Les opérations promotionnelles du Black Friday et du Cyber Monday ainsi que la période de la trêve des confiseurs pourraient générer cette année près de 19 milliards d’euros de ventes de marchandises (contre 16,5 milliards en 2017) grâce au e-commerce. Soit une progression de 20 %. Dans la hotte du Père Noël, les jeux et jouets, disques, livres et autres produits culturels, ainsi que les vêtements et chaussures, vont caracoler en tête des cadeaux de Noël achetés en ligne. C’est du moins ce que prévoit la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad) qui estime que 80 % des 37,7 millions de e-consommateurs français vont faire leurs emplettes sur le Net afin d’éviter les bousculades dans les magasins. Or, les achats en ligne vont se traduire par une explosion de colis à livrer. C’est la fête chez les transporteurs et logisticiens !
Ces estimations sont loin d’être fantaisistes quand on sait que, à lui seul, Cdiscount a traité 500 000 colis à l’occasion du Black Friday. On comprend pourquoi transporteurs et commerçants sont sur le pont. Pour certains commerçants, les préparatifs démarrent dès le début de l’année. C’est le cas chez Picwic, qui réunit 25 magasins en France, dont sept aux alentours de Paris. Le chiffre d’affaires de l’enseigne s’élève à 100 millions d’euros dont 40 % à 50 % sont réalisés lors des deux derniers mois de l’année. « Pour Noël, nous allons tripler le nombre de camions sur les routes », confie Pierre Bouchez, directeur Supply Chain de Picwic, qui voit son activité impactée par la montée en puissance des ventes sur Internet. Sachant que chaque commande en ligne requiert la préparation d’un colis, son entrepôt central de Lille va tripler les effectifs qui passeront de 35 personnes hors saison à 120 personnes en décembre. Dont une trentaine sont dédiées aux ventes réalisées sur la boutique en ligne de Picwic.
Ces commandes sont livrées par navettes aux entrepôts de Colissimo qui les achemine ensuite chez les internautes. Tandis que celles destinées aux magasins sont convoyées par des PME du transport depuis son entrepôt géré par le logiciel de Manhattan Associates. « Pour des raisons de fiabilité, nous ne voulons plus travailler avec des transporteurs nationaux mais uniquement avec de plus petites structures spécialisées dans des zones géographiques précises. Elles s’engagent à nous accompagner dans nos contraintes de flux durant toute l’année et surtout pendant la saison de Noël », rapporte Pierre Bouchez. Pour aider ses partenaires à s’organiser en vue de la période de Noël, ce dernier n’hésite pas à leur donner un prévisionnel dès le début d’année. Conscient que ce pic représente potentiellement une source de désorganisation pour ses partenaires. Et, dans le but d’optimiser au maximum les camions, Picwic a mis en place un système de caisses-palettes gerbables qui divise par deux ses besoins en camions. « En première lecture, ce projet peut paraître handicapant pour nos partenaires de transport. En réalité, ce système leur permet de répondre plus facilement aux demandes d’autres clients et de diversifier leur activité », estime Pierre Bouchez.
Il est vrai que la ruée sur les camions bat son plein. « Par rapport au reste de l’année, nous enregistrons un pic de demande de transport de 45 % sur la période allant de novembre à janvier », témoigne Roland de Heere, responsable commercial d’Upela. Filiale du spécialiste du transport et de la logistique Redspher (anciennement groupe Flash), cette start-up met en relation les transporteurs avec plus de 40 000 chargeurs. « Il s’agit majoritairement de TPE qui ont à 45 % une activité de site marchand », précise Roland de Heere, qui s’attend à voir doubler le nombre de visites sur son site, allant de 1,4 million à 2,5 millions de visiteurs.
La forte demande de transport de colis va donner du fil à retordre aux transporteurs et opérateurs de relais colis qui sont eux aussi à la recherche de camions. À commencer par Mondial Relay (filiale de HFH), qui regroupe 40 000 points relais en Europe dont 7 300 pour la France – contre 6 300 en février dernier. « La préparation des fêtes de fin d’année se concentre sur les quatre derniers mois avec un pic dès novembre et une apothéose en décembre », témoigne Antoine Pottiez, président de Mondial Relay. Pour anticiper le pic de livraison de Noël, ce spécialiste de l’acheminement de colis en points relais et de la livraison à domicile de produits encombrants a coutume de rechercher dès le mois de juin des véhicules. À la mi-novembre, il lui fallait encore plusieurs dizaines de semi-remorques supplémentaires. « Notre plan de transport tourne habituellement de 280 à 300 véhicules contre 400 à 450 pendant les trois dernières semaines de l’année », indique le dirigeant, dont le chiffre d’affaires s’élève pour 2017 à 212 millions d’euros (+ 11 %) avec 60 millions de colis livrés. Pour faire face à la croissance à deux chiffres de son activité, le groupe, qui compte 685 collaborateurs, s’est lancé en 2016 dans un plan d’investissements de 15 millions d’euros sur trois ans afin de mécaniser d’ici à 2018 ses 24 agences. Près d’une vingtaine d’entre elles ont déjà sauté le pas. Ce qui leur permet de traiter jusqu’à trois fois plus de colis lors des pics d’activité. De quoi conserver la confiance des 30 000 clients e-commerçants du groupe.
