Dans un document de 94 pages, le n°5 mondial du transport maritime de conteneurs présente les points clés de sa nouvelle stratégie 2023. On y lit des choses intéressantes, outre un véritable changement d'approche dans la façon d'appréhender le marché et... le client hissé au coeur des préoccupations. Ce n'était donc plus le cas ?
Exit les fusions-acquisitions, la valeur est désormais dans l’approche client. C’est du moins à ce niveau que Hapag-Lloyd, qui vient de présenter sa stratégie 2023 contenue dans un document de 94 pages, entend faire la différence par rapport à ses concurrents dans les cinq prochaines années. « La taille n’est plus la raison d’être du transport maritime », prédit Rolf Habben Jansen, directeur général depuis juillet 2014 du 5e transport maritime mondial par sa capacité conteneurisée (1,6 MEVP).
Le CEO dont le contrat a été prolongé en mai dernier jusqu'au 31 mars 2024, estime que la consolidation a atteint son point culminant et qu’il n’y a plus vraiment « d’avantages à tirer de la consolidation en termes d’économies d’échelle ».
L’affirmation est loin d’être anodine compte tenu du contexte récent. Le groupe allemand a animé un partie de l’actualité estivale à la suite de la révélation par Reuters d’échanges entre le n°4 mondial CMA CGM et Hapag-Lloyd, qui travaillent du reste ensemble, en vue d’une fusion. Le feuilleton s’était vite viralisé jusqu’à ce que les principaux actionnaires de l’armateur allemand, notamment la famille Kuhne avec 25 % du capital, CSAV (25,8 %) et la Ville de Hambourg (13,9 %) y mettent un terme, signifiant leur refus tout en admettant avoir été approchés.
L’allemand a largement participé à la structuration du secteur de ces dernières années dans le transport maritime de conteneurs. Après avoir raté sa compatriote Hambourg Süd, absorbée par AP Moller Maersk, il a mis la main sur la chilienne CSAV en 2014 et sur le transporteur du Golfe, United Arab Shipping Co (UASC) en 2017, ce qui lui a permis de doubler sa capacité de transport (de 0,8 M EVP à 1,6 M EVP) et de faire passer sa flotte à 222 navires (contre 144) dont il est propriétaire à 66 % (de ce point de vueil, il est le leader). Grâce à ses deux fusions, Hapag-Lloyd estime avoir dégagé, respectivement 400 et 435 M$ en économies d’échelle.
« Client centric »
« Nous mettons désormais le client au cœur de nos préoccupations et de notre stratégie. Qualité et fiabilité » énonce Rolf Habben Jansen en utilisant deux synonymes (reliability et dependability). Le groupe (12 000 emplois) dit avoir mené 30 entretiens et contacté 4 000 clients afin de connaître leurs attentes. Sur la base de leurs retours, « nous allons remodeler notre organisation pour être plus efficace dans l'exécution et la prise de décision de façon à nous adapter à vos besoins plus rapidement que nos concurrents. Nous allons automatiser les tâches répétitives pour libérer la capacité d'innovation afin d'améliorer nos services », promet-il à ses clients. L’entreprise s'engage également à être « plus agile » grâce à des « investissements massifs dans numérisation et l'automatisation de ses process ». Elle vise une part de ses activités en ligne de 15 % d'ici 2023.
Hapag-Lloyd met aussi ses priorités sur sa rentabilité qui « a toujours été supérieure à la moyenne de l'industrie ». L’entreprise vise un objectif d'économies de 350 à 400 M$ d’ici 2021, une marge Ebitda d'environ 12 % (9,6 % en 2018), un ratio dette nette/Ebitda inférieur à 3 % (critère par excellence de rentabilité), qui est à 3,6 % aujourd’hui, ainsi qu’un ratio de fonds propres supérieur à 45 %.
« Nous avons renforcé notre structure du capital et réduit nos investissements pour maximiser nos flux de trésorerie disponibles. Par conséquent, nous avons été en mesure de réduire clairement notre endettement au fil du temps et à maintenir une réserve de liquidités suffisante », commente le dirigeant. Pour ce faire, il compte traquer les coûts au niveau du réseau, des terminaux et de la production (optimiser la part du transbordement, réduire les déplacements à vide, améliorer la collecte …). Depuis 2016, poursuit-il, « alors que les prix des soutes ont augmenté depuis 2016, les taux de fret sont restés stables. » Ils ont baissé en réalité de 1,1 % pour atteindre, au 3e trimestre 2018, 1 055 $ l’EVP.
