dont l'importance croît d'année en année avec une priorité encore insatisfaite relative à l'assistance technique à l'échelle européenne. Loin derrière les transporteurs publics, arrivent deux catégories d'acheteurs pesant chacun 10 % des volumes : les loueurs et l'industrie.
La clientèle des carrossiers est constituée à 85 % par les transporteurs routiers de marchandises pour compte d'autrui. Toutefois, les constructeurs de véhicules et les loueurs accentuent leur pression obligeant le secteur à rechercher un nouveau positionnement afin de s'affirmer comme l'interlocuteur incontournable et privilégié du client utilisateur.
Erosion des marges, recherche de productivité, concentration du transport routier de marchandises (TRM), essor des activités logistiques, forte croissance de la location. Autant de facteurs qui influencent le marché de la carrosserie industrielle dans sa demande. Les rapports de force qui prévalaient jusqu'alors évoluent avec l'apparition de nouveaux groupes à l'image de loueurs équipés de parcs de plusieurs dizaines de milliers de véhicules comme Direct Rent, filiale du groupe GE Capital et composante française du réseau Transport International Pool (ITP) à la tête d'une flotte de 50 000 matériels. Il en résulte une nouvelle pression tarifaire et amène les carrossiers à rechercher une taille critique afin de posséder les capacités financière et de production adaptées pour répondre à une demande de masse.
Depuis cinq ans, des accords se mettent en place en amont de la filière avec les constructeurs de véhicules industriels attendant pour leurs châssis standards des kits équipés de pré-dispositifs facilitant leur montage. Gruau ou de Durisotti, par exemple, sont devenus des spécialistes en la matière. « Ils effectuent des travaux de première monte sous la responsabilité du constructeur en respectant les critères de qualité de la marque qui attend des capacités de développement et de production renforcées », note Martine Delaunay, chef de bureau du secteur automobile et caoutchouc au ministère de l'Industrie et rédactrice du « 4 pages des statistiques industrielles » de mars consacré « Ils investissement directement dans des outils de production près des sites d'assemblage des constructeurs français tels que Renault ou PSA Peugeot-Citroën qui représentent, par exemple, plus de 70 % du marché intérieur des véhicules utilitaires légers », complète-t-elle. Et de conclure : « Cette évolution est, à priori, plus favorable aux constructeurs qui, forts, de leur poids économique, pourront parfois sélectionner les partenaires à qui ils peuvent imposer prix et délais de livraison. Cette tendance a, en outre, ses limites car la standardisation ne pourra pas satisfaire la partie de la clientèle qui désire des produits spécifiques adaptés à ses besoins ». Elle voit dans cette tendance une menace du fait de la « dépendance ainsi créée qui risque d'être préjudiciable à terme à l'autonomie et à la créativité des carrossiers » ! Cette évolution retire, par ailleurs, une part du marché qui était jusqu'alors dévolue aux carrossiers locaux puisque le véhicule est livré complet.
A des degrés divers, les constructeurs de véhicules industriels se sont tous lancés dans des démarches de globalisation que ce soit en termes géographiques ou en termes de gammes de matériels (voitures particulières, véhicules utilitaires légers et véhicules industriels). « La recherche de globalisation illustrée par les mouvements de concentration en cours, va dans le sens d'une maîtrise d'une offre globale », note l'étude « Propective et stratégie de la carrosserie industrielle française », réalisée par le cabinet BIPE/Stratorg, selon laquelle : « Cette globalisation, par ailleurs axe de fidélisation, est une réponse à l'érosion des marges face aux prix des véhicules tirés par le bas et aux performances techniques tirées par le haut. Les économies d'échelle sont réalisées par des partenariats ou des fusions sur la base de stratégie européenne, une recherche de composants communs et des productions de modèles uniques avec des délais de livraison raccourcis, pouvant être déclinés en variantes multiples ». En matière de services, les constructeurs attendent de la part de leurs fournisseurs carrossiers une organisation en service après-vente plus performante au niveau européen.
