À mi-chemin de son voyage inaugural entrepris le 6 février de Ningbo, l'Ane Maersk, premier porte-conteneurs livré à être propulsé au méthanol, a fait le plein à Anvers-Bruges alors qu’il faisait escale à l'un des 11 postes d'amarrage du terminal de MSC/Til et de PSA (MPET). Il y a reçu 4 300 t de méthanol vert et 1 375 t de biodiesel (B100) en « opérations simultanées » (Simops), opération qui permet l’avitaillement pendant le chargement/déchargement de la cargaison. Il avait souté une première fois dans le port sud-coréen d’Ulsan avec un carburant fourni par le Golden Sunny Hana de Hana Marine.
En Belgique, TankMatch, qui avait jusqu’à présent organisé des soutages de petits volumes de méthanol, a exploité deux allèges pour transférer le carburant tandis que VT Group, qui opère principalement en zone ARA (Amsterdam, Rotterdam, Anvers) a pris en charge le biodiesel au moyen d'une seule barge.
Pour le deuxième port européen, ce n’est pas tout à fait une première. En juin 2023, 475 t de méthanol avaient été chargées sur le navire-citerne Stena Pro Marine.
« Il s'agit d'une étape importante dans notre ambition de devenir un port multi-carburants avec l'hydrogène, l'ammoniac, le méthane et le méthanol, en plus de la gamme de biocarburants et de carburants conventionnels », indique le port belge. L’autorité portuaire assure disposer « d'une capacité de stockage de carburants neutres, de nombreux terminaux de stockage ont investi dans des capacités supplémentaires ou envisagent de le faire ».
En vue de permettre le soutage sur ses deux plateformes, l’autorité portuaire a réalisé les évaluations des risques pour tous les types de carburants, est en train de mettre en place des protocoles de sécurité et d'organiser un système de licence pour les opérateurs de soutage.
Au Havre le 6 avril
L’Ane Maersk est la première des 24 unités au méthanol commandées par l’armateur danois qui doit réceptionner 338 500 EVP entre 2024 et 2025. Soit douze de 16 500 EVP (HHI), six de 17 500 EVP (HHI) et six de 9 000 EVP (YZJ). Il est en réalité le second après le Laura Maersk, feeder de 2 136 EVP, sorte de POC (preuve du concept) baptisé à la mi-septembre 2023 à Copenhague et en exploitation sur la Baltique.
Exploité sur le service Asie-Europe du Nord de 2M, que le groupe danois opère avec MSC et commercialise sous la marque AE7/Condor, le porte-conteneur dessert quatorze ports pour sa première rotation entamée à Ningbo : Shanghai, Nansha, Yantian, Tanjung Pelepas et Colombo en Asie et à l'Ouest., Tanger Med, Felixstowe, Hambourg, Anvers, London Gateway et Le Havre, dernier port européen, où il était attendu le 6 avril.
Le Ane Maersk y a été pris en charge dans la zone extérieure de Port 2000, dans le TNMSC, l'un des deux terminaux (avec TPO) exploités par Terminaux de Normandie (TN dont l'actionnaire principal est Til, branche de manutention portuaire de MSC.
Pour son premier voyage, le navire aura parcouru un total d'environ 15 800 milles nautiques jusqu'à son escale française en un peu plus de 62 jours. De là, il doit retourner en Asie en faisant une halte à Tanger Med.
Comme la plupart des services de la ligne régulière Asie-Europe, le voyage a dû être détourné du canal de Suez pour emprunter la route plus longue via le cap de Bonne Espérance.
228 navires au méthanol commandés en 2023
Pionnier dans ce carburant vert, Maersk a ouvert la voie à un carnet de commandes mondial qui a enregistré 228 contrats de construction en 2023, dont 113 signés par les six leaders dans le conteneur.
C’est CMA CGM qui détient le deuxième carnet de commandes de navires au méthanol le plus important avec douze navires bicarburant de 15 000 EVP (six dans chacun des chantiers navals de Dalian et de Jiangnan), ainsi que douze de 13 000 EVP (chez Hyundai Samho).
Huit autres unités de 9 200 EVP commandées en septembre 2023 à Shanghai Waigaoqiao Shipbuilding avec une propulsion au méthanol pourraient en fait être livrées avec des moteurs à double carburant GNL.
Le transporteur français semblait inquiet quant à l'approvisionnement en carburant. Pour autant, l’armateur français s’est engagé depuis avec Qingdao Beihai Shipbuilding Heavy Industry pour la conversion de dix unités de 9 300 EVP à propulsion conventionnelle. Selon les chantiers asiatiques, ces travaux pourraient coûter jusqu'à 25 M$ par navire.
Les navires ne sont pas identifiés mais l’entrée en cale sèche est programmée au cours de l’année 2025. Il pourrait donc s'agir des 9 200 EVP dont l’échéance coïncide cette année-là avec leur programme de « grande visite ».
