« À court terme, les défaillances devraient poursuivre leur hausse »

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Comment se porte l’économie française ? Quelles peuvent être les conséquences sur l’activité économique des actions des Gilets jaunes, des mesures Macron ? En quoi le Brexit va-t-il peser sur l’économie nationale ? Que penser de l’évolution des défaillances ? Tour d’horizon avec Max Jammot, responsable du Pôle économique d’Ellisphere, spécialiste en information économique, légale et financière.
L’Officiel des transporteurs : Quel regard portez-vous sur la conjoncture économique générale ? Quelles sont les tendances fortes qui se dessinent au niveau macro-économique ?

Max Jammot : La fin 2018 a été une période difficile, marquée par des mouvements sociaux d’une rare ampleur. Le PIB (produit intérieur brut) a décroché au dernier trimestre 2018 et les défaillances d’entreprises sont reparties à la hausse. Néanmoins, sur une scène internationale fortement chahutée, la France résiste. D’ailleurs, l’Insee a légèrement revu à la hausse sa prévision de croissance du PIB dans sa dernière note de conjoncture publiée le 19 mars dernier.

Les prévisions de croissance pour 2019 faisaient état d’un repli par rapport à 2018. Se confirment-elles selon vous ? Et si oui, pour quelles raisons ?

M. J. : En 2018, le PIB a progressé de 1,5 % contre 2,3 % en 2017, avec une consommation des ménages et des investissements d’entreprises plus faibles, particulièrement sur le dernier trimestre 2018. Pour 2019, la projection demeure difficile ; la confiance des ménages tarde à revenir dans un contexte attentiste face aux futurs arbitrages politiques et fiscaux résultant du grand débat national. Sur un plan plus commercial, des incertitudes persistent : négociations encore prolongées du Brexit, coup de mou de l’économie allemande, atonie des mises en chantier dans le bâtiment, difficultés accrues dans l’automobile suite à l’effondrement du marché du diesel…

Que dire (globalement, en surface) du moral des chefs d’entreprise en général ?

M. J. : Décembre 2018 a été un mois très difficile avec un niveau de conflit jamais atteint… Devant l’adversité, les chefs d’entreprise ont fait preuve de résistance et de résilience… Les 200 millions d’euros de dégâts liés aux manifestations des Gilets jaunes estimés par la FFA (Fédération française de l’assurance) ne semblent être qu’un premier aperçu. L’impact tant économique que psychologique est loin d’avoir été estimé, sachant que la situation chaque samedi s’éternise.

Que dire de l’investissement ?

M. J. : Si l’année 2018 a été une bonne année pour les investissements étrangers en France (+ 2 %), ils ne semblent avoir profité qu’à de nouvelles implantations de types R&D, services, logistique ou négoce, au détriment de rachats d’entreprises industrielles en difficulté. Les entreprises françaises n’ont pas augmenté leurs investissements productifs, notamment les TPE et PME, dans un contexte de baisse de consommation des ménages en biens d’équipement ; l’attentisme a prévalu. Néanmoins, l’attractivité de la France demeure réelle.

Les coups de pouce accordés à la fin de 2018 par le gouvernement, en réponse aux Gilets jaunes, pèsent-ils sur le niveau de consommation ?

M. J. : Même si une croissance du PIB est notée au premier trimestre 2019, ces mesures n’affectent, pour l’heure, qu’à la marge le niveau de consommation car, dans le même temps, les gains de pouvoir d’achat semblent surtout bénéficier à l’épargne des particuliers. En 2018, l’assurance-vie a ainsi retrouvé son statut de placement préféré des Français, avec des flux près de deux fois supérieurs à ceux de 2017. La collecte mensuelle du Livret A est, pour sa part, actuellement au plus haut depuis dix ans, mais cela ne devrait pas suffire à atténuer le sentiment de perte de niveau de vie que ressentent beaucoup de Français.

Avez-vous pu mesurer le poids de l’action des Gilets jaunes sur l’économie ? Qu’en dire ?

M. J. : Il semble assez délicat de tirer des conclusions. On note une hausse des défaillances entre novembre 2018 et février 2019. Le détail sectoriel et géographique est plus difficilement quantifiable. En marge des manifestations, les transports de personnes sont également fortement perturbés, tout comme les services de livraisons. L’impact s’en ressent dans les zones commerciales, où bon nombre d’enseignes tournent au ralenti.

Quel regard portez-vous sur la transformation du CICE en baisse de charges ? Quels peuvent en être les bénéfices pour les entreprises ? À l’inverse, quelles conséquences négatives ?

