Des contraintes fortes

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Qu’il soit effectué sur route, sur l’eau – mer ou fleuve – ou sur rail, le transport du maïs répond à des besoins très spécifiques notamment parce qu’il s’agit d’une céréale saisonnière.

La campagne 2017-2018 de maïs a débuté il y a quelques jours sinon quelques semaines. Les transporteurs, routiers en particulier, sont sur le front pour une récolte qui, aux dires des témoignages des différents acteurs de la filière que nous avons pu recueillir, semble se présenter sous de bons auspices, notamment en raison de conditions climatiques globalement favorables. Dès lors, comme l’explique Pascal Lafargue, responsable technique et commercial de la partie vrac des Transports Mendy (40), il est logique de sentir que « la demande est plus forte qu’en moyenne et qu’un manque de camions pourrait entraîner une augmentation des revenus ». Cela n’empêche pas le responsable de garder un œil inquiet sur des prix mondiaux du maïs orientés à la baisse (cf. article p. 26). Quels que soient les aléas de la récolte, le transport de maïs demeure soumis à la saisonnalité. « On la subit. Les mois d’hiver sont très difficiles ; comme sur l’ensemble des activités vrac, résoudre l’équation rentabilité s’avère très compliqué », témoigne encore Pascal Lafargue. Il existe toutefois des parades : « Nous essayons de négocier nos prix de transport avant la récolte. Afin de préserver notre rentabilité, l’idéal consiste à travailler avec des coopératives agricoles afin de nous entendre sur des forfaits journaliers. Car, de manière générale, les clients ont le don pour répercuter leurs problèmes sur nous », explique le responsable. Christophe Lavigne, directeur de Trans Béarn Ets Lavigne (64), dont l’activité maïs ne représente toutefois que 2 % du CA et qui commence à peine la campagne, avance que ses tarifs « seront équivalents à ceux de l’année dernière » et quoi qu’il en soit « peu valorisants » alors qu’il estime qu’ils « devraient être mieux valorisés que ceux d’activités non saisonnières ». Pascal Poublan, gérant de Bigorre Services (65), société qui travaille avec des coopératives et des négociateurs et dont l’activité maïs mobilise au plus fort de la campagne le tiers de la flotte (soit l’équivalent d’une dizaine de véhicules), confie, sans plus de précision, que « les tarifs seront sur la même base que l’an passé ». Le son de cloche est encore sensiblement différent du côté des Transports Normadin (16). Son gérant, Pascal Normandin, avance que « la visibilité est pour le moment aussi compliquée qu’à la même période de l’an passé. Le marché n’est pas encore orienté et tout le monde attend que les cours remontent ». Et d’insister : « tant que les prix du maïs ne seront pas stabilisés, il n’y aura pas beaucoup de mouvements ». Dans son entreprise, le maïs assure presque 10 % du CA pour un mois de roulage maximum. « Nous ne sommes certes pas tributaires de cette activité mais elle constitue un bon complément sur la période concernée et nous permet d’optimiser nos coûts », remarque le gérant. Il ne cache cependant pas qu’il est « de plus en plus compliqué de trouver la bonne adéquation pour répondre aux attentes des clients alors que les marges ont tendance à se réduire ». D’autant que l’une des principales difficultés consiste en l’obligation d’être réactif : « Il est quasiment devenu impossible de disposer de prévisions sur le long terme ; nous sommes amenés à travailler à la semaine », ajoute-t-il. Quant à Christian Poublan, il ne manque pas de souligner « qu’en quinze ans, la durée de la récolte a raccourci de manière importante, passant de deux mois à cinq semaines seulement ».