Keep the « right to play »
Le 3e membre de The Alliance (avec One et Yang Ming) revendique des parts de marchés « équilibrées » selon les routes : de 22 % sur l’Atlantique (l’alliance à laquelle il appartient possède sur cette ligne 34 %, derrière 2M), 18 % sur le Moyen Orient, 14 % en Amérique latine, 10 % en extrême orient et 7 % sur le transpacifique. « Malgré des risques géopolitiques croissants, les prévisions de croissance des volumes de transport par conteneurs restent à un bon niveau, ce qui, combiné à un carnet de commandes historiquement bas, permettra d'améliorer encore l'équilibre entre l'offre et la demande dans les années à venir », assure confiante la direction. Hapag-Lloyd a tout de même réceptionné 31 nouveaux navires depuis 2016.
Pour garder son droit d’entrée dans la cour des grands, l’allemand entend investir dans les dessertes terrestres, se concentrer sur les marchés émergents et de niche, rester à l’affut d’opportunités d’investissement mais dans la droite ligne de ses (nouveaux) plans.
Amende honorable à l'environnement
Quant à sa responsabilité environnementale, il martèle ses convictions : « En 2020, sur les 5 406 porte-conteneurs actifs, 5 200 utiliseront des carburants contenant 0,5 % ou moins de soufre sur tous les océans du monde. » L’allemand estime que « le GNL pourrait être la solution carburant à moyen terme ». Dans son draft, il est question de 17 nouveaux navires dans sa flotte qui peuvent être convertis pour utiliser ce carburant (même si une seule une unité de 15 000 EVP a été réservée pour une conversion en 2019) moyennant « un coût estimatif de la conversion et le coût supplémentaire pour les nouvelles constructions de 25 à 30 M$ par navire », jauge le CEO. Hapag-LLoyd aurait passé commande de dix systèmes hybrides d'épuration des gaz d'échappement (EGCS), qui seront progressivement installés sur les navires de 13 000 EVP entre 2019 et 2020 sur 4 % des navires exploités et 8 % de la capacité.
Reste que « l'utilisation de carburants à faible teneur en soufre est la solution clé pour Hapag-Lloyd », indiquent les dirigeants mais « dans l'hypothèse où l'écart entre le fuel à haute teneur en soufre (HSFO) et le fuel à faible teneur en soufre (LSFO 0,5 %) serait d'environ 250 $ par tonne d'ici 2020, Hapag-Lloyd devra faire face à des coûts supplémentaires d'environ 1 Md$ par an. » Donc si le client est au cœur de la nouvelle stratégie, il passera néanmoins à la caisse pour compenser les surcoûts générés par les nouvelles obligations. Le mécanisme devrait être enclenché dès le début 2019.
« Tous les clients participeront à ce changement sans distinction entre eux. Tous les frais de carburant existants seront remplacés par un nouveau mécanisme (MFR), transparent et facile à comprendre, basé sur les données du marché (consommation de carburant, prix du carburant et EVP transportés). Les commentaires des clients ont été largement positifs », croit savoir Rolf Habben Jansen.
--- A.D ---
Un nouveau centre de recherche pour le transport maritime et la logistique Hapag-Lloyd et Kühne Logistics University ont inauguré le 22 novembre le Hapag-Lloyd Center for Shipping and Global Logistics (CSGL) au sein de la Kühne Logistics University de façon à conjuguer recherche académique et applications pratiques dans le domaine du transport maritime et du transport de conteneurs, « d'accroître la compétitivité du secteur et de contribuer au développement de Hambourg en tant que centre international de connaissances sur les sujet. » « Le transport maritime international de conteneurs est confronté à des défis majeurs, tels que la numérisation, la future réglementation sur les carburants et les éventuelles restrictions au libre-échange mondial en raison de nouvelles barrières douanières, a insisté Rolf Habben Jansen, directeur général de Hapag-Lloyd. Nous nous attendons à ce que la CSGL nous fournisse une multitude de recherches scientifiques qui profiteront à l'ensemble de l'industrie ». Pour sa part, Karl Gernandt, président du conseil de surveillance de KLU et président exécutif de Kühne Holding AG, a souligné que, « quelle que soit l'implantation d'une entreprise dans l'industrie logistique et maritime, elle doit rechercher activement le dialogue avec les jeunes talents et les innovateurs, et que c'est seulement ainsi que l'économie sera en mesure de relever les défis du secteur. » |