À l’heure des choix

Article réservé aux abonnés

Pour des raisons environnementales, la réglementation F-Gas prévoit une réduction progressive des quantités de fluides frigorigènes mises sur le marché européen. Dès 2020, les fluides au potentiel de réchauffement global élevé sont ciblés à l’image du R404A encore très utilisé dans le transport routier frigorifique…

Pratiques pour produire du froid, les fluides frigorigènes s’accompagnent d’enjeux majeurs pour l’environnement. Gaz à fort impact sur la couche d’ozone, les chlorofluorocarbures (CFC) et les hydrochlorofluorocarbures (HCFC ou R22) ont ainsi été interdits de fabrication et d’utilisation entre 1995 et 2015. Pour la production de froid embarqué, les hydrofluorocarbures (HFC), notamment les R404A et R134a, ont pris le relais. Moins nocifs que leurs prédécesseurs, leurs jours sont toutefois comptés par la législation européenne F-Gas. Visant à lutter contre le changement climatique et les émissions de gaz à effet de serre (GES) dus aux réfrigérants, le règlement 514/2014 dit « F-Gas II » instaure une diminution progressive des quantités de HFC mis sur le marché sur la base de leur potentiel de réchauffement global (PRG). En vigueur depuis le 1er janvier 2015, il fixe un objectif de réduction de près de 80 % des HFC d’ici à 2030 par rapport à une période de référence 2009-2012.

Défis technologique, opérationnel et financier

Au 1er janvier 2018, l’application du F-Gas II s’est traduite par la baisse de 37 % des quantités de HFC mis sur le marché, et d’ici à 2020, les fluides dont le PRG est supérieur à 2 500 seront interdits à la vente. Par anticipation, les chimistes concentrent leurs développements sur des gaz ayant un PRG inférieur voire très inférieur (sous 150, par exemple) et plusieurs ont stoppé la production de leurs fluides dépassant le seuil fixé en 2020 dont le R404A. Avec un PRG de 3 922, ce dernier règne encore dans le transport routier frigorifique par porteurs, remorques et semi-remorques. « Le transport routier part de très loin puisque ses systèmes de production de froid embarqué reposent quasi exclusivement (à 99,98 %) sur l’emploi de HFC », rappelle Gérald Cavalier, président de Cemafroid-Tecnea. Sommés de trouver de nouvelles solutions pour produire du froid embarqué à très brève échéance, les transporteurs concernés font face à un environnement contraint. La baisse des quantités de R404A mis sur le marché a pour conséquence une tension sur l’offre de ce fluide dont le prix a augmenté de plus de 300 % ces trois dernières années. « Sans alternative industrielle disponible pour satisfaire la flotte française, nous sommes confrontés à un vrai défi technologique, opérationnel et financier », reconnaît Valérie Lasserre, déléguée générale de La Chaîne logistique du froid.

Composée de fourgonnettes et d’utilitaires, porteurs, remorques et semi-remorques, la flotte de transport sous température dirigée s’élève à 140 000 véhicules en France.

Données du problème

La plupart, soit 89 % utilise un groupe frigorifique à compression de vapeur et évaporateur ventilé. Pour la distribution de surgelés par des véhicules légers à portillons en particulier, les groupes eutectiques équipent moins de 2,5 % de ce parc et les systèmes cryogéniques 0,2 %. Les autres véhicules s’appuient sur des solutions de production de froid dites « non actives ».

