MEPC 80 (décarbonation du shipping) : amertume chez les ONG environnementales

Article réservé aux abonnés

Siège de l'OMI à Londres

Ocean Rebellion affiché une banderole sur la façade de l'OMI sur laquelle on pouvait lire « Sold out to fossil fuels » (« vendu aux carburants fossiles »).

Crédit photo ©Ocean Rebellion
Les réactions sont vives et tranchées, parfois à la limite de l'outrance. Les ONG environnementales dénoncent le peu d'ambitions et en appellent au volontarisme des États qui par leurs politiques nationales peuvent avoir un impact mondial, indiquent-elles.

Les mots sont sévères et à la hauteur de la désillusion de certaines ONG à l'issue de la 80e session du Comité de la protection du milieu marin à l'Organisation maritime internationale. Le MEPC 80 devait arracher un accord sur une stratégie de décarbonation bien plus ambitieuse que celle arrêtée en 2018, qui fut la première du genre validée dans le transport maritime au niveau mondial. Mais qui est campée sur un objectif visant à réduire de moitié les gaz à effet de serre générés par les navires par rapport à 2008. Il est, d'avis de scientifiques, loin de ce qui serait exigé pour limiter le réchauffement climatique.

La session, qui s'est clôturée le 7 juillet à l'issue d'une dizaine de jours de négociations, a acté le principe d'une décarbonation de la flotte mondiale à horizon 2050 avec des objectifs intermédiaires en 2030 et 2040. Deux dates presque plus déterminantes que l'objectif global car elles sont subordonnées à des mesures économiques et techniques qui n'ont pas été arbitrées et qui doivent l'être en 2025 pour entrer en vigueur en 2027, soit trois ans avant la première étape.

« Un accord de vœux et de prières »

Le MEPC à peine clos, un communiqué commun, signé par Ocean Conservancy, Clean Shipping Coalition, Seas At Risk, Pacific Environment, Carbon Market Watch et Transport & Environnement, stigmatisait la faiblesse de ces objectifs intermédiaires à 2030 et 2040, que le langage fleuri de l'OMI appelle « points de contrôle intermédiaires ».

Faute d'un accord qui les satisfasse, les ONG s’en remettent désormais à la « coalition de volontaires » qui voudront agir au-delà. 

« Il n'y a pas d'excuse pour cet accord de vœux et de prières. Les délégués savaient ce que la science exigeait, et qu'une réduction de 50 % des émissions d'ici 2030 était à la fois possible et abordable. Au lieu de cela, le niveau d'ambition convenu est bien en deçà de ce qui est nécessaire pour être sûr de maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 1,5 °C. Le langage semble avoir été conçu pour être vague et sans engagement », dénonce John Maggs, de Clean Shipping Coalition, qui salue les pays « plus vulnérables ayant amélioré l'accord de manière significative ».

Il fait référence aux petits États insulaires et à la diplomatie infatigable des Îles Marshall et Vanuatu, particulièrement proactifs dans l'hémicyle de l'OMI.

« 50 ans d'échec »

Seas At Risk, auteur d'un rapport qui répertorie « 50 ans d'échec dans la prise en compte de l'impact environnemental du transport maritime », s’attaque aux « manœuvres dilatoires des groupes de travail » et à « l’inaction du huis clos », alors que les mesures pour une action à la mesure de l’urgence sont accessibles. « La façon dont l’OMI a édulcoré son ambition climatique fera couler les chances du secteur du transport maritime de respecter ses engagements dans le cadre de l'Accord de Paris. En raison de cet échec, nous avons besoin de pays et de blocs ambitieux pour tracer leur propre voie et fixer des taxes sur le carbone au niveau national et régional d'au moins 100 $ par tonne d'émissions de gaz à effet de serre », souligne à son tour Daniele Rao pour Carbon Market Watch.

C’est en effet le niveau que ces associations estiment nécessaire pour aider les pays vulnérables qui éprouvent le désastre écologique à pouvoir y faire face.

S'en remettre au volontarisme des politiques nationales

Connu pour sa virulence, Faig Abbasov, de Transport & Environnement, ne fait pas dans la demi-mesure tout en gardant confiance : « À part la FIFA, il est difficile d'imaginer une organisation internationale plus inutile que l'OMI. L'organisation avait l'occasion de définir une ligne de conduite claire et sans ambiguïté pour atteindre l'objectif de 1,5 °C, mais tout ce qu'elle a obtenu, c'est un compromis bancal. Heureusement, des États comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Union européenne n'ont pas besoin d'attendre que la Chine, le Brésil et l'Arabie saoudite agissent. Des politiques nationales ambitieuses et des corridors verts peuvent avoir un impact mondial. Il est temps de penser globalement et d'agir localement ».