Le clan des convertis
CMA CGM s'inscrit là encore dans les pas du numéro deux mondial. En octobre 2023, Maersk a signé un accord avec le chantier naval Zhoushan Xinya de Ningbo-Zhoushan pour convertir le Maersk Halifax (15 282 EVP) au carburant de plus en plus plébiscité. Les onze navires de cette série construite entre 2017 et 2019 pourraient être concernés.
En décembre, Cosco a fait appel à son tour au motoriste MAN ES pour convertir quatre porte-conteneurs, deux unités de 13 800 EVP et deux de 20 119 EVP en double motorisation avec le méthanol.
Le motoriste allemand a investi en R&D pour offrir cette solution qui pourrait reconfigurer 300 navires. Les premiers de Cosco à être transformés seront les Camellia et Virgo. Le contrat de ce dernier est assorti d'une option pour neuf navires supplémentaires des classes Virgo et Pisces de 20 000 EVP. Les premiers devraient être livrés durant le premier semestre de l’année 2025.
Hapag-Lloyd et Seaspan sont plus ambitieux encore : ils planchent sur une conversion à grande échelle, jusqu’à 60 unités.
Les premiers géants au méthanol
Il revient aussi au transporteur chinois Cosco les premières commandes des megamax de 24 000 EVP au méthanol : sept pour OOCL, cinq pour CoscoSL (avec en plus un néo-panamax de 16 000 EVP).
Le Taïwanais Evergreen a commandé, en juillet 2023, 24 unités de 16 000 EVP à propulsion au méthanol à Samsung Heavy Industries (16) et Imabari Group (8). Le Japonais ONE s’est engagé pour douze unités de 13 000 EVP tandis que le sud-coréen HMM a signé pour neuf de 9 000 EVP.
Approvisionnement aléatoire
La forte demande de moteurs prêts à fonctionner au méthanol a eu tendance à resserrer le delta de prix avec l'alternative GNL. Mais l’approvisionnement reste un sujet.
L’armateur danois est aussi, ce point de vue, le plus avancé, ayant signé 11 contrats d’achat long terme depuis le premier en août 2022. Le plus important a été contracté avec le Chinois Goldwind portant sur 500 000 t par an de bio-méthanol (durée non précisée), produit à partir de l'énergie éolienne depuis une nouvelle installation située dans le nord-est de la Chine. La production devrait débuter en 2026.
Maersk avait alors assuré que contrat pourrait couvrir les besoins annuels de plus de la moitié de ses (24) navires au méthanol.. Goldwind devrait confirmer la décision finale d'investissement (FID) en fin d’année dernière mais elle n'a pas encore été confirmée.
Les mêmes fournisseurs pour tous
En plus de garantir l'approvisionnement, les transporteurs doivent aussi veiller à l'infrastructure de soutage dans les ports. Maersk a ainsi signé des protocoles d'accord avec la ville de Yokohama et le producteur local de méthanol, Mitsubishi Gas Chemical, pour développer les infrastructures de soutage nécessaires. Il est aussi partenaire du plus grand opérateur portuaire chinois SIPG, qui ambitionne d'être un hub pour l'avitaillement en méthanol.
CMA CGM et Evergreen ont également conclu un accord avec l'opérateur de Shanghai. La compagnie marseillaise française est aussi engagée avec Masdar. HMM a signé de son côté un protocole d'accord avec la société nord-américaine Proman, laquelle est également partenaire de Maersk. Les fournisseurs semblent peu nombreux...
Adeline Descamps
Le bilan du premier voyage de l'Ane Maersk
Selon un bilan dressé a postériori par Alphaliner, l'Ane Maersk aura passé 76 % (environ 47 jours) de son voyage en mer et 24 % (environ 15 jours) au port. Sans tenir compte compte des temps d'accostage et d'appareillage, des manoeuvres dans les chenaux de navigation ou de l'attente au mouillage, en ne mesurant que le temps et la distance d'un terminal à l'autre, aucun des tronçons n'a dépassé les 16 noeuds. La plupart des trajets plus courts n'ont atteint que 13 ou 15 noeuds. Certains passages ont été effectués à une vitesse supérieure, vers la fin de l'étape, lorsque l'équipage du navire avait apparemment déjà une fenêtre d'accostage assignée.
L'utilisation croissante de carburants coûteux à faible teneur en carbone incitera encore davantage à ralentir pour compenser les surcoûts du poste bunker même si le chargeur devra payer pour le « luxe » d'une chaîne d'approvisionnement verte.
Selon des estimations récentes, le prix du bio-méthanol pourrait atteindre 1 000 $ la tonne et l'e-méthanol vert entre 1 100 et 2 400 $, en fonction du coût de l'électricité verte. Ces chiffres doivent être multipliés par un facteur de 2,4 pour tenir compte de la densité énergétique plus faible du méthanol par rapport aux combustibles conventionnels. À long terme (horizon non précisé), le prix du méthanol vert pourrait se facturer entre 300 et 600 $/t.
A.D.
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