[Édito] De l'autre côté du miroir
« Cette fois, ce sera différent » est l'une de ces phrases qui devraient être fortement réglementées et taxées en cas d’abus de langage. La promesse d’un lendemain profitable et rentable ne vaut pas rente viagère, y compris quand l’occupant est une demi-célébrité du secteur.
La reprise de la fragile Méridionale par la puissante CMA CGM signera-t-elle le début d’une vraie stratégie maritime sur le Maghreb, où de nombreuses expériences ont buté sur l’absence d’échanges massifs ?
Marquera-t-elle une franche intention de l’armateur français de porte-conteneurs de s’insérer dans le grand mécano du roulier méditerranéen, où s’épanouissent depuis des années l’italien GNV (groupe MSC), le napolitain Grimaldi ou encore le danois DFDS (qui a avalé le turc U.N. Ro-Ro) ?
Permettra-t-elle de conjurer le mauvais sort sur le Maroc, destination que l’on dit maudite pour le fret, où La Méridionale a tenté de percer, et CMA CGM s’est cabré en 2018 au bout de quelques mois seulement ? Ou bien s’agit-il seulement de mettre à profit sa bonne fortune pour sauver des eaux une grande maison française en difficulté avec le souci, réel ou sollicité, de maintenir à flot la filière tricolore dans un domaine stratégiquement souverain ?
Ce n’est sans doute pas l’investissement du siècle pour le groupe marseillais de transport et logistique, que l’on n’attendait du reste pas sur le terrain des versatiles activités subventionnées (DSP corse), cette drogue douce administrée lentement comme un poison, mais suffisamment dure pour perdre pied avec les réalités économiques.
Ce n'est donc pas l'opération stratégique mais elle n’est pas non plus complètement dépourvue de sens. Il y a de réelles complémentarités opérationnelles et commerciales à trouver sur le ro-pax et la desserte de l’Afrique du Nord, où CMA CGM aligne historiquement une offre roulière, un réseau et une assise clients.
Si une ligne Marseille-Tanger peine à trouver sa rentabilité économique, le pays de sa majesté Mohammed VI bénéficie pourtant de l’économie la plus florissante du Maghreb, notamment pour les produits agricoles exportés et la production automobile, avec l’implantation de Stellantis et Renault Nissan.
Toutefois, là comme ailleurs – mais a fortiori là, car les armateurs proposent des solutions d’expédition plus longues –, des « autoroutes de la mer euro-marocaines » ne seront viables que lorsque les conditions de concurrence avec le mode routier via le détroit de Gibraltar seront moins défavorables.
Ce n’est hélas qu’en taxant l’efficient camion et/ou en soutenant massivement le ferry, cette figure de proue exclusive au roulier européen, que le transport maritime pourra dompter cette récalcitrante desserte.
Adeline Descamps
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