L’automatisation des process est aussi bien enclenchée chez UPS, qui se prépare à livrer 800 millions de colis dans le monde entre Thanksgiving et Noël. Sa filiale UPS France vient d’inaugurer à Évry (91), sur un terrain de 135 000 m2, son plus grand hub d’une surface de 30 000 m2. Le groupe y a investi 100 millions de dollars. Ce hub est conçu pour traiter sur des lignes automatiques 37 000 colis par heure, soit le double de la capacité de ses deux précédents sites, de Chilly-Mazarin et Savigny, en Essonne. Mille personnes y travaillent 24h/24. « Ce nouveau hub comporte un convoyeur de colis de 8 km de long. Il est aussi équipé de 37 poids lourds, 125 portes de chargement poids lourds et 132 emplacements de chargement/déchargement pour véhicules de livraison, décrit Gilles Depoutot, responsable de la communication externe d’UPS France. La filiale du groupe américain compte 2 600 personnes en France, dont 528 conducteurs de véhicules de livraison. En complément de ces derniers, UPS fait appel à des partenaires réguliers qui travaillent avec les mêmes outils informatiques, ainsi qu’avec des uniformes et des véhicules aux couleurs d’UPS. « Comme nous sommes très attentifs à la qualité de nos prestations, nous ne recrutons pas de nouveaux partenaires, fait savoir Gilles Depoutot. Nous préférons nous reposer sur des solutions pérennes, Noël n’étant pas la bonne période pour trouver des alternatives. »
Pour anticiper le pic de fin d’année, qui se traduira par un doublement des volumes mensuels, l’expressiste dispose d’un logiciel de planification développé en interne. Grâce à des algorithmes d’intelligence artificielle, celui-ci réalise des prévisions sur les volumes et les poids transportés. « Cela nous permet, par exemple, d’envoyer des colis dans les entrepôts les moins remplis afin d’éviter les situations de retard », fait valoir Gilles Depoutot. En aval, UPS dispose de plus de 4 000 relais UPS Access Point alimentés par sa flotte de 800 véhicules. Dont une quarantaine de véhicules électriques et une vingtaine de véhicules biogaz. En complément de ces véhicules, UPS mobilise des coursiers circulant dans Paris en vélo, à pied ou en triporteur. De quoi limiter les émissions polluantes tout en évitant aux colis de rester bloqués dans les embouteillages parisiens.
À l’instar de ses concurrents expressistes, les lundi 17 décembre et mardi 18 décembre constitueront pour DHL Express les deux jours les plus importants de l’année. Pour livrer les grands centres-villes, la filiale du groupe Deutsche Post vient renforcer ses moyens habituels avec des coursiers en vélo (voir encadré). Parallèlement, elle étoffe sa flotte de 1 500 véhicules, dont une quarantaine de modèles électriques sont répartis sur une vingtaine de sites par l’arrivée de 21 utilitaires électriques supplémentaires. Une cinquantaine d’autres devraient débouler d’ici à 2020, annonce d’ailleurs l’expressiste, qui est en pleine effervescence. Leader sur le transport express international, DHL, qui détient 30 % de parts de marché en France, prévoit de livrer 4 millions de colis sur le seul mois de décembre (+ 12 % par rapport à 2017) et 35 % de colis en plus par rapport aux 11 précédents mois. Les jours les plus « chauds », il compte livrer plus de 200 000 colis. « Nous recrutons 400 saisonniers en renfort durant cette saison », indique son P-dg, Philippe Prétat, à la tête de quelque 2 400 salariés. Comme chaque année, l’ensemble des troupes sera sur le pied de guerre pour préparer les colis et les acheminer jusqu’au pied du sapin.
