Elles font actuellement la joie des autorités portuaires qui s’empressent de faire de la place sur leur foncier fleurant encore l’industrie vieille France pour accueillir ces encombrantes choses que l’on hisse comme les nouveaux parangons de vertu et symboles d’un monde plus respirable. Les prêtes-à-verdir les ports que sont les éoliennes pourraient pourtant être freinées dans leur ruissellement en mer par un casse-tête de taille : leur installation. « La demande dépassera l'offre de navires adaptés d'ici 2024. Les opérateurs devront investir dans de nouveaux navires ou moderniser la flotte existante pour installer les turbines de très grande taille sans quoi le rythme des installations éoliennes en mer pourrait ralentir », lance Rystad Energy dans une étude qu’il vient de publier.
Les éoliennes du monde entier, à l'exception de la Chine, ont connu une forte croissance ces dernières années, passant d'une moyenne de 3 mégawatts (MW) en 2010 à 6,5 MW aujourd'hui, les plus grandes en service atteignant jusqu’à 10 MW. Si les turbines de plus de 8 MW n’ont représenté que 3 % des implantations mondiales entre 2010 et 2021, elles devraient s’imposer en norme pour constituer 53 % du parc d’ici la fin de la décennie, assure la société de recherche énergétique.
62 unités de plus de 9 MW en 2030
Selon les calculs de Rystad, la demande de navires d'installation d'éoliennes (WTIV) dans le monde entier passera à près de 79 unités par an en 2030 (11 navires par an actuellement). Le besoin annuel pour les machines de plus de 9 MW, encore inexistant en 2019, devrait atteindre le nombre de 62 à cet horizon.
« Lorsque les turbines étaient plus petites, l'installation pouvait être assurée par la première génération des navires de service ou par des jack-up convertis de l'industrie pétrolière et gazière, explique Martin Lysne, analyste spécialisé dans les navires chez Rystad Energy. Incapable d'installer des turbines nouvelles et plus grandes, cette flotte s'est reconvertie dans les services de maintenance et de réparation des turbines existantes, tandis que les opérateurs ont modernisé les grues des autres navires afin de rester compétitifs sur ce marché. »
Démocratisation en Europe
Le gigantisme semble opérer rapidement. La première turbine commerciale de 10 MW en Europe a été implantée en décembre dernier au parc éolien offshore Seagreen en Écosse par le Wind Osprey de Cadeler. Au total, 114 turbines sont alignées en mer du Nord pour générer 1,1 GW.
Dans le cadre du projet Vineyard Wind, aux États-Unis, des turbines de 13 MW seront manoeuvrées par le Sea Installer de DEME une fois sa grue mise au gabarit. Le nouveau navire Voltaire de Jan De Nul fera ses débuts dans le parc éolien de Dogger Bank, au Royaume-Uni, où il apprêtera des machines de 13 MW. Cadeler est chargé de piloter des formats de 14 MW dans le parc éolien de Sofia, au Royaume-Uni.
En outre, des moteurs de 15 MW seront installés dans le projet He Dreiht d'EnBW en Allemagne, tandis que de nombreux projets américains, tels que Coastal Virginia et Empire Wind, prévoient également l'installation de mastodontes de 15 MW.
Des grues plus puissantes
Ce phénomène nécessite des grues à la capacité de levage optimisé et seule une poignée d’unités seraient actuellement en mesure de monter des turbines de 10 MW. Aucune n'est actuellement en mesure de traiter des 14 MW. Par conséquent, de nombreux navires ont quitté l'Europe pour la Chine, où les navires à faible capacité de grue sont toujours très demandés car la Chine ne semble pas encore gagnée par la démesure.
« Le Taillevent de Jan De Nul a été vendu à la Chine l'année dernière, et l'Apollo de DEME a également été récemment renommé et rebaptisé pour travailler sur le marché chinois, explique Rystad. « Cette situation changera à l'horizon 2025, lorsque de nouvelles constructions commenceront à être livrées et que les navires existants seront équipés de grues. Fred Olsen Windcarrier, DEME et Cadeler prévoient tous de moderniser leurs grues, tandis que Bold Tern, Brave Tern, Sea Installer, Wind Osprey et Wind Orca passeront tous à des grues de 1 600 t entre 2022 et 2024 ».
Des navires exigeants
Certains semi-submersibles, tels les Thialf et Sleipnir du néerlandais Heerema Marine Contractors, pourraient rapidement trouver un nouvel emploi. Pas adaptés pour les petites turbines du passé, ces navires ont été requis pour installer des sous-stations et des fondations lourdes. Mais désormais, ils deviennent précieux avec leurs grues de levage lourd. Le Thialf a ainsi, dans son plan de charge, 27 turbines de 9,5 MW à mettre en place dans le parc éolien Arcadis Ost en mer Baltique en 2023. Selon leur propriétaire, les Thialf et Sleipnir seraient déjà en mesure de traiter des machines de plus de 15 MW.
Reste que ces navires sont exigeants en technicité si bien qu’ils sont vite dépassés par la technologie. « Les exploitants sont en effet réticents à s'engager dans de nouvelles constructions coûteuses qui pourraient être obsolètes avant même d'être rentables. Le coût de fabrication d'un navire capable d'installer des turbines de 14 MW varie entre 300 et 500 M$ », précisent les chercheurs. À ce prix, les propriétaires optent plus volontiers pour un investissement dans des grues toujours plus grandes « dans l'espoir de rester compétitifs plus longtemps ».
Il faudrait des grues de 1 500 t et d'une hauteur de levage de 150 m pour mettre en place des engins de plus de 14 MW. Les 11 navires en commande seraient équipés de grues de plus de 2 000 t, certains même de 3 000 t.
Adeline Descamps