M. J. : Le CICE a été un dispositif coûteux avec des résultats en termes d’emplois créés ou sauvegardés extrêmement décevants. Sur la transformation annoncée, je m’en tiendrai à la note documentée commanditée par l’Assemblée nationale ; l’Institut des politiques publiques (IPP) y indique que si, à première vue, les entreprises pourraient bénéficier d’une réduction du coût du travail, l’examen approfondi de cette mesure mentionne que son impact « sur la compétitivité et l’emploi est incertain » à moyen ou long terme. Afin de relancer la performance des entreprises, le gouvernement Macron a misé sur la baisse du coût du travail, avec un axe de raisonnement simple : si le coût du travail est plus faible, les entreprises hésiteront moins à embaucher et cela pourrait contribuer à la baisse du taux de chômage en France…

Emmanuel Macron vient d’annoncer la suppression de « certaines niches fiscales pour les entreprises » et d’évoquer l’idée de faire « travailler davantage » les Français. Que vous inspirent ces mesures issues du grand débat ?

M. J. : La question du financement de la plupart des mesures demeure et repousser certaines problématiques à plus tard interroge. L’endettement de la France, son déficit budgétaire, nombreux ont été les sujets abordés (baisse d’impôts de plusieurs milliards, réindexation des retraites, maintien de services publics et de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans…). Encore une fois, attendons d’avoir un peu de recul avant d’analyser le bénéfice éventuel de ce qui a été annoncé.

A-t-on une idée, selon vous, des conséquences qu’aura le Brexit sur l’activité économique française ?

M. J. : L’Union européenne est le premier partenaire économique du Royaume-Uni. En 2018, elle représentait 53 % des importations britanniques (301 Md€) et 47 % de leurs exportations (194 Md€). La France pourrait être l’un des pays européens les plus touchés par le Brexit, après l’Allemagne et l’Irlande, et en particulier le secteur des transports terrestre, ferroviaire et maritime. L’Insee a calculé un produit intérieur brut français amputé de 0,6 % dans le cas d’un soft Brexit et de 1,7 % dans le cas d’un hard Brexit. Au total, 120 000 entreprises françaises sont exposées au Brexit en tant qu’exportatrices et/ou importatrices. Les principales difficultés résideront dans le retour des formalités de douane, avec leur surcoût et la perte de temps. Viendra ensuite le calcul des différentes taxes à l’import et à l’export dans l’hypothèse d’une sortie totale du Royaume-Uni de l’union douanière. N’oublions pas que le Brexit peut aussi représenter une réelle opportunité de restructuration du système financier européen et de rééquilibrage en termes de grandes places financières. En ce sens, l’établissement public Paris La Défense a adapté son positionnement et fait actuellement son maximum afin d’attirer les banques de la City et de Canary Wharf (quartier d’affaires londonien). À suivre…

Les défaillances d’entreprises se sont stabilisées en février, sur une année glissante, selon Ellisphere. Comment faut-il lire et décrypter cette situation ?

M. J. : Les défaillances mensuelles sont orientées à la hausse depuis août/septembre 2018, donc avant les mouvements des Gilets jaunes, et cette tendance s’est poursuivie jusqu’en février 2019 amenant à une stabilité à cette date. En mars 2019, les défaillances sont reparties à la hausse sur douze mois glissants (+ 0,6 %). Notons également que les grandes entreprises ne sont pas épargnées par cette tendance. Si l’impact des mouvements sociaux semble actuellement moins prégnant, les incertitudes en matière de consommation n’incitent pas pour l’heure à l’optimisme. À court terme, les défaillances devraient poursuivre leur hausse. Certaines mesures gouvernementales pourraient desserrer l’étau fiscal des entreprises, leur redonnant trésorerie et marges de manœuvre.

Que pensez-vous de la dernière initiative de Bercy qui vient de formaliser le déploiement de « Signaux faibles », un outil d’intelligence artificielle censé prévenir les défaillances d’entreprises ?

M. J. : C’est une excellente chose d’utiliser l’intelligence artificielle afin de détecter les entreprises fragilisées qui n’auraient pas déjà été identifiées, et d’intervenir en amont. Un spécialiste de l’information économique et financière, tel qu’Ellisphere, propose depuis longtemps un score de probabilité de défaillance des entreprises. Son équipe data science a d’ailleurs mis au point un score de troisième génération performant bâti sur l’intelligence artificielle. Le déploiement de nouvelles technologies permettant le développement d’un monde économique fiable et d’une croissance durable, ne peut être que salutaire.

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