Pour les puissances inférieures à 3 500 W destinées aux fourgonnettes et utilitaires équipés, en règle générale, de groupes « poulie-moteur » dont le compresseur est entraîné par le moteur du véhicule, le fluide frigorigène privilégié est le R134a dont le PRG est de 1 430. Pour les besoins de puissance supérieure nécessaires aux porteurs, remorques et semi-remorques notamment, le R404A est de loin le plus utilisé. Lequel « apparaît parfois sur les systèmes poulie-moteur pour des raisons de simplicité de maintenance », relève l’Alliance Froid Climatisation Environnement (AFCE) qui a publié en septembre 2018 un état des lieux sur l’efficacité énergétique des fluides et les systèmes à faible PRG disponibles. Quels que soient les groupes utilisés, l’AFCE y rappelle que « les conditions d’usage assez difficiles de ces équipements impliquent un taux de fuite de fluide frigorigène assez élevé », de l’ordre de 10 % par an. Sachant que la charge en fluide d’un groupe varie de 1,6 à 7 kg selon les modèles et puissances, ces fuites imposent des recharges partielles tout au long de leur exploitation d’une dizaine d’années. Avec un prix de l’ordre de 75 € le kg actuellement, le coût d’une charge complète s’élève aujourd’hui entre 120 et 525 € contre 32 à 140 € il y a trois ans.

Passage au R452A

Face à la fin programmée du R404A, plusieurs fluides d’un PRG inférieur à 2 500 sont disponibles. Compatibles avec les groupes existants avec des performances frigorigènes et un prix comparables, le R452A a été adopté par les principaux constructeurs de groupes dont Carrier Transicold et Thermo King. Mélange de HFC et d’hydrofluoro-oléfines (HFO) avec un PRG de 2 140, ses variations de puissance et de consommation d’énergie avec le R404A sont comprises entre – 4 et + 11 % selon les températures souhaitées. « Il existe de nombreux fluides frigorigènes dans le transport routier. Un choix était nécessaire sachant qu’un camion frigorifique voyage et doit pouvoir accéder au fluide de son groupe en cas d’éventuelle panne ou fuite partout en Europe. Il faut garder à l’esprit que les fluides destinés au froid embarqué demeure une niche pour les chimistes peu enclins à y investir massivement », explique Gérald Cavalier.

Enjeu du retrofit

Si tous les fabricants proposent des groupes à compression neufs avec du R452A, les transporteurs français n’ont commencé à s’équiper de ce type de solution qu’à partir de 2017. De zéro en 2016, les attestations ATP délivrées pour les véhicules neufs par type de fluide montrent qu’en 2017 la part de marché des groupes avec R452A est passée à 21 % contre 67 % pour les groupes alimentés au R404A et 13 % avec du R134a. À l’issue du premier semestre 2018, la part des groupes neufs vendus avec du R452A s’est élevée à 63 % contre 24 % pour le R404A, 11 % pour le R134a et 2 % pour les autres fluides. En 2019, le R452A supplantera très probablement le R404A dans les groupes neufs.

Plus lent est le retrofit des groupes en exploitation. De zéro en 2017, le taux des groupes « rétrofités » du R404A au R452A a péniblement atteint 2 % à l’issue du premier semestre 2018. Sauf rupture totale en 2019, peu probable voire impossible en raison de la quantité de fluide R452A mis sur le marché, de nombreux groupes risquent de fonctionner au R404A en 2020 et au-delà ou seront renouvelés. Tel est le cas par exemple de certains modèles âgés de plus de huit ans dont la conversion au R452A s’avèrait jusqu’à présent plus difficile. « Les transporteurs désireux de conserver l’attestation ATP pour ces groupes, devaient jusqu’en octobre dernier les soumettre à un test en tunnel ATP d’un coût très élevé. Ce test n’est plus systématiquement requis suite à une décision du groupe de travail chargé des résultats de l’accord ATP sous l’égide de l’ONU », souligne Arnaud De Ridder, directeur de Thermo King France.

