Avocat au barreau de Paris

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« Elles veulent rester dans une sorte de no man’s land »
L’O.T. : Quel regard portez-vous sur l’irruption des plateformes d’intermédiation dans le secteur du transport de marchandises, léger et de plus de 3,5 t ?

ÉRIC GAFTARNIK : Je porte un regard très négatif pour plusieurs raisons. Ces entreprises se présentent comme des plateformes collaboratives alors qu’en réalité elles sont, pour certaines, des transporteurs et, pour d’autres, des commissionnaires de transport. Et elles s’affranchissent d’une réglementation qui est appliquée dans un cadre très strict aux entreprises traditionnelles du secteur. On se retrouve, par conséquent, dans une situation de distorsion de concurrence qui voit les entreprises du secteur traditionnel, qui subissent les coûts et les charges liées à l’application de la réglementation du transport léger, être confrontées à des entreprises qui, sur le même marché, s’affranchissent de ces mêmes charges et frais et de ces mêmes obligations juridiques en utilisant des artifices sémantiques.

Et quid du modèle social ?

É. G. : Ces entreprises qui fonctionnent sur un modèle qui n’est pas celui du salariat – chacun sait comme elles utilisent des personnes physiques qualifiées d’auto-entrepreneurs dont il est impossible de vérifier le véritable statut – s’affranchissent également de toute la législation et des charges sociales qui incombent aux entreprises du secteur traditionnel qui, elles, créent de l’emploi, font payer des cotisations et contribuent à l’économie dans sa globalité ainsi qu’au fonctionnement des systèmes de solidarité. Outre qu’elles exercent une concurrence déloyale, ces plateformes sont en train de détruire de l’emploi salarié en le remplaçant par de l’emploi précaire.

Selon vous, est-il possible de démontrer la notion de lien de subordination entre ces plateformes numériques et les auto-entrepreneurs qu’elles font travailler ?

É. G. : Ce qui est difficile à démontrer, c’est la question de la requalification en contrat de travail. Ce dernier revêt un certain nombre de critères extrêmement stricts et aujourd’hui, il est compliqué de le démontrer car il existe des personnes physiques qui travaillent pour plusieurs enseignes différentes, de manière plus ou moins régulière. Il en résulte, par conséquent, une difficulté sur la démonstration du lien de subordination qui permettrait de requalifier ces gens-là en salariés ordinaires au sens du droit.

Y a-t-il d’autres failles ?

É. G. : Il n’y a pas que la question du droit du travail. Il y a aussi celle de la responsabilité civile. Le Code civil prévoit, dans une disposition ancienne mais toujours applicable, que les commettants sont responsables des agissements de leurs préposés. Or, de mon point de vue, il n’est pas contestable que les auto-entrepreneurs qui travaillent pour ces plateformes collaboratives sont leurs préposés. Si ces personnes transportent des denrées alimentaires dans leurs coffres personnels alors qu’elles ne sont pas transporteurs et qu’elles n’ont pas le droit de le faire en dehors du cadre privé, elles commettent une infraction à la réglementation du transport. Et les plateformes collaboratives, qui utilisent ces préposés pour les besoins de leurs prestations, doivent en être tenues pour responsables puisque les commettants sont responsables des agissements de leurs préposés. C’est l’une des questions qui est actuellement soumise au tribunal de commerce de Paris dans le dossier engagé par le SNTL (Syndicat national des transports légers, Ndlr) contre la plateforme Stuart.

Ces plateformes se revendiquent du statut de commissionnaire de transport…

É. G. : Elles mettent en avant un argumentaire qui repose sur une fiction intellectuelle. Elles disent : « on se contente de mettre en relation des gens qui veulent être livrés et d’autres qui sont capables de livrer ». C’est une fiction totale. Il est évident que ce sont elles qui organisent l’ensemble de la chaîne, qui prévoient les conditions matérielles, physiques, d’horaires, de qualité… C’est la définition même de ce qu’est un commissionnaire de transport. Mais, à l’exception de quelques-unes (Chronotruck, Deliveree, Convargo devenu Everoad, Ndlr), elles se refusent, comme Stuart, à adopter ce statut car cela reviendrait à rentrer dans le rang. Les plateformes préfèrent rester dans une sorte de no man’s land, une fiction juridique absolue, sans règle, afin d’être en mesure de proposer des prestations à moindres coûts.

Que pensez-vous de l’attitude du législateur ?

É. G. : Pour le moment, je ne vois pas grand-chose poindre. Je pense que ce phénomène arrange beaucoup de monde, notamment ceux qui surveillent la courbe du chômage. Je crois qu’on ne se rend pas compte du modèle social que ce phénomène risque d’engendrer avec moins de chômeurs mais davantage de travailleurs pauvres. C’est un choix de société.

Quel est l’enjeu dans le dossier SNTL/Stuart duquel vous êtes saisi ?

É. G. : Il est évident que si on obtient une décision qui, soit interdit l’activité sous sa forme actuelle, soit oblige à tout le moins ces entreprises à rentrer dans le rang et à respecter la réglementation des transports à minima, ce sera déjà une victoire pour l’avenir, l’occasion de faire bouger les choses et de porter le débat sur la place publique.

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