Cela va donner un coup de jeune à la flotte européenne de feeders (465 navires, 417 300 EVP, selon les données d’Alphaliner), rattrapée par l’obsolescence à un stade avancé. La situation est particulièrement préoccupante pour les navires de moins de 1 000 EVP, piliers de la scène européenne du feeder avec 160 navires, grands oubliés des commandes et peut-être voués à la disparition.
Cela va contribuer au surdimensionnement en cours dans le transport maritime de courte distance, ce qui poussera par ailleurs à une consolidation des volumes sur certains itinéraires. Cela va enfin introduire plus de carburants alternatifs sur les lignes intrarégionales.
L'introduction d'une nouvelle classe de feeders par CMA CGM sur les lignes intrarégionales, avec la livraison du CMA CGM Mermaid au GNL, premier d’une série de dix unités de 2 000 EVP, fait de l’armateur français un catalyseur de l’ensemble des tendances en cours dans le feedering.
Pour ces petits collecteurs, destinés à « la tournée du laitier », qui seront progressivement positionnés en Méditerranée et dans le Nord de l’Europe entre aujourd’hui et janvier 2025, CMA CGM revendique une conception unique, fruit d’un partenariat entre les Chantiers de l’Atlantique et le constructeur sud-coréen Hyundai Heavy Industries avec le bureau d’étude danois Odense Marine Technique (OMT).
Longs et effilés
Ils le sont dans leur design, longs (204,29 m pour 29,6 m de large) et effilés – étrave droite, bulbe intégré –, ce qui les rendent éligibles pour les passages étroits où le tirant d'eau, le tirant d'air et la largeur sont limités. Avec en outre un rouf avant, inédit dans la flotte de CMA CGM.
Cette configuration permet d’obtenir « une meilleure performance aérodynamique et hydrodynamique avec une capacité de chargement supérieure par rapport à une architecture classique et un gain de 15 % de carburant en moyenne lors d’un trajet », justifie le transporteur.
Avec leur propulsion au GNL, dont les cuves sont tapissées par les membranes cryogéniques de GTT, le leader mondial et français du transport et stockage et transport des gaz liquéfiés (à -163°C), ils émettront jusqu’à 20 % de CO2 en moins, assure l'armateur, « par rapport à un navire de taille similaire au design classique propulsé avec un carburant maritime conventionnel » [fuel à 1,5 % de teneur en soufre, NDLR]
Préfiguration de la pile à combustible
À double motorisation, les feeders seront par ailleurs capables de souter du biométhane (- 67 % éq. CO2) et seront convertibles (« ready for ») au e-méthane (- 85 % éq. CO2), une fois l’hydrogène vert disponible, comme pour tous les nouveaux navires commandés au GNL par le groupe français. Pour rappel, CMA CGM promet de rendre 120 de ses navires « bas carbone » d’ici 2028
Par ailleurs, le dernier de la série (horizon 2025 donc) devrait embarquer une pile à combustible, de grande capacité et alimentée par de l’hydrogène, d’une capacité de 1 MW, ce qui devrait l’affranchir de toutes énergies fossiles à quai.
Six premiers déployés en avril et juillet
Les six premiers vont être déployés, entre avril et juillet, sur les lignes intra-européennes pour desservir les ports baltes et scandinaves depuis les hubs de Hambourg et de Bremerhaven. Les quatre derniers, livrés entre fin septembre et fin novembre, seront exploités sur des services intra méditerranéens.
Le CMA CGM Mermaid, qui sera officiellement livré au groupe français le 16 février, sortira de son chantier à Busan le 21 février.
Mise à l'échelle du feedering
La mise à l’échelle dans le feedering a déjà bien démarré. « Pendant des années, les petits navires ont été négligés par les investisseurs, en raison d'une combinaison de facteurs, notamment l'effondrement du système allemand KG [référence à la méthode de financement en commandite largement utilisée outre-Rhin, qui permettait à de petits investisseurs privés d'investir dans des navires, NDLR], un marché de l'affrètement déprimé avant le Covid et des prix relativement élevés pour les nouvelles constructions », explique Alphaliner dans une de ses notes.
Les propriétaires de navires, mais non-exploitants (NOO), qui étaient autrefois les principaux fournisseurs, se sont donc désolidarisés de ces petits navires pour lesquels les exploitants étaient, eux, peu enclins à s’engager sur des affrètements dans les durées nécessaires pour amortir les investissements dans de nouvelles constructions.
Faute de commandes, les chantiers, qui étaient spécialisés dans ces navires – tels JJ Sietas à Hambourg, qui a fourni 103 navires de la flotte actuelle, Rolandwerft à Berne, Peene-Werft à Wolgast et Peterswerft à Wewelsfleth –, ont progressivement déserté ce marché.
Les feeders gagnés par la fièvre du gigantisme
La concomitance de l’ensemble de ces paramètres a ouvert la voie à des navires à la fois plus grands (le cœur de marché se déplace vers les 1 000 à 2 000 EVP, avec quelques géants à l’échelle du feedering, des 3 600 EVP), construits en Asie.
En Méditerranée, CMA CGM, mais aussi Maersk et Cosco y déploient déjà des bangkomax récents, construits en Asie.
Le transporteur danois a étrenné le surdimensionnement en mer Baltique en introduisant sept unités « winterpalace » de 3 596 EVP en 2018 et 2019. Avec ses 2 100 EVP, le Laura Maersk, premier de la flotte au méthanol, conçu comme un POC (prove of concept au méthanol), pourrait d'ailleurs être limite pour franchir certains canaux, comme celui de Kiel.
Dix feeders de 1 800 EVP, avec une cale à toit ouvert, sont en construction au chantier chinois de Mawei pour MSC, dont la destination n’a pas encore été précisée.
Méthanol et consorts
Dans le même temps, en réponse aux échéances environnementales européennes (Fit for 55, marché carbone), les carburants alternatifs seront progressivement brûlés sur les lignes intrarégionales : GNL, méthanol et hydrogène-batterie.
X-Press Feeders, qui exploite déjà des unites plus grandes (1 528 EVP) sur les routes européennes, a commandé en décembre 14 navires à double motorisation de 1 200 EVP au méthanol, attendus entre le premier trimestre 2024 et la mi-2026. Ils devraient opérer sur les liaisons entre Rotterdam et les ports baltiques.
Le spécialiste du marché, avec une flotte de plus de 100 petits porte-conteneurs sur des itinéraires de courte distance, estime être bien placé pour ouvrir la voie au méthanol vert, en tant qu'exploitant « de navires plus petits et plus économes en carburant sur des itinéraires de courte distance et dans un espace géographique relativement restreint ».
MPC Group et North Sea Container se sont associés pour construire deux navires de 1 300 EVP pour le trafic côtier nord-européen, dotés d'une superstructure avant, d'une cale à toit ouvert, propulsés par des moteurs au méthanol à double carburant et équipés de batteries au lithium d'une capacité de 250 KWh. En construction sur le chantier naval chinois de Taizhou Sanfu, ils devraient être mis en service à la mi-2025.
Selon la direction d'OCI Global, fournisseur néerlandais de méthanol vert, la demande du secteur maritime devrait dépasser 4 Mt par an d’ici 2025, sur la base des commandes actuelles de nouveaux navires. L'entreprise a obtenu les approbations et les permis requis pour stocker du méthanol dans plusieurs ports.
Adeline Descamps