Entre 2017 et 2018, la banque de fluides utilisés dans le transport routier frigorifique du Cemafroid montre que la quantité de R452A devrait passer de 14 à 38 tonnes. Sa part de marché évoluera alors de 4 à près de 10 % tandis que celle du R404A se contracterait de 91 à 85 % avec plus de 338 tonnes*. Une certitude malgré les accords passés entre chimistes et constructeurs de groupes pour garantir la continuité des approvisionnements, la pression tarifaire sur ces deux fluides est appelée à s’accroître avec pour conséquence une augmentation des coûts pour les transporteurs routiers concernés. Respectant le seuil fixé en 2020, le R452A comme le R134a demeurent soumis à la réglementation F-Gas II, dont la révision est annoncée en 2022 avec l’établissement probable de seuils plus stricts. Aussi, pour l’AFCE, le Cemafroid et les constructeurs de groupes frigorifiques, la pertinence de ces fluides n’est-elle que provisoire et temporaire, au mieux pour les cinq à six prochaines années. L’AFCE estime que « les fluides supérieurs à un PRG de 150 sont amenés à se raréfier à court ou moyen terme ». Ce scénario suppose le développement d’alternatives : cryogénie à partir d’azote ou de CO2 liquide, groupes à compression de CO2, fluides frigorigènes à très faible PRG… Des innovations présentées par Carrier Transicold, Thermo King, TMC Saroul et Air Liquide dans cette enquête.

4 millions de véhicules frigorifiques

Selon le Cemafroid, le parc mondial de véhicules réfrigérés est de l’ordre de 4 millions. Il se répartit entre 40 % d’utilitaires légers, 30 % de porteurs et 30 % de remorques et semi-remorques. En France, la segmentation est légèrement différente : 55 % d’utilitaires, 20 % de porteurs et 25 % de remorques et semi-remorques.

E.D.

PLF 2019
Un risque de double peine

Rassemblées autour de l’association professionnelle La Chaîne logistique du froid, les entreprises de transport et d’entreposage frigorifiques dénoncent « un acharnement fiscal » à la lecture du projet de loi de finances 2019. Risquant « de déstabiliser durablement le secteur alors qu’il est confronté à de nombreux défis », la PLF prévoit la suppression du taux réduit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sur le gazole non routier (GNR). Soit « une hausse de plus de 350 % de cette taxe », selon Valérie Lasserre. Pour mémoire, le GNR sert à alimenter les groupes frigorifiques des transporteurs. Comme l’an passé, il est évoqué une taxe additionnelle sur les fluides frigorigènes HFC. « Une double peine » pour la déléguée générale de La Chaîne logistique du froid sachant que « l’application des quotas de HFC mis sur le marché par l’Union européenne via les règlements F-Gas produit déjà ses effets, et que le R404A, gaz encore le plus communément déployé en réfrigération industrielle et embarquée, a subi une inflation spectaculaire de ses prix et fait l’objet d’une pénurie. Le cadre réglementaire se suffit donc à lui-même ». Pour les transporteurs sous température dirigée français, « cette nouvelle taxe aurait pour conséquence de peser sur leurs capacités financières et de retarder leurs investissements dans des solutions alternatives ». Demandant le maintien du taux réduit de la TICPE sur le GNR et l’abandon du projet de taxe sur les HFC, La Chaîne logistique du froid rappelle que les entreprises du secteur sont par ailleurs exclues du dispositif de tarif réduit de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) et soumises à une incertitude permanente en matière d’imposition de la taxe foncière. À ce titre, l’association demande la reconnaissance des entrepôts frigorifiques comme installations « électro-intensives » éligibles au taux réduit de la CSPE. Pour la taxe foncière, elle défend « la fin de l’insécurité juridique concernant l’art. 1499 du code général des impôts et l’inscription dans la loi de la notion d’immobilisation industrielle en la bornant aux seuls bâtiments ayant effectivement une activité industrielle de fabrication ou de transformation mécanique de produits ou matières ».

E.D.

* En 2017, les groupes frigorifiques utilisés dans le transport routier ont consommé plus de 391 tonnes de HFC. Cette consommation devrait s’élever à 398 tonnes fin 2018.

Actualités

Grand angle

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15