Saisie depuis 2013, la justice soupçonne le groupe Bolloré d'avoir utilisé les activités de conseil politique de sa filiale Euro RSCG (devenue Havas) pour décrocher frauduleusement la gestion des ports de Lomé (Togo) et Conakry (Guinée), au bénéfice d'une filiale phare de l'époque, Bolloré Africa Logistics.
Pour éviter un long procès pénal, l'industriel breton ainsi que Gilles Alix, directeur général du groupe Bolloré de l'époque, et Jean-Philippe Dorent, directeur international chez Havas, avaient sollicité une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).
Lors de l'audience publique en février 2021, ils avaient reconnu les faits et accepté de payer une amende de 375.000 € mais la juge Isabelle Prévost-Desprez avait refusé de l'homologuer, renvoyant le dossier à l'instruction.
Elle avait en revanche homologué une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) pour le groupe Bolloré, qui a payé 12 M€ d'amende contre l'abandon des poursuites.
Procès pour corruption active
Vincent Bolloré a contesté jusqu'en cassation ce revers procédural, une grave atteinte à sa présomption d'innocence d'après lui, mais la cour de cassation a validé fin novembre la procédure, ouvrant la voie à un nouveau procès pénal. Un recours a été déposé devant la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).
Le 3 juin, selon une source proche du dossier, le Parquet national financier a requis un procès pour corruption active d'agent public étranger contre Vincent Bolloré et Gilles Alix, avec abus de confiance pour ce dernier et complicité de celle-ci pour le milliardaire et Jean-Philippe Dorent.
Pacte de corruption caractérisé
D'après des éléments des réquisitions, les deux procureurs financiers estiment que "contrairement à ses déclarations, il apparaît que Vincent Bolloré suivait personnellement et régulièrement les activités du groupe au Togo, qu'il avait engagé le groupe Bolloré dans la campagne électorale de Faure Gnassingé et qu'il était directement intervenu dans le recrutement" de Patrick Bolouvi, demi-frère du président togolais, au poste de directeur général de Havas Media Togo.
Contrepartie de ce "pacte de corruption" allégué, le groupe Bolloré aurait profité de différents contrats, dont celui de la gestion du port de Lomé, mais aussi "d'avantages fiscaux".
Le procès demandé par le PNF concerne aussi le soupçon de participation frauduleuse d'une filiale du groupe Bolloré aux "frais de communication" de la campagne présidentielle 2010 d'Alpha Condé en Guinée, à hauteur de 170.000 €. "Sa candidature présentait pour nous un grand intérêt. Vincent Bolloré était d'accord pour participer à ces dépenses", avait concédé Gilles Alix en garde à vue.
La cour d'appel de Paris avait prononcé en 2019 l'abandon des poursuites pour corruption sur ce volet, pour cause de prescription.
"Je me réjouis de cette demande de renvoi [dans ce] lourd dossier qui dure depuis 2013 [...] dans lequel est particulièrement mouillé le président du Togo [et dans lequel Vincent Bolloré] a tenté, à plusieurs reprises, de faire obstruction à la manifestation de la vérité", a indiqué Me Alexis Ihou, avocat du défunt Agbéyomé Kodjo et de Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson, candidats malheureux à la présidentielle de 2010 au Togo.
Juridiquement vide selon les avocats de Bolloré
Avocats de Vincent Bolloré et du groupe Bolloré, Mes Céline Astolfe et Olivier Baratelli ont indiqué qu'"une demande de non-lieu sera présentée [...], les faits étant contestés depuis le premier jour dans un dossier juridiquement vide." Le "faux pas" de la non-validation de la CRPC en 2021 "prive définitivement les parties du droit à être jugées de manière impartiale et objective", d'après ces conseils.
La décision finale sur le procès reviendra au juge d'instruction financier Serge Tournaire.
Pour rappel, en 2022, le groupe Bolloré a vendu à l'armateur italo-suisse MSC sa branche logistique en Afrique, opérant dans plus de 20 pays sur le continent africain.
Guillaume Daudin et Julia Pavesi
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