Être réactif et précis

Julien Bas, directeur logistique et stockage de InVivo, groupe coopératif agricole organisé autour de quatre pôles d’activités (l’agriculture, la nutrition et la santé animale, le retail et le vin), est, en tant que responsable des silos du groupe, le premier à reconnaître la difficulté de la position des transporteurs : « un transporteur est toujours pris en étau entre les autres acteurs de la filière ». Il révèle pour autant sans détour les attentes qui sont les siennes : « afin de garantir la chaîne de valeur, il convient que tout transporteur soit en mesure de se présenter à l’heure et avec le bon produit, dans de bonnes conditions de sécurité qui tiennent notamment au fait que le conducteur soit conscient qu’il évolue sur un site industriel aux contraintes spécifiques ». Il rappelle aussi que « l’on a parfois tendance à oublier que le transporteur est au cœur de la chaîne de valeur de l’export », déplorant au passage que « ce qui dicte souvent la moisson est la disponibilité de la moissonneuse batteuse ». Dans le même ordre d’idée, il regrette que l’expression « achat d’un bateau de maïs », lorsque l’on évoque le commerce international, masque quantité de paramètres : « La filière a besoin de précision et de qualité. Les cahiers des charges des acheteurs internationaux comportent plusieurs critères, par exemple le taux de poussière ou encore celui d’impureté qui ne correspondent pas forcément à ceux d’un territoire donné. D’où notre besoin de connaître exactement où se trouve la marchandise qu’il nous faut ». Dans cette quête, les progrès technologiques sont de précieux alliés. Alors que la notion de « silo virtuel » ou de « silo juste à temps » fait son chemin, il convient, selon Julien Bas, « afin d’améliorer l’efficacité de tous, de continuer à passer d’une logique de flux poussés à une logique de flux tirés, la digitalisation des données favorisant pareille transformation ». L’attention est ainsi portée sur le juste à temps, la traçabilité, le « pré-delivery » (fait d’être en mesure d’anticiper un besoin, ndlr). La puce (RFID) pourrait ainsi s’avérer la meilleure amie du grain : « La reconnaissance de la marchandise le plus en amont possible est primordiale ; c’est pourquoi la mise en place de puces autour des caisses voire dans la marchandise même est susceptible de se développer », assure le directeur logistique et stockage. Ces propos tranchent avec ceux, sans doute plus proches du terrain, de Christian Poublan : « Les attentes de nos clients sont très simples : que nous soyons en mesure de fournir des camions pour “bouger” les récoltes ». Thomas Sartre, responsable logistique physique supply chain pôle agricole chez Euralis, autre coopérative agricole, aime pour sa part à parler en termes de partenariat lorsqu’il évoque les transporteurs routiers qu’il préfère de « taille humaine ». À travers sa filiale d’affrètement Alfa ou Alliance Fret Atlantique (33), Euralis peut compter sur une flotte propre de seize camions, capacité qui demeure très en deçà des besoins de la structure qui sont évalués à 180 véhicules. Concernant les transporteurs, Thomas Sartre explique que Euralis « signe des contrats à l’année et s’engage à travailler avec au moins un camion à l’année tout en mobilisant un second pendant la durée de la campagne ». Il veille en outre « à communiquer des prévisions dès le mois de juillet et garantir un paiement des prestations à 30 jours » pariant « sur des transporteurs qui restent fidèles sur la durée plutôt que tentés de saisir des opportunités à court terme ». Le responsable logistique révèle aussi qu’une partie du transport est assurée la nuit, ce qui « permet de ne pas remplir davantage les routes le jour et de réduire le niveau d’accidentologie ».

Le GNV attendra encore

La préoccupation environnementale, elle est placée au centre du choix du parc propre de la société Alfa ; mais Thomas Sartre convient « qu’il n’est pas possible d’obliger les transporteurs en leur rajoutant des contraintes ». Si le sujet du GNV est à l’étude chez Alfa dans la mesure où des stations seront bientôt accessibles à Tarbes et dans les Landes, il est également sur les tablettes des Transports Mendy. Rappelant que l’entreprise qu’il représente a été précurseur en la matière, Pascal Lafargue remarque que des poids lourds fonctionnant au GNV ne sont pas encore disponibles pour les activités de vrac. Le responsable explique que pour celles-ci « les 44 tonnes réclament 10 ch/tonne alors que le seul tracteur disponible sur le marché dispose à l’heure actuelle de 400 ch seulement ». Et de compléter : « nous attendons ainsi la commercialisation du futur moteur Iveco devant développer entre 450 ch et 460 ch sur le Stralis pour nous tourner vers le gaz et apporter un plus à nos clients ». Pascal Normandin est encore plus catégorique sur ce point : « La technologie actuellement commercialisée rend impossible l’utilisation du GNV dans les activités maïs. Il faudra sans doute attendre 2020 pour rouler au gaz ». Cet état de fait est confirmé par les propos de Christian Poublan : « Dans le domaine agricole, le gaz n’est pas encore adapté. Outre les aspects techniques liés aux moteurs, le nombre de stations est loin d’être suffisant lorsque l’on opère par exemple en plein milieu des Landes ou dans le Gers ». Les constructeurs ont pourtant un rôle à jouer, comme le souligne d’ailleurs Thomas Sartre dans un autre domaine : « Les fabricants de poids lourds nous accompagnent dès le début et tout au long de la campagne. Pour la structure Alfa, nous disposons ainsi d’un accord de location courte durée avec le concessionnaire local Mercedes qui nous garantit de disposer d’un matériel adéquat ».

