Alors que la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018 apporte de nouvelles mesures pour inciter les entreprises à recruter davantage de personnes en situation de handicap (cf. l’OT n° 2948), le secteur s’avère encore loin du seuil de l’OETH, établi actuellement à 6 % de l’effectif salarié global. Selon le rapport de l’OPTL* 2018, sur les 358 581 salariés que comptait le TRM fin 2017, 17 601 travailleurs handicapés étaient employés dans le secteur. Les 4 995 établissements du secteur assujettis à l’OETH répondaient à un taux d’emploi global de 3,21 %. Face aux difficultés de recrutement, les entreprises du secteur pourraient combler leurs besoins en embauchant les personnes en situation de handicap, mais des freins subsistent. « Les accords handicap ne sont pas négociés au niveau de la branche », déplore Thierry Douine, président de la CFTC transports et vice-président de l’Ipriac. Face aux critères de pénibilité inhérents à la branche, comme le port de charges lourdes, il n’est pas rare que des cas de handicap touchent des salariés du secteur au cours de leur carrière. « Notre branche fabrique davantage du handicap qu’elle ne favorise l’insertion, ajoute-t-il. Des salariés qui deviennent inaptes à la conduite ont des difficultés à être insérés dans un autre métier alors que c’est possible, parfois avec des aménagements, et des aides de financement sont proposées. Des classifications qui donneraient aux personnes des possibilités d’évoluer vers des postes plus adaptés permettraient aussi de garder ces salariés. »
Néanmoins, des initiatives commencent à poindre dans les entreprises et les organismes du secteur. Dans le cadre d’une convention signée en 2017 avec l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées), l’Opca Transports et Services mène des actions en faveur de l’emploi des personnes en situation de handicap auprès des entreprises et de ses partenaires. Durant la Semaine européenne de l’emploi des personnes handicapées, qui s’était déroulée fin novembre, l’organisme avait mis en avant la formation en alternance pour combattre les préjugés. Plusieurs ateliers d’une dizaine d’entreprises s’étaient tenus en régions pour sensibiliser les sociétés et montrer des parcours réussis. Même si les préjugés perdurent, les entreprises du secteur du transport routier de marchandises tendent à être plus sensibles au sujet. Les contrats de professionnalisation des travailleurs handicapés étaient ainsi en hausse de 71 % en 2018 par rapport à l’année précédente.
Identifier rigoureusement les aptitudes des handicapés pour les métiers de la conduite et leur permettre de passer ou de revalider leur permis de conduire. La prestation d’évaluation des capacités fonctionnelles (PECF), créée fin 2012 sous l’impulsion de la FNTR Bretagne et proposée par l’Aftral à Cesson-Sévigné (35), a permis à plus de 170 personnes de tester leurs aptitudes à prendre ou reprendre la route malgré un handicap. Jusqu’à présent unique en France – à peine 30 % des personnes qui en ont bénéficié provenaient d’autres régions, pour des raisons d’accessibilité et de coûts – elle sera bientôt proposée dans trois autres villes. « Nous lancerons la prestation dans nos centres de Monchy-Saint-Éloi, Toulouse et Lyon, pour mieux quadriller le territoire et pour que les personnes en situation de handicap ne soient pas obligées de se rendre à Rennes, indique Loïc Charbonnier, P-dg de l’organisme de formation Aftral. Davantage de personnes pourront ainsi en bénéficier. » La présentation d’un simulateur équipé PMR (personne à mobilité réduite), financé par la Carcept Prev, aura ainsi lieu au centre Aftral de Monchy-Saint-Éloi le 27 juin.