Ocean Rebellion, qui veut interdire partout l’usage du HFO dès maintenant (pas seulement en Arctique) – le fuel lourd est autorisé si les cheminées des gaz d’échappement sont équipées de scrubbers, non moins controversés pour ses rejets acides dans l’océan –, a opté pour la méthode forte. Ses membres ont déposé une banderole sur la façade du siège de l'OMI sur laquelle on pouvait lire « Sold out to fossil fuels » (« vendu aux carburants fossiles »).

Le GNL est aussi dans le collimateur de l’ONG en raison de ses fuites de méthane « plus de 80 fois plus nocif pour le climat que le dioxyde de carbone ». Plus de 785 nouveaux navires sont actuellement commandés dans le monde, dont plus de 400 sont construits pour fonctionner au GNL, accuse-t-elle. « Cela ne fera qu'augmenter les émissions de méthane des navires, qui ont déjà cru de 150 % entre 2012 et 2018 ».

L'association condamne même l'OMI, jugée inapte et à la solde de l'industrie du transport maritime. « N'est-il pas temps que la mission environnementale de l'OMI soit confiée à une autre agence des Nations unies, plus performante ? La vie est trop importante pour être gaspillée par une bureaucratie inepte », condamne-t-elle sans fard.

Adeline Descamps

 

Vers trois nouvelles zones d'émissions contrôlées

« L'Arctique – un régulateur majeur du climat mondial –, est considéré par les climatologues comme se réchauffant jusqu'à quatre fois plus vite que la planète dans son ensemble, avec la possibilité de jours sans glace de mer en été dès les années 2030, ce qui est extrêmement préoccupant », alerte Sian Prior, conseiller principal de la Clean Arctic Alliance.

« Ces dernières semaines, le monde a connu des températures record, des mers surchauffées, des dômes de chaleur et des incendies de forêt, alors que les dernières données scientifiques montrent que d'ici quinze ans, nous risquons de dépasser les points de basculement du climat mondial. Les États membres de l'OMI agissent comme si nous avions tout le temps du monde, mais ce temps est compté ».

Recours au diesel

L'un des porte-parole de l'association la plus active pour l'Arctique estime que l'OMI « procrastine en série » alors que les effets sont connus et que le transport routier a été mis au pas.

« La réduction des émissions de combustibles fossiles dans et près de l'Arctique est simple ne nécessite pas le développement de nouveaux carburants ou de nouvelles technologies, et peut être réalisée immédiatement », assure le représentant, qui demande un passage au diesel, avec un effet jusqu'à 80 % de réduction des GES. Une mesure complétée par l'installation de filtre à particules diesel.

Trois nouvelles ECA

Clean Arctic Alliance ne voit toutefois pas tout en noir carbone. L'ONG se montre satisfaite des propositions du Canada, de la Norvège et d'un groupe d'États riverains de l'Atlantique Nord-Est (Autriche, Estonie, Finlande, France, Islande, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Pologne, Royaume-Uni et Commission européenne), pour trois nouvelles nouvelles zones d'émissions contrôlées (ECA).

Le Canada a en effet soumis un document d'intention sur son intention de classer ses eaux arctiques comme une ZCE, dossier qui sera présenté au MEPC en 2024. Les États littoraux de l'Atlantique Nord-Est et la Commission européenne ont entrepris pour leur part les études nécessaires pour soutenir une proposition de nouvelle ZCE. La Norvège a également confirmé une proposition au CPMM de 2025.

En revanche, sur les scrubbers, la Clean Arctic Alliance se dit déçue de l'absence de progrès, surtout que la Commission européenne et des États membres de l'UE ont proposé des amendements à la convention MARPOL afin de permettre la réglementation des eaux de rejet.

 

 

Lire aussi L’OMI valide le principe d'une totale décarbonation d’ici 2050 mais sans les mesures pour y arriver

MEPC 79 : les nouvelles ambitions pour décarboner le shipping en débat à l'OMI

L’OMI s’attaque au carbone noir

Le fuel lourd interdit de séjour en Arctique mais pas avant

plusieurs années Arctique : la Russie exploitera la Route maritime nord dès 2024

Shipping

Règlementation

Actualité

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15