Fret SNCF veut se repositionner

Fret SNCF entend d’ailleurs profiter de l’aubaine environnementale pour se repositionner, essentiellement sur le Sud-Ouest, notamment dans les régions de Bayonne et de Bordeaux, pour l’acheminement vers les ports de ces deux villes. Jean Colas, référent marchés céréaliers de l’entreprise, explique : « Bien que dans ces régions les acteurs de la filière aient pris l’habitude de s’appuyer sur des moyens routiers, nous entendons très prochainement proposer une offre à des prix compétitifs ». Le référent n’en demeure pas moins conscient des enjeux : « Il ne faut pas se leurrer ; même si les industriels et les coopératives peuvent être facilement séduits par la solution de la voie ferrée, la décision reste d’abord d’ordre économique et, à quelques centimes d’euro à la tonne près, un marché basculera en faveur du routier ». Mais Fret SNCF est sûr de ses avantages par rapport au transport routier : « Nos capacités de chargement sont nettement supérieures puisqu’un train équivaut à 50 ou 60 poids lourds, sans compter que le ferré autorise une simplification de la gestion administrative », avance Jean Colas. Et d’insister sur « les moyens dédiés en matière d’organisation, les capacités de réaction rapide et le suivi en matière d’information que Fret SNCF apporte chaque année à ses clients ». Cette volonté affichée est corroborée voire soutenue par le GPMB (Grand Port Maritime de Bordeaux) qui voit en moyenne quelques 900 000 t de maïs transiter chaque année : « Dans son rôle de facilitateur, le port de Bordeaux considère aujourd’hui avec intérêt la remise en état de lignes ferroviaires capillaires de son hinterland qui permettraient de rationaliser la logistique des opérateurs depuis la coopérative jusqu’au point de stockage portuaire. Toujours dans cet esprit d’optimisation et de massification du transport de marchandises, les Voies Navigables de France (VNF) s’intéressent également à la filière et évaluent de leur côté, et ce depuis plusieurs mois maintenant, la pertinence de la relance du transport de fret dans le Sud-Ouest par la voie d’eau (canal latéral à la Garonne) jusqu’aux terminaux céréaliers du GPMB », révèle Didier Domens, Development Project Manager du GPMB. Cette démarche s’inscrit dans la préoccupation de faciliter et fluidifier le passage portuaire des marchandises, dont le maïs : « La multimodalité pour les pré- et post-acheminements portuaires correspond à l’une de ces pistes. Elle est susceptible d’apporter des solutions opérationnelles diversifiées pour nos clients mais également, selon les produits à transporter, des réponses aux problématiques environnementales et sociétales. Ce travail sur la multimodalité augmente l’offre de transport au niveau local et participe à l’amélioration du fonctionnement du port », justifie Didier Domens. Peut-on dès lors considérer comme rivaux les différents types de transport ? Tel n’est pas l’avis de Pascal Normandin : « Le transport routier est complémentaire du fluvial et du ferroviaire ; il peut, en outre, pallier les défaillances de ces derniers. Et quoi qu’il en soit, le surplus de trafic ne peut pas encore être absorbé par le ferroviaire dont les tarifs ne sont toujours pas compétitifs sur le marché ». Christian Poublan concède toutefois qu’en cas de prise de parts de marché par Fret SNCF, « cela se traduira forcément sur nos volumes ».

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