La fenêtre de tir est opportune à quelques jours de plusieurs événements internationaux sur le climat et d’une session à l’OMI sur la décarbonation du transport maritime prévue début juillet.
À l’occasion du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial que la France organise les 22 et 23 juin avec l’Inde, le président français Emmanuel Macron pourrait poser le principe d'une taxe mondiale climatique sur le transport maritime.
Cette conférence internationale à Paris avait été promise en novembre 2022, à l’occasion du G20 et à l’issue d’une COP27 au bilan très mitigé. Elle vise à faire un point d’étape sur « les voies et moyens d’accroître la solidarité financière alors que la crise climatique menace en particulier les pays du Sud, et notamment les États insulaires ». C'est en substance ce qu'ont aussi répété les experts du Giec dans leur dernier état des lieux sur le réchauffement climatique.
Dans cette perspective, la première ministre de la Barbade, Mia Mottley, porte depuis la COP26 une initiative de financement de l’action pour le climat, appelée « initiative de Bridgetown », qui a pour objectif de faciliter l’accès des pays les plus exposés aux financements internationaux pour leur permettre de mieux répondre aux défis climatiques.
Avancer sur la trajectoire de décarbonation
Si la proposition française est opportune à moins d’un mois de la 80e session du comité de protection du milieu marin (MEPC 80) de l'OMI, elle ne fera qu’ajouter de la tension à des échanges déjà tendus au sein de l’hémicycle.
L'Organisation qui réglemente le transport maritime doit notamment avancer cette année sur l’agenda de décarbonation du transport maritime, où un « zéro émission de gaz à effet de serre » d'ici à 2050 devrait être âprement débattu alors que la stratégie adoptée en 2018 projette de réduire « que » de 50 % les émissions carbone d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 2008. Des termes jugés peu ambitieux surtout par rapport aux institutions européennes proactives.
Une action stérile
La proposition française a peu de chance d’aboutir dans ce contexte. L'OMI a bien le pouvoir d'imposer une taxe. Mais la culture du compromis est un sacro-saint principe et le consensus tient lieu de mode d'échanges dans cette vaste assemblée, au prix du sacrifice des ambitions.
Les négociations cheminent lentement et débouchent rarement sur de franches embardées. En revanche, si un État n'a pas le pouvoir d'imposer une taxe, il pourrait influencer l’ordre du jour ou susciter un élan en ce sens. Ce qu'espère sans doute la France en exerçant son lobbying à l'extérieur du Comité de la sécurité maritime.
Une taxation des émissions carbone fait débat depuis plusieurs années dans l’hémicycle d’autant que jusqu’à présent, le transport maritime, responsable de 2 à 3 % des émissions mondiales de CO2, fait figure de passagers clandestins de la cause climatique, échappant à toute forme de taxation. Ce qui ne sera plus le cas dans peu de temps.
Fin de l'exception climatique
Le Parlement et le Conseil européens sont parvenus à un accord sur les conditions d’intégration du transport maritime dans le système d'échange communautaire de quotas d'émission. Tous les navires devront acheter des droits à polluer pour leurs émissions à l'intérieur de l'UE et pour la moitié de ce qu'ils rejettent lorsqu'ils voyagent entre l'Union et d'autres pays.
À Bruxelles, la législation sur la décarbonation du transport maritime avance vite. Le paquet législatif Fit for 55, comprenant notamment son intégration dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE) et le règlement Afir sur les infrastructures des carburants alternatifs aux combustibles, est en fin de parcours parlementaire, à l’étape des négociations tripartites entre la Commission, le parlement et le conseil européens.
Zéro émission d'ici à 2050 ?
À l’OMI, les États membres ne s’entendent pas sur la fixation d’exigences enforcées. Mais les rapports de force évoluent. Un nombre plus important de pays se sont ralliés à l’idée d’un « zéro émission d'ici à 2050 » à l’instar de la Corée et le Japon, deux des trois grands constructeurs de navires.
Cette ligne dure est déjà partagée par 27 États membres de l'UE, les États-Unis, les pays du Pacifique, les Îles Marshall et Salomon et de plus en plus de pays africains.
Sur les quelque 170 États membres, dix sont en revanche encore complètement hermétiques : il s’agit des BRICs (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), ainsi que de l'Arabie saoudite, de l'Argentine, de l'Indonésie, de la Turquie et des Émirats arabes unis, qui accueillent pourtant les négociations climatiques de la COP28.
Deux pistes pour contribuer à la cause climatiquePour faire payer le transport maritime, deux pistes émergent : fixer un prix au carbone et/ou une norme sur les carburants. Cette dernière permettrait de combler l'écart de prix entre les combustibles verts (vertueux mais coûteux) et les combustibles fossiles (polluants mais bon marché et non taxés).
Depuis début 2021, plusieurs États insulaires du Pacifique défendent un prix de 100 $ pour chaque tonne d'équivalent carbone émise par l'industrie. Le transport maritime émettant environ 1 milliard de tonnes de gaz à effet de serre (GES) chaque année, elle rapporterait donc 100 Md$ dans les premiers temps.
Destination des fonds ?
L'OMI pourrait confier la gestion de cette collecte à des institutions existantes, telles que le Fonds vert pour le climat des Nations unies et la Banque mondiale.
Si le prix à donner sera l’objet de nombreux échanges, c’est surtout la destination des fonds qui divise et réveille les clivages entre un Nord qui émet et un Sud qui subit.
Ces débats ont déjà démarré dans les couloirs de l’OMI. Schématiquement, les pays du Nord tiennent à ce que les revenus perçus soient réinvestis au profit du secteur pour financer la décarbonation, chiffrée selon des données convergentes à 2 400 Md$ selon des données convergentes. C'est la ligne défendue par les organisations professionnelles, parmi lesquelles la très remuante ICS, la chambre internationale de la marine marchande et le World Shipping Council (WSC).
Les pays du Sud souhaiteraient, eux, qu’ils aident les pays vulnérables au climat à s'adapter au changement climatique
Les pays en développement voient dans l’émergence d’une nouvelle génération de combustibles une opportunité de développement à l’instar de la Namibie dont les projets en cours visent à transformer le pays en un producteur et exportateur majeur d'hydrogène vert.
Adeline Descamps