L'une des caractéristiques du marché VUL en France est l'absence de réseaux constructeurs spécifiques (concessionnaires ou filiales) ; ces matériels étant distribués par un réseau unique combiné avec celui des voitures particulières. A l'inverse, les véhicules industriels (VI) s'appuient sur une force de vente clairement identifiée qui, ces dernières années, a eu tendance à se restructurer sous l'influence des constructeurs et des importateurs. Ce mouvement s'explique par la volonté d'accroître la rentabilité du coût de distribution (aux alentours de 30 % du coût global) et d'optimiser les ressources ainsi que les solutions apportées aux utilisateurs en matière de gestion de parc, location ou financement. Une autre conséquence de cette orientation est le « verrouillage » du marché en limitant aux nouveaux entrants la capacité à s'établir. Cette restructuration se traduit concrètement sur le terrain par l'allégement du réseau autour de concessionnaires puissants géographiquement, prenant appui sur des sites satellites. « La restructuration du réseau primaire engagée par les constructeurs, qui vise à davantage contrôler la qualité de service et les résultats financiers de ses distributeurs, aura pour conséquence à terme une réduction numéraire du réseau secondaire, aujourd'hui peu dépendant des constructeurs et des importateurs », prévoit le BIPE.
Troisième composante de la demande, le transport routier de marchandises (TRM) bénéficie, selon toutes les prévisions, de perspectives d'évolution très favorables compte tenu de la concentration spatiale des entrepôts et des unités de production ou du développement des échanges. Tous les analystes s'accordent, en outre, sur le fait que la montée en puissance du commerce électronique engendrera progressivement des flux de transport plus importants. A titre d'exemple, les projections réalisées par l'Institut de recherche et de prospective postale évaluent à 10 % le chiffre d'affaires TRM et logistique engendré mécaniquement par la croissance du commerce électronique. Face à ces perspectives prometteuses, le tissu d'entreprises de TRM semble toutefois atomisé et mal armé souffrant de l'érosion de ses marges. Selon la Banque de France, les résultats d'exploitation ont diminué dans ce secteur de 13 % en 1999 en dépit d'une hausse du chiffre d'affaires de 8 %. Cette dégradation est imputable à un dérapage des coûts qui concernent les postes carburants et personnel, non répercutés sur les prix de vente. Pire, l'organisme financier estime qu'en 2000, les résultats d'exploitation des entreprises de TRM seront négatifs. Sa projection table sur une perte d'exploitation de 5 à 15 MF pour un CA hors taxes moyen de 570 MF et ce, malgré une hausse de trafic de 3 à 4 % sur l'année. Cette dégradation de la rentabilité des transporteurs routiers impacte directement le marché de la carrosserie industrielle puisque le coût d'acquisition et d'exploitation d'un véhicule par un transporteur a tendance à s'accroître pour s'établir à 25 % pour un tracteur et son attelage et à 18 % pour un porteur moyen tonnage ! Rapproché aux autres principaux coûts d'exploitation - carburant, taxes, salaires et charges - le poste relatif au véhicule apparaît comme le seul levier disponible pour abaisser le coût de revient global d'un transport. La prise en compte, par ailleurs, du coût d'usage du véhicule implique pour le carrossier l'optimisation de la charge utile et l'allégement des matériaux. Dans une vision extrémiste, les pressions dont font l'objet les transporteurs nationaux pourraient conduire à une délocalisation d'une partie d'entre eux vers des pays à plus faibles coûts supprimant de facto, un potentiel de matériels carrossables !
La recomposition du tissu d'entreprises de TRM et de la location est une autre tendance lourde qui influe sur le rapport de force avec les carrossiers qui voient leur pouvoir de négociation diminuer. Bien que les petites et les moyennes flottes soient prépondérantes, le mouvement de concentration est amorcé ; les micro-flottes de 1 à 5 véhicules tendant à se réduire au profit de parcs régionaux et nationaux. Autrement dit, face aux problèmes de rentabilité, les transporteurs s'organisent. A la veille de l'avènement de l'Euro, le secteur connaît une frénésie d'acquisitions et de regroupement depuis trois ans sous l'impulsion de groupes d'origine publique telles que les postes ou les entreprises ferroviaires. Selon le BIPE : « Ces mouvements capitalistiques répondent, entre autres, à l'élargissement des marchés, à la libéralisation des transports et à la mondialisation des échanges conduisant à la constitution de méga-opérateurs multimodaux et muti-métiers de plus en plus intégrés ». La croissance rapide des flux internationaux et les investissements nécessaires pour bâtir des réseaux mondiaux adaptés sont les deux principales raisons qui expliquent cette tendance.