Envisagée de façon classique, la maintenance est dite « périodique ». Elle est dans ce cas fondée sur des échéances kilométriques et applique le cycle SMSL qui enchaîne des opérations légères (S, small), moyennes (M, medium) et lourdes (L, large). Philippe Menot, coordinateur des méthodes après-vente de Scania France, rappelle : « Pour l’entretien, le kilométrage ne donne qu’une indication limitée. La connectivité éclaire sur les conditions réelles d’utilisation. Une étude menée en Suède sur 100 000 véhicules entretenus selon un plan de maintenance périodique montre que 80 % d’entre eux sont trop entretenus alors que les 20 % restants ne le sont pas suffisamment. » Il y a donc gaspillage dans quatre cas sur cinq. Ce qui compte, c’est donc « le bon entretien au bon moment », comme le dit Vanessa Cerceau, de Scania France.
En matière d’entretien, agir de manière corrective, dans l’urgence, quand la défaillance est intervenue, est un facteur de désorganisation du transport et des ateliers d’entretien, qui n’ont pas nécessairement les ressources humaines et les pièces pour réagir intempestivement. L’action préventive limite les risques de casse, mais elle a un coût dont il faut se convaincre qu’il est inférieur à celui d’une immobilisation en bord de route. Elle s’applique volontiers au turbo après 600 000 km chez certains constructeurs. Depuis 2016, les camions DAF sont équipés du boîtier DAF Connect qui favorise l’action préventive grâce à un suivi à distance des organes.
Tous les acteurs du marché visent l’entretien « prédictif », c’est-à-dire celui qui intervient au moment le plus judicieux, avant la panne, mais sans gaspillage de ressources. La capacité des transporteurs à le déployer est extrêmement variable et il existe de nombreux stades d’évolution intermédiaires entre le plan périodique et l’intervention prédictive. Ils passent tous par une personnalisation du plan d’entretien. Concrètement, l’entretien est déterminé par l’utilisation réelle du matériel. Celui-ci est maintenant communiquant. L’analyse des données qu’il émet, pondérée par des modèles sans cesse actualisés et collationnés par le big data, détermine les opérations à réaliser. La voie vers l’entretien prédictif passe par la multiplication des capteurs, la transmission de leurs informations au constructeur et la valorisation de celles-ci. Le transporteur gagne en disponibilité de son matériel tandis que le constructeur dispose là d’un moyen de s’assurer de la fidélité de son client.
Avant de conquérir des véhicules complets, la maintenance connectée s’est d’abord appliquée à quelques points sensibles. Il s’agit par exemple de surveiller la pression des pneus d’une semi-remorque ou le niveau de carburant d’un groupe frigorifique pour éviter d’en perdre la cargaison. Les manufacturiers et les réseaux pneumaticiens développent leurs solutions TPMS (Tyre Pressure Monitoring System). Elles sont plus ou moins communiquantes et parfois complétées par des fonctions de gestion de flotte. Le monitoring du transport sous température dirigée a pour suite logique la maintenance connectée du groupe frigorifique et de son environnement. Plus récemment, ce sont les hayons élévateurs Dhollandia et les grues Hiab qui se sont dotés d’une maintenance connectée, voire prédictive. Pour ces carrossiers, il s’agit de convertir la disponibilité induite en avantage client, donc en atout concurrentiel. Au niveau des chaînes cinématiques, la connectivité devient la règle. C’est pourquoi la boîte TraXon que ZF fournit à DAF, Iveco et MAN comprend un boîtier électronique pour sa maintenance prédictive.
Le véhicule, ses composants, sa carrosserie et parfois son chargement deviennent des objets connectés et participent à l’IoT (Internet of Things). Dans le cadre de leur entretien, la connectivité apporte notamment la localisation du matériel et des éléments facilitant le diagnostic à distance.
Selon le métier, la maintenance connectée prend différentes formes. Le réseau pneumaticien BestDrive dispose de l’outil de gestion de parc FleetFox. « Comme les autres logiciels de suivi de flotte, il donne une vision complète du parc d’un client. Les techniciens qui visitent les parcs sont équipés de tablettes grâce auxquelles ils saisissent les préconisations de travaux. Il en résulte une automatisation en cascade de l’ensemble de la chaîne d’entretien », explique Jean-Michel Rouyer, directeur commercial de BestDrive.
Qu’il s’agisse de dématérialiser les documents de transport, d’échanger des informations avec la carrosserie ou de recueillir les données nécessaires à la maintenance, il n’existe actuellement ni format de données, ni protocole de communication généralisés afin de permettre l’interopérabilité. Au sein d’un même groupe, Traton, les constructeurs MAN et Scania travaillent actuellement de façon totalement indépendante l’un de l’autre. Ce cloisonnement illustre la sensibilité du sujet. Garder le contrôle de sa maintenance connectée c’est garder le contrôle de ses clients. Cela n’empêche pas des challengers de proposer des systèmes de maintenance connectés « indépendants », prétendument prédictifs. Or, seul le constructeur peut intervenir sur le bus CAN. Il est donc le seul à voir tout ce que transmettent les capteurs. Une solution branchée sur la prise FMS n’apporte qu’une information partielle. D’autre part, l’information n’est pas tout. Son interprétation est essentielle. Sur ce point, le constructeur est évidemment le mieux placé pour interpréter avec pertinence les signaux envoyés par le véhicule. Cette pertinence s’appuie sur la vision globale qu’il a de son parc roulant, passé et présent, et des modèles qu’il peut en extrapoler.