Pour la plupart des transporteurs, le pic de Noël est synonyme de recrutement d’intérimaires. C’est le cas notamment de Colis Privé, pour lequel cette période représente avec le Black Friday 16 % du chiffre d’affaires de l’année (soit 150 millions d’euros en 2017, avec 500 salariés). Les préparatifs du fameux pic hivernal démarrent dès avril. Avec les chiffres prévisionnels fournis par ses clients, le transporteur construit son plan d’exécution. Il prévoit ainsi les surfaces de stockage à réserver, le personnel à recruter, les véhicules à mobiliser, etc. « En septembre, nous nous revoyons afin d’affiner les prévisions, notamment en termes de recrutement », décrit Éric Paumier, le coprésident de Hopps Group qui travaille pour les grands sites de e-commerce comme Amazon, Showroomprivé, Camaïeu, etc. Comme bon nombre de ses confrères, le dirigeant de Colis Privé estime cette période très enthousiasmante. « Il faut la réussir, sinon c’est l’année qui est ratée, souligne-t-il. En effet, ce n’est pas forcément en cette période que l’on gagne le plus d’argent, car il faut mobiliser des moyens exceptionnels afin que la qualité de service soit au rendez-vous. Comme cela coûte cher, le taux de marge en est d’autant plus réduit. » En prévision de Noël, le spécialiste de la livraison du colis au particulier prévoit de recruter jusqu’à 1 500 personnes partout en France. De quoi compléter son équipe de 2 500 chauffeurs-livreurs sous-traitants qui livrent 41 millions de colis par an. Colis Privé ambitionne d’en livrer 45 millions en 2019 avec un service de livraison en vingt-quatre heures. À chaque recrutement, les intérimaires reçoivent une formation de deux jours ainsi qu’un PDA (assistant numérique personnel) sur lequel tourne une application de traçabilité des colis conçue par Danem et qui équipe 4 000 terminaux utilisés par les sous-traitants de Colis Privé. Les tournées y sont déjà ordonnancées et optimisées. Grâce au GPS embarqué, le conducteur est guidé jusqu’à l’adresse du destinataire. À charge pour lui de suivre à la lettre les consignes liées aux colis à déposer. Par exemple une remise en main propre ou dans une boîte aux lettres.
Colis Privé n’est pas le seul prestataire de transport à digitaliser son activité afin de faciliter le travail de ses sous-traitants. En témoigne GLS France, qui vient de décrocher l’or dans la catégorie innovation logistique de la 12e édition des Trophées E-commerce pour l’application GLS Navigo. L’entreprise, qui réalise 3 000 tournées de livraison en France travaille avec 3 000 sous-traitants. Elle vient de lancer un appel d’offres pour acquérir 1 000 terminaux sur lesquels tournera l’application. « Pour accélérer le changement, nous avons décidé de les distribuer aux professionnels qui n’ont pas les moyens d’acquérir un smartphone », explique Hervé Courau, directeur commercial grands comptes chez GLS France, qui mène depuis un an des tests avec cette application. Laquelle est utilisée par 600 livreurs qui l’ont téléchargée sur leur propre smartphone.
De quoi les aider à surmonter les pics de livraison. Parmi les fonctionnalités proposées, la pré-programmation des SMS facilite l’envoi des messages. Le livreur n’a plus qu’à appuyer sur un bouton pour avertir le destinataire de son arrivée. « Grâce à cette fonctionnalité, nous avons un taux de réponse de 95 %, ce qui permet de réduire le taux d’échec en première instance », indique Hervé Courau. Autre avantage de GLS Navigo, son interfaçage avec le service Waze pour gagner du temps en facilitant la navigation dans les rues des villes, sans perdre de précieuses minutes à ressaisir des adresses. Aussi bien outillés soient-ils, les livreurs mis sous pression par la nécessité de livrer dans les créneaux horaires peuvent céder à la panique. Auquel cas, pour éviter l’affolement, il faut faire preuve de sang-froid. « Nous savons gérer la panique », rapporte Olivier Leroux, responsable commercial d’Easy2Go, spécialiste de la livraison express et transport urgent en France et en Europe. Pour se préparer au pic du mois de décembre qui représente deux à deux fois et demi son chiffre d’affaires mensuel, cette filiale du groupe Redspher mobilise 3 000 chauffeurs contre 300 en vitesse de croisière pour faire face aux demandes des clients, nombreux à opter pour les livraisons en jour J et J+1. Ce qui est source de pression pour les petits transporteurs. « Nous les aidons à anticiper leurs missions en faisant des mises au point le matin et l’après-midi afin de vérifier que toutes les capacités sont en place, puis le soir pour faire la clôture », rapporte Olivier Leroux. Quand tout est rodé, les réunions téléphoniques ont lieu deux à trois fois par semaine pour préparer la tournée hebdomadaire suivante. Ce qui évite aux nouveaux partenaires de lâcher le volant.
Erick Haehnsen et Éliane Kan – Agence TCA
Pour aider les chargeurs à anticiper et gérer les pics de fin d’année, un nouveau service de stockage, gestion et transport des palettes vient d’être lancé par le groupement Evolutrans, qui réunit 95 PME du transport et de la logistique. « Depuis trois ans, nous constatons qu’il existe une demande de la part des industriels et d’autres chargeurs en faveur de petits espaces pour y stocker leur production en prévision des pics saisonniers », explique Patrick Gernot, P-dg de Transeco, une entreprise orléanaise de transport et logistique à l’initiative de ce service baptisé « EV Logistique », lequel repose sur la mise en commun par 48 adhérents d’Evolutrans de ces espaces de stockage. Au total, cela représente 420 000 m2 sur 59 lieux de stockage. Les chargeurs pourront y entreposer de 1 à 2 000 palettes voire plus, sans contrainte de durée, près de leurs usines ou de leurs clients.