Il n’y a pas d’industrie qui performe sans une logistique forte. Et la France, si elle ne veut pas devenir la Bretagne des flux logistiques mondiaux, se doit de réagir. C’est en substance ce qu’il faut retenir des conclusions de la mission qu’ont menée le président de TLF, par ailleurs patron d’ID Logistics, et le dirigeant du groupe Daher. « Le barycentre français se trouve à la marge des grands flux », a lancé Éric Hémar au Premier ministre lors de la remise du rapport sur la compétitivité de la filière logistique hexagonale. La compétitivité de l’appareil productif français est à ce prix-là. Et si l’on veut que le Pacte productif 2025 impulsé par Emmanuel Macron se concrétise, il convient de s’inscrire dans cette « vision fédératrice de la manière dont nous souhaitons produire, consommer et vivre d’ici à quelques années et à s’assurer de la compétitivité du tissu productif français ». Éric Hémar et Patrick Daher l’ont rappelé au Premier ministre, « une logistique compétitive, performante et agile est un élément essentiel de cette stratégie ». Les pouvoirs publics ne semblent l’admettre que depuis peu mais, rappellent les deux auteurs de l’étude, une offre logistique qualitative et compétitive en France « est donc cruciale pour notre industrie ».
Il ne peut y avoir de transition écologique digne de ce nom sans une filière logistique au diapason, engagée sur les nouvelles énergies de carburant au volet transport, et sur les nouveaux matériaux et outils d’exploitation côté logistique, le tout dans un contexte d’économie circulaire. En toile de fond, le rapport indique la nécessité pour l’industrie et la logistique de s’adapter à un environnement mouvant : implantations industrielles en région, développement du commerce en zone urbaine et périurbaine, nouvelles formes d’échanges (circuit court).
La France pâtit de l’atomisation de sa filière logistique mais elle n’en recèle pas moins quelques atouts, ont relevé Patrick Daher et Éric Hémar. « D’abord son marché intérieur génère un volume conséquent de besoins, émanant des particuliers ou des secteurs de l’industrie et de la distribution ». Les infrastructures hexagonales seraient, selon eux, de qualité ou à fort potentiel et donc en mesure de traiter davantage de flux. Et puis, la France figure aux avant-postes des pays les plus performants en matière de technologie, ajoutent les deux patrons.
Le duo Hémar/Daher a identifié six mesures qui seraient à même d’offrir à la France un statut de « carrefour logistique stratégique ». Point numéro un : la mise en place d’un point unique aux frontières. L’enjeu ? Agir sur le nombre exorbitant de déclarations en douane import-export (18 millions chaque année) qui débouchent sur une multitude de contrôles douaniers par sondage et sur la vérification systématique de la validité de 300 000 certificats de conformité, documents sanitaires ou phytosanitaires. « L’accélération et la fluidité de ces procédures constituent donc un enjeu clé », selon les deux dirigeants. À leurs yeux, le point de contact unique (au plan numérique et physique) aux frontières devrait permettre aux importateurs et exportateurs de gagner en efficacité. Pour ce faire, il faudra réussir la mobilisation conjointe de trois administrations : les douanes, les services vétérinaires et phytosanitaires et la DGCCRF (concurrence, fraudes…). Les ports du Havre et de Dunkerque ont été choisis pour expérimenter ce nouveau dispositif.
La deuxième mesure préconisée par Éric Hémar et Patrick Daher porte sur une simplification des implantations logistiques. Les deux protagonistes invitent les pouvoirs publics – Édouard Philippe n’a pas manqué de le relever lors de la remise du rapport mais a semblé marquer un attentisme relatif – à assouplir règles et réglementations en tout genre pour l’implantation d’entrepôts logistiques généralistes. En clair, le temps c’est de l’argent et il faut rompre avec les incohérences de toutes sortes entre les différents régimes concernés (déclaration, autorisation simplifiée…). « Une nouvelle étape sera effectuée en 2020 en élargissant le champ du régime d’enregistrement qui permet une délivrance plus rapide de l’autorisation (de 300 000 m2 à 900 000 m2 pour les entrepôts généralistes de moins de 40 000 m2 de surface au sol) et en traitant certains entrepôts spécialisés (ceux ne relevant pas de la directive Seveso et ne contenant pas des poussières bois) de la même manière que les entrepôts généralistes », soulignent Éric Hémar et Patrick Daher.
