À la fin du mois de mai 2022, les mers et océans abritaient, en divers endroits du monde, 247 navires abandonnés avec 3 623 marins à la dérive. Certains dossiers sont ouverts depuis plus de dix ans. Ces données, recueillis par RightShip, à l'occasion de la Journée internationale des gens de mer, ne prennent en compte que les abandons officiellement enregistrés. La société, qui fournit au secteur maritime des données et de l’expertise en matière de responsabilité sociale et environnementale, redoute qu’ils soient en réalité bien plus nombreux.
Fondée en 2001, la société renseigne le problème des abandons depuis 2017 à la suite des modifications apportées à la Convention du travail maritime (CTM). La majorité des marins abandonnés sont originaires d'Inde – 724 marins –, de l’Ukraine (368) et des Philippines (318), pays connus pour être des pourvoyeurs de membres d’équipage.
Le plus grand nombre de navires à la dérive a été localisé dans les eaux des Émirats arabes unis, avec 26 cas recensés. Classées par État du pavillon, les statistiques font ressortir le Panama en tête de liste. Les abandons sont principalement, et sans surprise, le fait de navires âgés de plus de 25 ans mais, étonnamment, 32 nouveaux navires naviguant depuis moins de cinq ans ont également été relevés.
Trente dossiers en litige depuis plus de dix ans
« L'aspect le plus inquiétant est peut-être le temps qu'il faut pour régler un abandon, mais lorsqu'un cas est résolu de manière satisfaisante, l'équipage reçoit ses salaires impayés et est rapatrié dans son port d'attache », explique Steen Lund, PDG de RightShip, qui fait part d’une trentaine de dossiers en litige depuis plus de dix ans. Le sort de 400 marins dépend de leur résolution. En moyenne, les membres d'équipage sont restés à bord du navire pendant sept mois avant d'être rapatriés, l'attente la plus longue observée étant de 39 mois. « Lorsqu'un navire est abandonné, si les membres de l'équipage quittent le navire, il est beaucoup moins probable qu'ils soient payés, ils sont donc contraints de rester sur place, à attendre, pendant des mois et parfois des années ».
Une convention non ratifiée
En 2013, l'OMI a adopté la convention du travail maritime de l'OIT. Si la convention a été ratifiée par l'équivalent de 95 % du tonnage mondial, moins de 60 % des 174 États membres de l'OMI l'ont ratifiée, ce qui retarde sa promulgation. « Cette situation, ainsi que le manque d'inspections dans les États membres de l'OMI pour s’assurer du respect des règles de la convention sont des facteurs aggravants », ajoute le dirigeant, qui croit cependant au pouvoir de l’exemplarité. En l'absence d'une application internationale rigoureuse des droits des marins, « nous faisons en sorte que les meilleures pratiques soient reconnues et récompensées » de façon à ce que, par effet de miroir opposé, ceux qui violent les droits des marins « souffrent de cette concurrence » vertueuse.
Des défis permanents
Depuis le début de l’épidémie, la Journée internationale des gens de mer revêt un caractère particulier. « À cette occasion, il est important que nous nous souvenions tous des défis auxquels les gens de mer ont été confrontés ces deux dernières années et auxquels ils sont toujours confrontés, notamment les difficultés à effectuer des changements d'équipage, le fait de ne pas être reconnus en tant que travailleurs clés et l'impossibilité d'accéder aux soins médicaux et aux vaccins », rappelle le secrétaire général de l'OMI, Kitack Lim, par ailleurs préoccupé par la saisie de navires en dehors des processus juridiques établis. « Je demande instamment à tous les États membres d'utiliser les voies diplomatiques appropriées pour résoudre leurs différends afin que le transport maritime international, et en particulier les gens de mer, ne soit pas indûment affecté. Le transport maritime et les équipages ne doivent pas devenir les victimes collatérales de questions politiques qui les dépassent ».
Le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, insiste pour sa part sur le fait que les marins, du fait des restrictions sanitaires et des protocoles établis par les États, ont dû se soumettre à des services en mer au temps de travail dépassant largement le seuil légal de 11 mois et rencontrent encore de nombreuses difficultés pour avoir accès aux vaccinations, soins médicaux et congés à terre.
Adeline Descamps