Des profils prêts à l’emploi

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Formés, testés sur leur savoir-faire et leur savoir-être, les intérimaires deviennent une source de candidats privilégiée par les transporteurs afin de combler leurs besoins. Dans une conjoncture favorable à l’emploi, les agences d’intérim, également touchées par la pénurie, ont développé diverses techniques pour augmenter leur vivier d’intérimaires mais également, de plus en plus souvent, pour proposer à leurs clients d’embaucher leurs propres recrues.Dossier réalisé par Gwenaëlle Ily

La bonne dynamique rencontrée en 2018 a entraîné de fortes difficultés pour les agences d’intérim pour répondre à toutes les demandes. Comme l’ensemble des acteurs du transport, elles peinent à pourvoir l’ensemble de leurs postes. Selon les estimations, d’ici cinq ans, il faudra environ 30 000 nouveaux conducteurs en France, indique le groupe Synergie. « Le transport et surtout la logistique regroupent 15 à 16 % des intérimaires en France, soit environ 100 000 équivalents temps plein, précise Nicolas Delattre, responsable grands comptes à Synergie, groupe d’intérim multisectoriel. Cette proportion est deux fois plus importante qu’il y a dix ans. » Un besoin qui s’explique par deux facteurs, outre le regain d’activité. Le premier est structurel puisque la pyramide des âges de la profession regroupe beaucoup de personnes proches de la retraite. Et reste un nombre de jeunes formés aux métiers insuffisant pour combler les départs à la retraite du fait de la faible attractivité du secteur.

Solutions

Prescripteurs, réseaux, bouche-à-oreille, parrainage, sites d’emplois… Pour augmenter leurs effectifs, les entreprises de travail temporaire ont tablé sur un ensemble de mesures de sourcing. « Il n’y a pas un outil meilleur qu’un autre. Tout dépend de la capacité à utiliser l’ensemble des outils à disposition et à les optimiser, indique Jean-Charles Cipriotti, fondateur et dirigeant de Mantrans, groupe d’intérim spécialisé et dédié aux secteurs du transport et de la logistique. Sourceur est aujourd’hui un métier à part entière qui s’avère peut-être même plus important que le recruteur. Le plus compliqué aujourd’hui n’est pas de recruter un candidat qui est en face de soi mais de le faire venir à vous. »

Parmi les solutions de sourcing développées par les sociétés d’intérim, la formation pour amener les personnes dans le secteur apparaît comme l’une des plus efficaces. « Le principe est de former pour créer la compétence qui manque aujourd’hui, soutient Nicolas Delattre. L’enjeu majeur pour combattre la pénurie, c’est la formation. » Les jeunes qui arrivent sur le marché du travail ou les personnes en reconversion se voient proposer des formations de permis PL ou SPL ainsi que des cursus de professionnalisation avec cours théoriques et mises en pratique chez le client. « On n’envoie pas aux transporteurs un conducteur listé dans un fichier d’intérimaires comme c’est le cas dans les autres secteurs, souligne Nicolas Delattre. En revanche, nous mettons en place un parcours de formation. C’est un engagement mutuel puisque le risque est que les gens s’arrêtent en plein cursus ou partent travailler ailleurs une fois la formation terminée et payée. » De son côté, le groupe RAS a formé 1 000 conducteurs en 2018 et se fixe au minimum le même objectif pour cette année. Cette politique lui a permis d’ouvrir 25 agences pour un réseau qui en compte 130 sur tout le territoire.