Le paysage éclaté de la filière logistique a inspiré aux auteurs de l’étude la nécessité de créer une plateforme numérique qui, ce serait une première, rassemblerait autant les acteurs du transport que ceux de la logistique et les chargeurs. Le digital au secours de l’atomisation de la filière, c’est la mesure numéro 3 du tandem Hémar/Daher. Leur credo : porter la voix unifiée des entreprises. « Les données sont au cœur des stratégies logistiques mais les solutions existantes ne répondent que partiellement aux attentes des acteurs », relève la mission. La future plateforme numérique doit constituer un levier de compétitivité pour chaque acteur de la chaîne. Il est question, notamment, de « répondre aux besoins non satisfaits par les acteurs existants, en rendant disponibles de nouveaux services à valeur ajoutée comme la recherche de fournisseurs ou l’évaluation de la performance de chaînes logistiques. Les rapporteurs de l’étude ont annoncé qu’une équipe projet avait été constituée à la rentrée dans le but de formaliser les objectifs de la plateforme et de plancher sur sa gouvernance.
Dès le premier trimestre 2020, un benchmark européen dans le transport routier sera réalisé. C’est la quatrième mesure couchée sur le rapport par Éric Hémar et Patrick Daher. Quid des différentes réglementations sociales en vigueur dans l’Union européenne ? Il faudra, avec le concours du ministère des Transports et les administrations concernées (y compris les ambassades françaises), recenser les différentiels en vigueur entre la France et ses voisins européens, préconisent Éric Hémar et Patrick Daher. Car si la réglementation en matière de temps de conduite et de repos (sauf dans les cas de fraude au chronotachygraphe) ne souffre pas de déséquilibre, il n’en va pas de même concernant le temps de travail et plus généralement le volet social. Les ambassades vont ainsi être chargées de coucher sur le papier le contenu des différentes réglementations nationales en matière de temps de travail. Il s’agit de dresser un inventaire des conséquences générées par les disparités existantes sur la compétitivité du TRM français. « Ce benchmark permettra d’apporter des éléments objectifs sur l’opportunité ou non d’harmoniser les conditions d’exploitation du transport routier en Europe et de faire évoluer les règles en la matière dans le respect des prérogatives des partenaires sociaux », notent les auteurs de l’étude.
Voici un sujet sensible (c’est la mesure n° 5), qui fâche nombre de transporteurs, de plus en plus nombreux à investir la logistique, comme l’a démontré une étude récente du CNR (l’OT n° 2977). La qualification, par le fisc, d’entrepôts logistiques en entrepôts industriels a fait exploser le taux d’imposition sur la propriété des locaux. Ce mauvais canular pourrait trouver un règlement au début de l’année 2020 sous la forme d’un rapport qui sera remis aux parlementaires. Il sera alors question d’une réforme de la fiscalité des locaux industriels. Last but not least, mesure n° 6, on parle dans le rapport « d’un accompagnement dans le domaine des métiers de la logistique sur les volets de la formation et des compétences ». Éric Hémar et Patrick Daher rappellent l’existence d’un plan d’action qui court sur la période 2019-2021. Il possède trois objectifs : adapter l’offre de certification et de formation, mettre sur pied une banque numérique de profils et sécuriser les parcours professionnels.
C’est au printemps dernier que le Premier ministre a confié cette étude sur la compétitivité de la filière logistique à Patrick Daher et Éric Hémar. La démarche gouvernementale a séduit les professionnels du secteur et leurs représentants. À la remise du rapport à Édouard Philippe, le 16 septembre dernier, Patrick Daher a rappelé au chef du gouvernement l’existence de ces autres rapports sur la logistique tombée dans les oubliettes. « Le travail que vous avez accompli n’a pas vocation à tomber dans l’oubli », lui a alors répondu le Premier ministre. On attend donc le premier comité interministériel, au début de 2020, que ce dernier s’est engagé à présider…
• 10 % du PIB national
• 1,8 millions d’emplois
• 76 millions de m2 d’entrepôts de plus de 5 000 m2
• 4 grandes « portes internationales » : Le Havre, Marseille, Dunkerque et Roissy
• 16e rang en matière de performance logistique, selon un classement de la Banque mondiale