L’un des objectifs de l’Union européenne est la réalisation d’un marché unique où circulent librement personnes, marchandises et capitaux. Le déploiement de systèmes de télépéage interopérable pour poids lourds de plus de 3,5 tonnes (et pour les autres véhicules) s’inscrit dans cette logique. Au niveau national, régional ou local, 20 États membres ont, à ce jour, déployé des systèmes de perception par télépéage, et leur nombre est en constante augmentation. En témoigne la taxe kilométrique belge en vigueur depuis le 1er avril 2016, ou le projet similaire au Pays basque espagnol prévu à compter de janvier 2018. Malgré la directive 2004/52 sur l’interopérabilité des systèmes de télépéage routier et la décision 2009/750 sur la définition du service européen de télépéage (SET), force est de constater que la multiplicité des dispositifs ne s’accompagne pas de l’homogénéité escomptée. En plus de rendre les déplacements difficiles et compliqués sur le continent, « il en résulte des coûts et charges pour les usagers qui doivent équiper leurs véhicules de plusieurs unités embarquées pour être en mesure de circuler sans contrainte dans différents pays », reconnaît la Commission européenne dans une proposition de refonte datée du 31 mai 2017 de la directive 2004/52 que L’Officiel des Transporteurs s’est procuré.
Les coûts de cette hétérogénéité sont estimés à 338 M€ par an, et se situeraient autour de 300 M€ par an d’ici à 2025 sans changement. L’absence d’interopérabilité génère également des coûts pour les fournisseurs de boîtiers embarqués. Pour un système national utilisant la seule technologie satellitaire GNSS (Global Navigation Satellite System) par exemple, le coût de déploiement des unités embarquées s’élève à 120 M€, et les charges d’entretien liées à 14,5 M€ selon la Commission. Laquelle dresse un constat sans appel : « Les objectifs sont loin d’avoir été atteints. Un certain degré d’interopérabilité a été obtenu mais, que ce soit en Allemagne, Croatie, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Pologne, Slovaquie, Slovénie, République tchèque ou au Royaume-Uni, seules les unités embarquées nationales peuvent encore être utilisées pour acquitter les péages ».
Moins commenté à ce jour, un autre « trou dans la raquette » réglementaire freine l’interopérabilité des péages en Europe : l’absence de contraintes pesant sur les propriétaires de véhicules immatriculés dans un autre État membre à respecter les péages. Aujourd’hui, un état membre qui détecte une infraction au péage au moyen d’un dispositif de contrôle automatique ne peut pas identifier l’auteur de l’infraction sur la base du numéro de plaque lorsque le véhicule est immatriculé à l’étranger. « Il n’existe en effet aucune base juridique au niveau de l’Union pour l’échange de données relatives à l’immatriculation des véhicules entre les Etats membres aux fins de respect du péage », signale la Commission. La perte de recettes qui en résulte pour les systèmes de péage nationaux, régionaux et locaux est estimée à 300 M€ par an !
Au-delà, les barrières à l’entrée et les exigences réglementaires imposées aux prestataires du SET sont également évoquées pour expliquer cet échec. Parmi elles, la Commission pointe un « traitement discriminatoire de la part des autorités publiques des Etats membres » comme « la protection d’opérateurs historiques, des procédures d’agrément longues et fluctuantes », ou encore, l’existence de « spécificités techniques des systèmes locaux non conformes aux normes établies ». Le fait que la législation actuelle n’énonce pas de façon claire les obligations des percepteurs de péage qui gèrent les systèmes de télépéage, et des États membres à l’égard des prestataires du SET « a permis le maintien de ces barrières sans que cela constitue une infraction au droit de l’Union ».
Au titre des exigences réglementaires imposées aux prestataires du SET, la Commission admet des erreurs quant à « l’obligation de fournir leurs services dans tous les États membres dans un délai de 24 mois à compter de leur enregistrement officiel », ou « d’alimenter le marché des utilitaires avec de coûteuses unités embarquées utilisant la technologie GNSS » sans qu’elle n’existe à ce jour pour ce type de véhicule !
La proposition de refonte de la directive 2004/52 vise à remédier à ces erreurs. Les bénéfices escomptés seraient de plusieurs ordres. Pour les usagers de la route, et en particulier les entreprises de transport routier de marchandises composées principalement de PME, les économies cumulées sont évaluées à 370 M€ par an jusqu’en 2025. Pour les gestionnaires de réseaux routiers, l’économie annuelle sur la même période serait de 198 M€. Quant aux prestataires du SET (12 recensés à l’échelle de l’Europe), ils bénéficieraient d’une réduction de leurs charges de l’ordre de 10 M€ par an et surtout, d’un élargissement de leur marché avec un potentiel de chiffre d’affaires supplémentaire de 700 M€ par an. Supportés par les gestionnaires de réseaux routiers pour l’essentiel, les coûts nés de la nouvelle directive pour adapter leurs systèmes de télépéage s’élèveraient à 174 M€ par an.
Au final, l’économie annuelle nette serait de 254 M€ jusqu’en 2025. La nouvelle directive serait « de nature à favoriser la concurrence, en permettant l’entrée de nouveaux opérateurs sur des marchés nationaux de perception par télépéage fondés jusque-là sur des monopoles ». Les fabricants d’unités d’embarquées, qui mènent déjà le jeu au niveau mondial, pourraient, en outre, tirer avantage d’une plus grande harmonisation des méthodes de perception par télépéage grâce à des normes européennes clarifiées.
La directive 2004/52 sur l’interopérabilité des systèmes de télépéage routier et la décision 2009/750 sur la définition du service européen de télépéage (SET) et ses aspects techniques, avaient pour objectif d’atteindre l’interopérabilité de tous les systèmes de péage électronique en Europe à l’horizon…2012. Non atteint à ce jour, le but affiché était d’éviter la prolifération de systèmes incompatibles entre eux, susceptibles de compromettre le fonctionnement du marché intérieur. Cet échec reconnu par les autorités communautaires est à l’origine d’une consultation lancée du 8 juillet au 13 novembre 2016 en vue de réviser la directive 2004/52. Cette refonte figure parmi les thèmes stratégiques évoqués le 31 mai 2017 par la Commission européenne dans son projet baptisé « Paquet Mobilité ».
Depuis la fin des années 1990, les systèmes de péage en Europe ont subi de profondes mutations avec l’arrivée de nouvelles technologies. Au début des années 2000, l’instauration de systèmes de communication dédiés à courte portée (DSRC : Dedicated Short Range Communications) ont fait leur apparition comme en France. Ceux-ci permettent la communication par onde et sans fil entre un équipement embarqué dans le véhicule et une antenne installée au bord de la chaussée. À partir de 2005, les méthodes de perception de péage fondées sur les systèmes satellitaires (GNSS : Global Navigation Satellite System) ont commencé à se développer comme en Allemagne (LKW-Maut). Jusqu’à ce jour, les deux technologies, qui chacune se décline selon les spécificités locales, imposent d’avoir au moins deux boîtiers embarqués dans les véhicules pour pouvoir circuler librement en Europe.