Quand on reprend une entreprise, la valeur ajoutée, ce sont les personnes. Mieux vaut les laisser dans leur zone de confort un bon moment, pour espérer les garder. » Romain Sissia, dirigeant des transports Boomerang, le sait d’expérience, lors des trois acquisitions qu’il a faites, de 20 à 30 % du personnel est parti. C’est pourquoi le TRM peut s’inspirer des autres secteurs d’activité où, dans sept opérations de fusion-acquisition sur dix dans le monde, l’acquéreur a recours à un programme d’incitations financières pour retenir les talents. L’ampleur de ce phénomène est le principal enseignement d’une étude de la société de conseil RH Mercer(1). « Ces pratiques se sont développées depuis notre dernière enquête, en 2012, car la valeur des opérations a fortement augmenté », assure Jean-Luc Durrieu, responsable fusions-acquisitions France et Europe du Sud de Mercer. « Les valorisations se sont envolées, confirme Pierre Cohen, directeur de P2C Partners. Dans le TRM, on va jusqu’à six fois l’Ebitda(2) contre trois il y a dix ans. » Si l’échantillon de l’étude Mercer est composé à 69 % de très grandes entreprises, son auteur assure que même des groupes de taille plus modeste tentent de limiter les risques liés à un départ. « Les acquisitions étant très chères en ce moment, on préfère retenir un dirigeant ou un cadre-clé au moins pendant un an à dix-huit mois », assure Jean-Luc Durrieu. L’offre porte sur une prime versée en une fois ou en plusieurs fois pendant un à trois ans, parfois avant que la vente ne soit effective. Elle peut être liée à l’atteinte d’objectifs et est parfois complétée par l’attribution exceptionnelle d’actions.
La définition de ces talents s’est par ailleurs élargie. Si, dans les entreprises les moins importantes, il s’agit surtout du P-dg, tout au plus aussi d’un patron de site ou de filiale, ces programmes concernent, dans 61 % des cas, le dirigeant et les autres membres du comité exécutif, mais aussi, à 71 %, des managers et à 70 % des salariés aux compétences « critiques » (notamment technologiques). « Nous conseillons à nos clients de commencer par repérer les talents avant de définir les modalités de la rétention, et non l’inverse, précise Jean-Luc Durrieu. Généralement, le dirigeant vendeur présente une liste à l’acheteur, qui conduit ensuite des entretiens avec chacun. »
Jean-Michel Rivera, directeur général du groupe Bert, tient à le faire, lui, dès que le cédant l’y autorise. « Cela peut porter sur des postes très différents les uns des autres, explique-t-il. Je rencontre le directeur financier ou encore le contrôleur de gestion, notre DRH voit son homologue, tout comme le DSI et le directeur commercial les leurs. Nous évaluons leur implication, leur connaissance du métier et des clients et, surtout, leur capacité à se projeter, à vivre les changements. » Cependant, selon lui, l’argent n’est pas un « sésame » dans tous les cas. « Un “second” partirait avec son dirigeant pour un projet, analyse-t-il. Dans ce cas, il nous est arrivé plusieurs fois de lui proposer un poste d’une dimension plus large que la société. Cela constitue un projet d’évolution professionnelle à l’échelle du groupe et cela donne plus de sens à son attachement. » Pierre Cohen confirme par un exemple : « Un transporteur que je viens d’accompagner dans la vente de son entreprise à un groupe, une personne vraiment capable, a été embauché par ce dernier comme directeur de sa société mais bien plus encore. Il a un gros poste assuré pour les dix dernières années de sa carrière. »
(1) « Risque de fuite des talents dans le cadre des opérations de M&A (fusions-acquisitions, ndlr) : les clés de la rétention », juillet 2017.
(2) Earnings before interest, taxes, depreciation and amortization (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement).