Le transport maritime à l'ère des conflits armés

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Le transport maritime se trouve à nouveau dans la ligne de mire de plusieurs conflits. Après la guerre en Ukraine, les manœuvres chinoises dans le détroit de Taïwan portent la menace d'une exacerbation des rivalités entre deux superpuissances. Les tensions géopolitiques pénalisent les PIB mais pas les taux de fret et les volumes. C'est du moins ce que donnent à lire les trafics.  

« Depuis la chute du mur de Berlin, le monde a perdu une conflictualité bilatérale pour trouver un nouveau terrain complexe et multipolaire avec de grandes puissances qui tâtonnent à l’épreuve des enjeux du XXIe siècle, des puissances régionales qui ne manquent pas de problèmes de voisinage, une multitude de pays aspirant au développement et une poignée d’États politiquement à la marge », expliquait il y a un an Paul Tourret, économiste et historien du maritime, quelques jours après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Les sanctions économiques internationales, qui comprennent la plupart du temps des embargos maritimes, font partie des usages de la communauté internationale pour tordre le bras à un régime « agresseur » et mettre son économie à genou.

« Depuis 30 ans, les entraves au commerce maritime sous différentes formes ont déjà visé l’Irak (1991-2003) et la Yougoslavie (1992-1993), la Libye à deux reprises, la Syrie sur la vente d’armes et ses exportations de pétrole, la Corée du Nord sur ses exportations de charbon ou importations de pétrole, l’Iran par les seuls Etats-Unis », confirment le directeur de l’Isemar. Dans ce dernier cas, les décisions de Washington ont contraint CMA CGM et Maersk à se retirer des affaires du pays et les pétroliers de Cosco Dalian en ont fait les frais.

Extension du domaine des tensions

Le régime des sanctions connaît à nouveau une activité débordante, visible avec le déclenchement de la guerre en Ukraine mais aussi de façon plus diffuse, les États-Unis ayant émis tout au long de l'année 2022, via son Ofrac (Office of Foreign Assets Control), des sanctions, y compris dans le secteur du transport maritime et des transports.

L’actualité, qui agit comme une loupe sur ce monde qui se déchire, témoigne chaque jour des petites et grandes agressions. Comme actuellement en mer de Chine. Après trois jours d’« exercices militaires », au cours desquels des simulations de frappes ciblées et un exercice d'encerclement de l'île autonome ont eu lieu, des navires de guerre chinois continuent de croiser dans le détroit de Taïwan, que Pékin ne considère pas comme un espace maritime international mais comme des eaux chinoises.

Des impacts sur le PIB

Dans les colloques du secteur maritime, il n’est pas rare d’entendre, par les plus provocateurs, qu’une bonne guerre remet le secteur d’équerre.

Si les troubles géopolitiques sanctionnent les PIB (selon l'OMC, ils se matérialiseraient par une baisse de 6,4 % du PIB pour les pays développés, de 10,2 % pour les pays en développement et de 11,3 % pour les pays les moins avancés), ils assurent en effet souvent une croissance à certains segments du transport par la mer.

Dans le cas de guerre entre la Russie et l'Ukraine

Depuis le début de la guerre entre les deux voisins, les wagons de sanctions ont rapidement composé un train de restrictions à l'importation et de contrôles à l'exportation qui a conduit à une mise au ban maritime de la Russie.

Pour atteindre la Russie, les compagnies russes, très impliquées dans le commerce maritime de gaz, de pétrole et produits pétroliers et de céréales et de charbon, ont été coupées des systèmes de paiement internationaux et d’un ensemble de services : assurance, y compris la réassurance et la protection et l'indemnisation, classification, certification enregistrement des navires…, qu’elles trouvaient sur le marché international. Ce faisant, l’exclusion des navires s’assimile à un boycott de facto des produits russes.

Dans le domaine du vrac sec et du pétrole, l’excommunication du régime de Vladimir Poutine a entraîné une réorganisation des flux au profit des tonnes-milles et des volumes.

Le brut russe du commerce à courte distance de l'UE s'est déporté sur de la longue distance pour atteindre la Chine et l'Inde et le diesel russe a aligné les milles jusqu'à l’Afrique du Nord, l'Asie et l'Amérique du Sud. Les pays européens ont remplacé les barils russes par des approvisionnements long-courriers en provenance des États-Unis, du Moyen-Orient et de l'Amérique latine.

Même bonus de distance dans le cas de l'Iran

Le même bonus de distance avait été observé après les sanctions contre l'Iran, le brut iranien auparavant exporté vers l'Union européenne et l'Inde s’est déployé sur des itinéraires plus longs, vers la Chine, tandis que l'embargo contre le pétrole Venezuela a déplacé les exportations des États-Unis vers la Chine.

Si le phénomène de la flotte fantôme (des navires qui opèrent dans l’ombre, sans recourir classiquement à des prestations d’assurance et de paiement occidentales) est apparu après le bannissement de l'Iran, il s'est accru après celles contre le Venezuela et a explosé après l'invasion de l'Ukraine par la Russie. En témoigne le boom sur le marché de l’occasion des vieux VLCC, dont les acheteurs sont des sociétés immatriculées au Moyen-Orient, en Chine et en Inde. Ces navires sont ensuite loués à des prix onéreux (en proportion du risque), les taux de fret s’épanouissant davantage dans des environnements sanctionnés.

Le charbon insensible

Dans une moindre mesure, la guerre en mer Noire ne semble pas non avoir pénalisé le commerce du charbon, qui a même bénéficié d'un effet d'aubaine. Le combustible fossile est un concurrent historique du gaz pour produire de l'électricité et joue traditionnellement les variables d'ajustement selon la volatilité des prix du gaz. Sans gaz russe, les stocks mondiaux se sont tendus, les prix se sont enflammés et le noir carbone, ostracisé par les pays développés pour son bilan carbone, a retrouvé des couleurs selon le viel adage, aussi valable sur les marchés : « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras »

Les vraquiers transportant des cargaisons russes de charbon parcourent actuellement de plus longues distances pour desservir la Chine et l’Inde tandis que l’UE achète désormais le combustible fossile depuis des sources lointaines (Colombie, Afrique du Sud, États-Unis, Australie).

Selon Braemar, les importations chinoises de cargaisons russes de vrac sec ont augmenté de 25 % entre mars et décembre 2022 et les importations indiennes, ont quasiment triplé.

Effets positif immédiat mais négatif à plus long terme

Toutefois, si les effets sur les tarifs d’affrètement des navires sont immédiats, il n’est pas certain, dans le vrac sec, qu’ils le demeurent si la situation devait dégénérer en mer de Chine et impliquer davantage les États-Unis. Le PIB mondial dépend de la machine économique chinoise. Le Covid a révélé que le retrait de la Chine de la scène internationale provoquait des effets papillon dans des pans entiers de l’économie mondiale. Dans le maritime, la prospérité des vraquiers dépend de la conjoncture de la Chine et de sa totale disponibilité. Ce qu’une guerre à ses portes ne garantirait pas.

Le conteneur plus sensible

La plupart des exploitants de porte-conteneurs ont « ramassé leurs affaires » en mer Noire, excepté MSC, qui a desservi la Russie jusqu’au 1er mars. Tant et si bien MSC détient désormais la plus grande part du marché dans la région (15 % du total des exportations russes), selon Alphaliner. Il y a même renforcé récemment ses liaisons hebdomadaires avec la Russie grâce à un nouveau service de shuttle depuis le sud de la Turquie.

Pour autant, les volumes chargés en mer Noire ont chuté de 28,4 % (près de 690 000 EVP) en 2022. Les exportations russes ont baissé de 30 % mais ses importations en provenance de Chine, d'Inde et de Turquie ne se sont repliés que de 6 %, selon les données d'Informall BG délivrées à Maritime Executive.

Premier marché maritime de conteneurs de la région, l’Ukraine (1 MEVP) a vu ses cinq terminaux ukrainiens – parmi lesquels le Container Terminal Odessa du manutentionnaire allemand HHLA et celui de DP World –, complètement isolés par un blocus militaire.

Les terminaux des pays voisins en ont manifestement bénéficié. DP World Romania, NUTEP Russia et POTI Georgia ont traité plus des deux tiers du volume total des conteneurs de la mer Noire l’an dernier, toujours selon Informall BG.

De la place pour d’autres transporteurs

La nature ayant horreur du vide. Le vide laissé par les grands armateurs a fait de la place à des transporteurs régionaux turcs, tels Arkas et Akkon (qui vient de lancer un service vers la Russie depuis le port ukrainien d'Izmail) ou russes à l'instar de Trans-Container et Fesco.

La situation a par ailleurs fait naître des opportunités pour d’autres ports ukrainiens. Ainsi de Reni et d'Izmail sur le Danube, que des opérateurs portuaires locaux ont configurés pour répondre à la demande ou du port roumain de Constanta, où des boîtes sont transbordées sur des navires fluvio-maritimes avant de rallier Reni et Izmail via le canal Constanta-Danube. Constanta, qui s’est rendu en peu de temps complètement indispensable, a traité 75 000 EVP de plus en 2022 que l'année précédente, et atteint le demi-million de conteneurs (555 000 EVP).

C’est moins vrai pour le principal port à conteneurs russe de Novorossiysk (- 17 %, 548 000 EVP chargés) et le bulgare Varna (+ 0,8 %, 208 000 EVP).

La surprise vient en revanche des ports de Géorgie (+ 22 %, 302 000 EVP chargés) qui, entre la mer Noire et la mer Caspienne, se trouvent sur le tracé des routes de la soie, offrant une porte d'entrée vers l'Europe, en contournant la Russie. Dans leur volonté à s'affranchir ou limiter leur  dépendance à l'égard de l'empire russe auquel ils ont été longtemps inféodés au sein de la puissante URSS et de la Chine pour leurs exportations, certains pays d'Asie centrale tels que le Kazakhstan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan pourraient considérer la Géorgie émergente comme une alternative viable. Pour l'heure, les itinéraires ferroviaires via la Turquie, qui évitant les transbordements toujours fastidieux dans les ports de Poti et de Constanta, priment sur la mer.

Adeline Descamps

 

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Chine-Taïwan : menace d'un nouveau conflit armé

Dans la rivalité Chine-Taïwan, les retombées d'une guerre pourraient avoir les mêmes déflagrations pour le transport maritime de conteneurs que le cas russo-ukrainien pour les pétroliers. Notamment parce qu'ils pourraient déboucher sur un choc entre les deux superpuissances.

Les États-Unis reconnaissent Pékin comme le seul gouvernement légal de la Chine, mais vendent des armes à Taïwan pour que l'île puisse assurer sa défense face à la Chine continentale tout en étant peu clair sur une intervention militaire en cas d'invasion.

La tension militaire entre Pékin et Taipei, qui vient d’atteindre un point d’acmé, est récurrente depuis l'arrivée au pouvoir en 2016 de l'actuelle présidente taïwanaise, issue du parti pro-indépendance (ou Parti démocrate progressiste).

Les autorités chinoises ont déjà usé de l'arme commerciale. En août 2022, juste avant l'arrivée de Nancy Pelosi, ex-présidente de la Chambre des représentants américaine, sur l'île, Pékin a placé une centaine d'entreprises taïwanaises de l'agroalimentaire sur liste noire ainsi que 3 000 produits alimentaires. Parallèlement les exportations de sable chinois, indispensable pour fabriquer du béton, de l'asphalte et aussi des semi-conducteurs, ont été suspendues.

En étau entre deux grandes puissances

Le continent nord-américain reste, de son côté, extrêmement dépendant à 30 % des importations conteneurisées en provenance de Chine.

Dans une situation très délicate, en étau entre deux grandes puissances, l'Indonésie, l'Inde et le Vietnam pourraient de ce fait bénéficier de l'escalade des tensions entre la Chine et les États-Unis et de la diverfication géographique du sourcing, notamment des détaillants américains.

C’est ce que soutiennent ceux qui croient au nearshoring. Les épisodes Covid ont créé de l’incertitude sur la fiabilité de Chine en tant que fabricant. La proximité avec la Russie, les coups de menton à Taïwan et les différends croissants avec les États-Unis ont renforcé ce sentiment. Les voisins asiatiques seraient donc bien positionnés pour jouer les relais à condition d'avoir des procédures douanières et des infrastructures aux standards internationaux. Les ports vietnamiens sont mieux lotis de ce point de vue.

A.D 

 

 

 

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