Les lignes de démarcation entre les trois leaders mondiaux de la ligne régulière sont de plus en plus nettes quant à leurs choix de motorisation futurs. Maersk et CMA CGM se distinguent par leur volontarisme à l’égard du méthanol, multipliant les commandes réelles ou supposées. MSC s'aventure sur d'autres terres.
Le leader mondial de la ligne régulière participe actuellement à une nouvelle étude visant à concevoir un porte-conteneurs à double carburant à l'ammoniac.
Le projet, dirigé par le Shanghai Merchant Ship Design & Research Institute (SDARI), émanation du grand groupe chinois de la construction navale China State Shipbuilding Company (CSSC), réunit le motoriste allemand Man ES et la société de classification britannique Lloyd's Register.
Sécuriser l'emploi de l'ammoniac
Les travaux doivent évaluer si l'ammoniac peut être adopté en toute sécurité ainsi que ses impacts sur le fonctionnement du navire.
Le protocole d'accord indique sans équivoque qu'il s'agit d'offrir à MSC la possibilité de choisir l'ammoniac comme carburant principal de propulsion dans le cadre de ses futures commandes.
La répartition des tâches est classique. SDARI s'attellera aux spécifications et à la documentation technique, MAN-ES fournira les données relatives à la conception du moteur et aux systèmes d'alimentation en carburant tandis que la société de classification LR s’assurera de la conformité aux normes et règles de sécurité relatives à l'utilisation de l'ammoniac comme carburant marin.
« Des projets comme celui-ci sont essentiels pour nous aider à évaluer les risques et les opportunités liés à l'utilisation de l'ammoniac pour la propulsion et pour partager ces enseignements avec l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement maritime », indique un porte-parole du concepteur chinois.
SDARI a planché sur plusieurs projets de navires utilisant des carburants alternatifs, notamment un transporteur de voitures à double carburant à l'ammoniac.
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Une littérature sur le sujet
À vrai dire, chacune des parties prenantes est plus ou moins impliquée dans des projets autour de l'ammoniac en tant que carburant marin. MAN, pionnier dans la R&D de moteurs propulsés avec ce combustible aux émissions proches de zéro, est particulièrement actif à ce sujet, notamment en collaboration avec des acteurs japonais, très motivés pour acquérir des connaissances et de l'expérience dans le domaine du transport maritime de l'ammoniac.
LR a également collaboré avec un autre chantier coréen, Samsung Heavy Industries (SHI), en vue de développer un VLCC à l'ammoniac, le premier devrait être livré au transporteur malais MISC en 2025.
Une directive du gouvernement japonais fait de l'ammoniac une priorité, pour son double emploi en tant qu'énergie pour la production d'électricité et comme combustible marin. « Cela conduira probablement à un soutien important en faveur de nouveaux navires, non seulement capables de transporter de l'ammoniac en tant que cargaison, mais aussi de brûler de l'ammoniac en tant que carburant », gage Clarksons Gases et Green Ammonia à propos de l'engagement nippon.
Une énergie prometteuse
À fois combustible et vecteur d'énergie, la densité énergétique par volume de l'ammoniac est supérieure de près de 30 % à celle de l'hydrogène liquide et ses exigences sont moins strictes en matière de température et de pression de stockage. En cela, il est plus facile à distribuer et permet de réduire les coûts, deux éléments clés dans la construction d'une future infrastructure de distribution d'hydrogène et d'ammoniac.
Mais l'ammoniac seul ne convient pas, car il est difficile à brûler efficacement en raison de sa vitesse de flamme intrinsèquement faible. Raison pour laquelle les chercheurs proposent d'utiliser la chaleur résiduelle du processus de combustion pour le décomposer/craquer partiellement, ce qui donne un mélange de combustible composé d'ammoniac, d'azote et d'hydrogène. Cette technologie est relativement facile à mettre à l'échelle, même pour les plus grands navires.
127 navires en commande, 10 aux GNL/ammoniac
Sur l’ensemble de 127 navires en commande, dix porte-conteneurs de 11 500 EVP ont été commandés par MSC au GNL mais configurés pour carburer à l’ammoniac. La construction a été confiée au début de l'année au chantier naval Zhoushan Changhong International Shipyard.
En mars 2022, le transporteur suisse a pris livraison du premier d'entre eux, le MSC Washington (14 280 EVP) dont la particularité tient dans la capacité de ses cuves de 12 300 m3, offrant au navire une plus grande autonomie.
Après avoir été relégué à l'arrière-plan pendant de nombreuses années, l’ammoniac est désormais sous les feux de la rampe. Toutefois, son grand frère, le GPL, exercera une influence majeure sur son avenir et sur le niveau de ses taux de fret, indique Clarksons dans une note récente.
115 navires au méthanol en commande
Selon la société de classification DNV, il y a actuellement dans le carnet de commandes mondial (ferme et sans double carburation), 904 navires au GNL, 180 au GPL, 115 au méthanol et 27 à l'hydrogène.
D’après la dernière comptabilité opérée par Alphaliner et arrêtées fin février, les porte-conteneurs avec des carburants alternatifs atteignaient 40 % du carnet de commandes mondial, avec 198 navires au GNL (représentant une capacité de 2,31 MEVP), ce qui équivaut à un peu moins de 30 % du carnet de commandes.
Les unités à double carburant au méthanol ont progressé à un rythme plus rapide encore, se comptant désormais au nombre de 68 porte-conteneurs (0,93 MEVP). Ce segment représentait, en février, 12 % du carnet de commandes en termes de capacité contre moins de 1 % il y a un an.
Maersk, rumeurs persistantes
Selon plusieurs sources de courtage, Maersk, pionnier du méthanol, aurait signé une lettre d'intention avec le chantier naval chinois Yangzijiang Shipbuilding pour huit porte-conteneurs supplémentaires à double motorisation de 8 000 EVP avec le méthanol.
CMA CGM envisagerait de son côté une série de dix unités de 24 000 EVP dotées d'une propulsion bicarburant au méthanol. Certaines sources industrielles affirment que Yangzijiang serait bien positionné pour emporter la commande. Le chantier chinois, l’un des rares qui soient privés, a progressivement acquis de l'expérience avec les nouveaux carburants tels que le GNL.
Sans ces nouvelles annonces, le « carnet de commandes méthanol » de CMA CGM compte 24 navires totalisant 336 000 EVP si l’on considère les contrats pour douze unités de 15 000 EVP répartis entre CSSC Jiangnan (6), CSSC Dalian (6), et les douze de 13 000 EVP auprès de Hyundai Samho.
Celui de Maersk comprend 19 unités pour un peu moins de 300 000 EVP : le feeder inaugural de 2 100 EVP, qui vient d’être mis à l’eau, les douze navires de 16 200 EVP et la dernière commande d’octobre portant sur six porte-conteneurs de 17 000 EVP, tous chez Hyundai Heavy (HHI).
Les dernières intentions en date prêtées à CMA CGM feraient passer son carnet de nouvelles constructions de 0,91 à 1,15 MEVP. Ce faisant, le Français serait en mesure de déloger le Danois et de devenir le numéro deux mondial.
Adeline Descamps
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