La PECF, prise en charge par l’Agefiph, s’adresse aux personnes en situation de handicap qui souhaitent intégrer les métiers de la conduite ou qui voudraient régulariser un permis lorsqu’elles l’ont perdu suite à un handicap. « Cette prestation est un outil d’aide à la décision qui vise à accompagner les personnes qui peuvent poursuivre dans cette voie mais aussi ceux qui, à l’issue de la prestation, constatent d’eux-mêmes qu’ils ne peuvent plus, précise Valérie Lardière, directrice des centres Aftral de Cesson-Sévigné (35) et de Saint-Brieuc (22). La prestation vise à faire comprendre à ceux qui ne peuvent plus posséder le permis qu’ils doivent changer de projet. »
Le processus de la prestation repose sur un travail d’équipe entre l’Agefiph, le conseiller de Cap emploi ou de Sameth (services d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés) qui suit la personne en situation de handicap et une ergothérapeute missionnée par l’Aftral. « Un candidat accompagné par un conseiller est le prérequis pour obtenir la subvention de l’Agefiph, indique Valérie Lardière. Il faut que soient établies une identification du projet et la nécessité de faire des tests d’évaluation. » Une fois la prescription du conseiller reçue par le centre, un premier diagnostic est réalisé par une ergothérapeute, d’abord par téléphone, pour valider la nécessité de la prestation selon le handicap et les éléments qu’elle recueille. « Nous disposons d’un simulateur de conduite équipé PMR, souligne Valérie Lardière. Il permet des compensations selon les handicaps, comme l’inversion des pédales ou des boules qui permettent par exemple les commandes depuis le volant. » Un formateur de l’Aftral, sensibilisé à l’accueil de personnes handicapées, peut également intervenir. L’exercice est parfois complété par des exercices sur des véhicules réels équipés de matériels de compensation, d’un accès facilité à la cabine et de tâches annexes relatives à la sécurité du véhicule. « Lorsque nous donnons un résultat favorable sous réserve de compensation identifiée, ça reste un conseil, avec une synthèse adressée au candidat et au conseiller », indique Valérie Lardière. Avec ce document, le candidat doit encore réaliser une visite médicale auprès du médecin de la préfecture qui décide ou non de donner la validation de la capacité à passer ou repasser le permis. « On ne brûle pas les étapes, précise Valérie Lardière. La démarche peut paraître longue mais nous sécurisons car l’objectif est de mettre sur la route les personnes qui en ont réellement les aptitudes. » Une fois l’accord du médecin de la préfecture obtenu, la démarche peut continuer, hors prestation. Dans le cas d’une régularisation, la personne peut avoir besoin d’un temps de pratique du véhicule puis devra se présenter devant des inspecteurs qui valideront ou non le permis. Les gens qui cherchaient une formation initiale peuvent intégrer un organisme ou une école et suivre un parcours commun. Des demandes d’entreprises et de personnes arrivent également en dehors du circuit qui permet la prise en charge de la prestation. « Les entreprises nous contactent de plus en plus. Bien sûr, elles sont en besoin de recrutement et la politique financière peut les inciter, mais nous sentons une réelle démarche d’inclusion. On a dépassé le cadre des grands discours. »
Les Transports Rouxel Logistique avaient d’eux-mêmes entrepris des démarches pour permettre à un salarié amputé du bras droit de reprendre la route. La 4e édition des Trophées Carcept Prev avait primé l’entreprise le 20 juin 2017 pour ses démarches en faveur de l’intégration d’un conducteur handicapé. Devenu exploitant après la perte de son emploi de conducteur, il avait rejoint Rouxel Logistique en 2015 mais souhaitait reprendre la conduite. Devant la détermination du salarié, le groupe s’est penché sur la possibilité d’adapter un véhicule. Après plusieurs démarches effectuées seule, l’entreprise établit des contacts auprès de la Carcept Prev et de l’Agefiph pour obtenir plus d’informations, notamment sur les aides financières disponibles. L’entreprise passe au crible les nouvelles techniques disponibles et leur adaptabilité à un handicap précis. Elle choisit un boîtier au niveau du volant, accessible par le bras valide et regroupant toutes les manettes (clignotants, feux, essuie-glaces, klaxon…).
L’Aftral a, de son côté, procédé à la formation du conducteur avec les nouvelles manettes accrochées au volant et la boîte automatique de vitesses. Enfin, la médecine du travail a validé l’aptitude à la conduite du salarié. Il restait à l’entreprise le soin d’adapter les trajets du conducteur. Affecté à une ligne régulière, il ne procède ainsi à aucun chargement et déchargement.
* Observatoire prospectif des métiers et des qualifications dans les transports et la logistique