Fort de l’historique de pénurie vécue en 2016 puis en 2017, Randstad a lancé des sessions de formation en fonction de la volumétrie de commandes qui n’ont pas pu être fournies. « On lance des formations longues en faisant en sorte que les candidats arrivent sur le marché au moment où on est prêts à leur proposer quelque chose, indique Catherine Mourlevat, responsable Centres experts Randstad. Des jeunes sont actuellement formés aux permis PL et SPL pour arriver dans les entreprises à partir de mars-avril. » Toutefois, les personnes engagées dans un cursus de formation n’ont aucune obligation de rester dans l’agence ou l’entreprise cliente à l’issue de leur formation, ni de terminer la formation. Les abandons et départs sont devenus la hantise des agences, qui développent diverses techniques pour conserver leurs recrues avant même le début de la collaboration. Une sélection rigoureuse est réalisée en amont pour détecter les personnes réellement intéressées par le métier. « Il faut présélectionner les candidats lors d’un premier entretien, puis réaliser encore entre deux et trois entretiens individuels pour leur présenter le métier et ses spécificités, effectuer divers tests, le tout ayant pour but d’évaluer leur réelle motivation, souligne Jean-Charles Cipriotti. Cela demande beaucoup de temps mais cette sélection poussée est gage de réussite. C’est également pour cette raison que nous ne pouvons pas former en masse. Toutefois, ce qui compte, c’est le nombre de personnes qui intégreront l’entreprise du client à l’issue du processus. » Par ailleurs, au-delà de la seule conduite, le métier de conducteur requiert une palette de compétences assez larges. « Il y a du relationnel client, de l’administratif, du chargement/déchargement, indique Nicolas Delattre. Le métier ne peut pas convenir à tout le monde, contrairement par exemple à celui de préparateur de commandes. »

Formation en vue d’un CDI

Outre cette sélection poussée, pour que le processus fonctionne, le client doit s’engager dans un réel partenariat avec l’agence d’intérim et jouer le jeu. « Lorsque nous présentons des candidats, futurs stagiaires, à un client, une “opération séduction” s’avère nécessaire pour que ces derniers se projettent dans l’entreprise dès leur intégration, explique Jean-Charles Cipriotti. L’entreprise et l’emploi doivent devenir la finalité de la formation dans l’esprit du stagiaire. Il est primordial d’accompagner les stagiaires, d’être à leur écoute afin d’éviter qu’ils abandonnent leur formation. Il faut détecter le découragement ou la difficulté pour y faire face le plus tôt possible. » Et lorsque le travail en commun entre transporteur et agence autour de la formation est bien réalisé, le rapport devient « gagnant-gagnant ». « Nous avons engagé un effort supplémentaire sur la qualité de recrutement et le suivi pendant la formation des collaborateurs mais il faut aussi que nos clients acceptent de les faire travailler, car ce sont des débutants, indique Vincent Girma, président de RAS Intérim, agence de travail temporaire spécialisée dans le transport. Les résultats obtenus ont permis des embauches par la suite. » Nombre de ces formations en alternance débouchent ainsi sur un CDI, sans passage par l’intérim. Chez Synergie, ce sont quelque 150 CDI qui ont été conclus sans mission d’intérim. Pour Mantrans, qui dispose également de son propre pôle formation, « que la formation aboutisse à un poste en CDI ou une mission en intérim, le plus important reste le retour à l’emploi du candidat, ce qui est la vocation même de nos entreprises ». Autre cas de figure : après plusieurs missions, le transporteur peut selon certaines conditions embaucher un intérimaire en CDI. Lors des missions menées au préalable, le transporteur peut observer l’intérimaire et apprendre à le connaître avant de l’embaucher. La formule comporte de nombreux avantages, comme chez RAS : « Avant de recruter un intérimaire en CDI, nous passons une heure trente d’entretien avec lui, lui faisons passer des tests, réaliser des missions plus ou moins longues. À un transporteur qui souhaite embaucher, nous enverrons quelqu’un qu’on aura identifié comme ayant des velléités par rapport à un type de transport précis. Nous aurons aussi testé son savoir-être. C’est d’ailleurs pour bien les connaître que chaque permanent d’agence ne gère que 25 à 30 intérimaires maximum. » Sur les 1 000 conducteurs formés en 2018 par RAS Intérim, plus de 50 % ont d’ores et déjà été recrutés. Le nombre d’embauches a été particulièrement élevé en septembre et octobre, soit après les missions d’intérim estivales.