Actuellement, Volvo Trucks France suit 1 000 véhicules en détection de panne. Son objectif est d’atteindre 10 000 véhicules fin 2019. Cela concerne à la fois ceux qui vont être mis à la route cette année et le parc roulant. Thierry Dussolliet, directeur commercial après-vente Volvo Trucks France, déclare que le RGPD (Règlement général sur la protection des données) est un frein au déploiement de la détection de panne à distance. « Le RGPD oblige à recueillir l’accord écrit de chaque client pour l’utilisation de ses données. La géolocalisation est un point sensible. Le diagnostic à distance n’est possible que si le client a donné son accord préalablement. » Toutefois, en cas d’appui sur le bouton VAS (Volvo Action Service) d’un camion Volvo, sa géolocalisation peut être utilisée afin de faciliter l’intervention du dépanneur.
La télématique apporte une vision précise de l’usage du véhicule, ce qui permet d’adapter la fréquence d’entretien à l’utilisation réelle. « Après établissement d’un plan d’entretien personnalisé, il faut encore vérifier sa justesse et son respect », précise Thierry Dussolliet. Actuellement offert par Volvo Trucks pendant 24 mois, le Truck Monitoring fait partie du contrat d’entretien connecté. Il suit à distance les états de la batterie, des filtres, des freins et de l’embrayage. Il applique des algorithmes pour alerter le client en cas de risque de panne afin d’intervenir avant celle-ci. C’est un pas vers la maintenance prédictive. Le Truck Monitoring étendra prochainement la liste des pannes qu’il pourra détecter.
En cours de déploiement, le portail Volvo Connect doit réunir l’ensemble des informations relatives à la flotte. L’exploitant et le chef de parc y trouveront les informations liées à la maintenance connectée, mais aussi celles de Dynafleet ou de systèmes tiers, notamment ceux des carrossiers et des spécialistes de l’informatique du transport.
Depuis 2012, les véhicules Scania sont munis du boîtier Communicator (C200, puis C300). Il les rend éligibles à la maintenance flexible. Scania France constate que cette démarche réduit de 10 % le temps passé en atelier par un véhicule. Pourtant, mi-février 2019, seuls 380 des 8 600 camions sous contrats de maintenance Scania sont entretenus en maintenance flexible, soit 4,4 %. « Notre volonté est d’avoir 40 % du parc en maintenance flexible. C’est la proportion constatée dans les pays européens où elle a été lancée avant de l’être en France », explique Philippe Menot, chargé du déploiement de la maintenance flexible. Le personnel d’atelier y a été formé, mais les vendeurs ne se sont pas encore totalement approprié ce service et ils ne le proposent qu’insuffisamment. Et pourtant, quand Scania parle de flexibilité, ce n’est pas un vain mot. Le constructeur remplace le cycle SMSL par 36 modules dont le plus important nécessite sept heures en atelier. Chaque module d’entretien n’est appliqué que s’il est nécessaire. Le point de service Scania et le client sont informés 21 jours avant la date souhaitable de passage au garage. Ainsi, le transporteur ne subit pas d’indisponibilité imprévue tandis que l’atelier peut lisser son activité. Les pièces sont naturellement approvisionnées à l’avance et la connectivité limite ici au maximum les surprises puisque l’état du camion est connu avant son arrivée. Mieux encore, il est possible de faire effectuer l’intervention par n’importe quel garage Scania en Europe. Les clients longue distance apprécieront. Inversement, Scania est également en mesure d’assurer l’entretien dans les murs du transporteur et cela, dans le cadre d’une maintenance déléguée. En pratique, le boîtier C200 ou C300 envoie une alerte à Scania à propos d’un besoin d’entretien. Elle sera visible par tout le réseau Scania. Le point de service habituel reçoit la séquence de modules à réaliser. Il contacte le client et convient avec lui d’un rendez-vous. Il s’assure de la disponibilité des ressources humaines et des pièces tout en s’informant à propos d’une éventuelle campagne de rappel dont devrait profiter le véhicule. « Le but est de ne pas découvrir un imprévu une fois que le camion est sur la fosse, et de prévenir le client du temps d’immobilisation de son véhicule. Grâce à la connectivité et à la maintenance flexible, les pièces sont approvisionnées, le mécanicien est informé et l’ordre de réparation (OR) est prêt quand le client arrive. La maintenance périodique est rigide, elle applique la séquence prévue. Avec la maintenance flexible, chaque séquence d’entretien devient différente et l’intervalle entre les opérations de maintenance varie. Le véhicule vient moins souvent à l’atelier et il y passe globalement moins de temps qu’avec une maintenance périodique. La solution est plutôt bien accueillie par les clients qui y voient un gain d’exploitation », détaille Philippe Menot.