Toutefois, pour obtenir les conducteurs qui leur correspondent, les entreprises doivent rivaliser entre elles. Elles tablent sur leur image, la qualité de leur accueil, l’intégration, l’ambiance mais aussi la qualité du matériel, comme des camions neufs… Les conducteurs étudient tous les critères avant d’accepter une embauche. « Ils regardent attentivement les propositions, et sont embauchés quand tous les critères correspondent à ce qu’ils veulent, précise Catherine Mourlevat. C’est particulièrement le cas de chauffeurs qui ont des compétences très pointues, comme l’ADR, déjà engagés en longue mission ou appréciant le mode de vie intérimaire. Aux transporteurs qui sont sûrs de vouloir embaucher en CDI, nous conseillons de communiquer directement sur ce type de contrat. Ainsi, l’entreprise attirera peut-être d’autres conducteurs qu’uniquement les intérimaires. »

Transports Dazzan
Brice Dazzan, gérant des Transports Dazzan (32) qui emploient 9 salariés

« Je n’ai encore jamais embauché d’intérimaires en CDI car notre recrutement s’effectue essentiellement par le biais de nos chauffeurs, sur le mode du bouche-à-oreille. En revanche, nous recourons fréquemment à l’intérim, et ce sera particulièrement le cas cette année, car notre volume de transport devrait fortement augmenter. Avec des intérimaires, nous allons pouvoir doubler les postes, en équipes de jour et de nuit, et nous pourrons établir un roulement entre les conducteurs en porteurs et ceux en semi-bennes. L’intérim représente ce qui correspond le mieux à notre besoin, car c’est éphémère. Nous ne savons pas exactement combien de temps le surplus d’activité devrait durer et nous sommes aussi dépendants des aléas climatiques. Par mauvais temps, l’activité s’arrête. Bien sûr, les intérimaires sont plus chers que les CDD, et ils restent sur des postes de jour. Mais dans le cas de l’intérim, je n’ai pas à m’inquiéter de payer un conducteur en absence d’activité. »

Transports Rini
Fabienne Rini, codirigeante des Transports Rini (11) qui emploient 11 salariés

« Nous n’employons pas d’intérimaires, bien que nous en aurions peut-être besoin lors des congés d’été. Mais le temps qu’ils apprennent à connaître notre fonctionnement et nos clients, leur mission serait déjà terminée. Et nous nous posons toujours la question du respect du matériel. Ils ne sont là que pour quelques jours, alors pourquoi s’en inquiéteraient-ils ? En outre, nous nous situons dans le Sud, une région où les intérimaires préfèrent aller à la plage en été plutôt que d’accepter des missions… Nous avons donc décidé d’arrêter nos véhicules pendant la période estivale, et de procéder à leur entretien. »

Transports Mousset
Isabelle Gaudin-Rouillard, chargée de pôle marketing et RH du groupe Mousset (85) qui emploie 1 700 salariés

« Nous faisons régulièrement appel à des intérimaires. Bien sûr, nous apprécierions d’être en sureffectif pour avoir le temps de former nos collaborateurs, car nous sommes toujours en flux tendus. L’idéal serait d’être à la fois centre de formation et agence d’intérim, de façon à toujours disposer d’un volant de collaborateurs qui entrent dans l’entreprise et auraient le temps d’être formés… Puis, avant d’avoir un poste fixe, occupent des postes intérimaires avant d’obtenir un poste en CDI. »

Transports Le Calvez
Muriel Haugeard, DRH des Pôles gaz, hydrocarbures et avicole du groupe Le Calvez

« Nous avons recours aux sociétés d’intérim pour nos activités, y compris pour le transport de matières dangereuses qui implique des formations particulières. On ne peut pas juste passer un coup de fil pour exposer notre besoin de recrutement car nous devons rencontrer nos interlocuteurs pour vérifier qu’ils comprennent bien notre besoin. Nous avons connu des échecs avec des agences qui disaient connaître le transport mais n’avaient, par exemple, pas vérifié les dates de validité des documents des conducteurs. Les exemples réussis avec certaines agences d’intérim sont le fruit d’un vrai partenariat gagnant-gagnant : nous externalisons une partie de notre recrutement sur des bassins d’emploi plus difficiles, tout en contrôlant les documents et la formation avant embauche ; l’agence d’intérim investit dans des formations qu’elle peut amortir sur deux ou trois saisons. Il nous arrive de faire appel à une agence d’intérim pour recruter ensuite en CDI. En trois ans, nous avons recruté une trentaine de conducteurs via le dispositif POEC (préparation opérationnelle à l’emploi collective). Le processus d’intégration d’un conducteur, qu’il soit intérimaire ou en CDD est strictement le même. Le coût de la main-d’œuvre est plus élevé qu’une embauche réalisée en interne, mais nous avons à cœur de satisfaire nos clients en mettant à leur disposition un personnel formé et qualifié. »

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