La maintenance flexible n’impose pas d’être appliquée dès la mise à la route. Certains plans de maintenance périodique ont été transformés en maintenance flexible. La maintenance flexible peut également être appliquée à des véhicules qui n’étaient auparavant pas sous contrat d’entretien. Elle ne concerne pour l’instant que les motorisations diesel et exclut donc le gaz, l’hybride et l’éthanol. Son périmètre est limité à la chaîne cinématique. Elle n’intègre pas d’informations émises par la carrosserie.
Tous les véhicules MAN sont équipés de la RIO Box, capable d’envoyer des informations en permanence. Parmi elles, on trouve les niveaux des fluides, l’état des pièces d’usure (y compris le dessicateur d’air) ainsi que des codes défauts et la fréquence de leur apparition. Cette fréquence est un indicateur important pour l’atelier.
Chez MAN, Service Care décharge le client de la gestion de son parc et l’atelier coordonne l’entretien, voire les visites réglementaires. Alors que Service Care s’adresse prioritairement aux transporteurs qui n’ont pas d’atelier intégré, MAN Maintenance concerne plutôt ceux qui en sont équipés. Il leur communique les mêmes informations de maintenance connectée que celles envoyées à l’atelier. On note que les informations ne sont pas redescendues vers le chauffeur. Chargé de MAN Digital Services, Maxime Lamboley explique : « Chaque atelier peut suivre à distance l’état des véhicules qui lui ont été affectés dans sa zone de chalandise ainsi que leurs besoins d’entretien. Il est donc possible d’intervenir avant une défaillance. L’action de l’atelier n’est plus curative, mais proactive, en attendant de devenir pleinement prédictive. » Proposée par MAN, la Driver App permet au chauffeur de signaler des travaux souhaitables sur son véhicule, par exemple s’il constate un problème lors de son contrôle visuel à la prise de service. Parallèlement, dans un monde toujours plus connecté, on est presque surpris que la montre connectée Scania soit si peu impliquée dans les opérations de maintenance et la prévention des défaillances.
Mercedes Uptime (c’est-à-dire « disponibilité ») est le service de maintenance prédictive déployé par Mercedes, constructeur qui se distingue par le nombre élevé de capteurs dont il équipe ses camions. Ces capteurs, ce sont autant de moyens de suivre précisément l’état technique du véhicule et son utilisation réelle afin d’anticiper la panne. Évitant le curatif, l’action prédictive participe à l’organisation optimale du transport et des ateliers tout en réduisant les coûts imprévus, notamment le remorquage. En février 2019, Mercedes France dispose de 1 100 contrats Uptime vendus 22 euros par mois, ou seulement 12 euros s’ils complètent des contrats Complete ou Select Plus. Outre les véhicules du loueur CharterWay livrés depuis un an et demi, le parc suivi par Uptime comprend une partie des flottes Gefco-Mercurio et Rouxel.
D’autres constructeurs travaillent activement à la mise en place de la maintenance prédictive, notamment MAN et Volvo Trucks. Quant à Renault Trucks, il a déjà déployé cette prestation sur des flottes-pilotes autour de Cavaillon et promet un service différenciant. On regrette toutefois que son annonce officielle et son lancement commercial, d’abord évoqués pour l’automne dernier, soient vraisemblablement repoussés à l’été prochain.
La maintenance connectée, dans ses variantes proactives, flexibles ou prédictives, illustre une nouvelle réalité du transport. Les services connectés y sont désormais les principaux outils de compétitivité. Aujourd’hui, les pannes sont moins fréquentes, mais volontiers plus complexes. Elles nécessitent de développer les compétences numériques des professionnels de l’automobile afin d’exploiter pleinement les possibilités de « l’après-vente connecté ».
Fondée sur la maintenance connectée et nécessitant à la fois une étude au cas par cas et le suivi par un gestionnaire de parc Scania, le service Fleetcare de ce constructeur garantit une disponibilité contractuelle de la flotte. Par exemple, une flotte de véhicules de distribution doit être disponible à 100 % pendant certaines tranches horaires, Scania devant organiser son entretien en dehors de celles-ci. Discrètement déployé en France, ce service n’en est qu’à ses débuts. Avec lui, le client devient clairement captif du constructeur (il lui achète les véhicules et lui en délègue l’entretien), mais il gagne une visibilité sur son TCO, une disponibilité garantie du parc, et même une indemnité versée par le constructeur en cas de non-respect de ses engagements.
L. F.
Alors que Scania n’autorise la mise à jour des logiciels du véhicule qu’en atelier, Volvo Trucks permet cette opération à distance, par télématique. Elle peut par exemple concerner la cartographie du moteur ou le pilotage de la boîte, notamment dans le cadre d’un changement de mission du véhicule. Bien que susceptible d’être réalisée à distance, cette opération est toujours effectuée en totale transparence avec le client qui en est dûment informé.