Les exploitants de navires ne vont bientôt ne plus savoir à quel vent s’adresser tant les technologies véliques prospèrent : voiles, ailes, kites, rotors, rigides, semi-rigides, à profil aspiré… Au risque de brouiller le marché. « Étant donné la variété des types de navires, de besoins et des contraintes, il est intéressant de disposer de plusieurs possibilités pour répondre aux spécificités », avait répondu à ce propos Romain Grandsart, directeur général adjoint d’Ayro à l'occasion de la première visite institutionnelle de l'usine qui fabrique à Caen les Oceanwings.
Tout un symbole. Hervé Berville, le secrétaire d’État chargé de la Mer, avait profité de son déplacement dans le Calvados pour s'y attarder.
L’entreprise, fondée en 2018 par Marc Van Peteghen, architecte naval et Nicolas Sdez, a quelques longueurs d’avance. Sa technologie a reçu son AiP. Son système de voile a embarqué sur l’Energy Observer, ainsi que sur le catamaran Zen 50 de la société Zen Yachts et doit équiper cet été le Canopée, le roulier affrété par ArianeGroup pour le transport des éléments de la fusée Ariane 6 à Alizés, co-entreprise de Zéphyr & Borée et de Jifmar.
Des ailes clés en main
Les ailes d’Ayro sont semi-rigides avec un profil épais inspiré des ailes d’avion. « Cela les rend deux fois plus propulsives que des voiles classiques à simple membrane pour une surface identique avec un apport propulsif dès 5° du vent apparent, un paramètre capital pour des navires de commerce naviguant à une vitesse entre 10 et 20 nœuds. Pour les armateurs, c'est intéressant, car ça leur permet d’avoir des systèmes plus compacts avec moins de tirant d’air et tout automatisés », défend le dirigeant.
Le système affalable et arrisable permet d’opérer le navire quelles que soient les conditions météorologiques, un point non négligeable pour la sécurité des marins.
Avec sa technologie, Ayro, qui promet une réduction jusqu’à 45 % des émissions de CO2, est en mesure d’équiper la grande majorité des navires de commerce moyennant des briques technologiques à apporter. Ainsi, pour les vraquiers, un système de bascule permettra de passer sous les ponts et d’opérer la manutention en chargement et déchargement. Pour les porte-conteneurs, une technologie d’ascenseur vertical rendra le système partiellement rétractable.
Alors qu’elle aurait pu sous-traiter, l’entreprise, qui a eu notamment recours à la levée de fonds pour financer ses développements, a choisi d'intégrer la fabrication de ses ailes. « Notre industrie maritime exige de la compétitivité, de l’efficacité et de la qualité. Il est donc important de s’affranchir d’une trop grande dépendance et de rester maître des capacités de production face à la demande à venir », justifie Romain Grandsart.
CWS dans les starting-blocks
À l’occasion du Wind for Goods, l’événement consacré à la filière vélique qui s’est tenu à Saint-Nazaire les 1er et 2 juin, CWS (Computed wing sail), entreprise basée à Paris, a annoncé l’implantation d’un bâtiment de 10 000 m2 sur l’emprise de l’ancien terminal fruitier du port nantais.
Il est destiné à produire et à assembler l'aile sur laquelle l'entreprise travaille depuis 2014, date du premier brevet déposé. La start-up a ainsi développé une voile d'une superficie de 324 m2, de 36 m de haut quand elle est déployée et de 21 m une fois pliée, entièrement rigide, inversible (pour utiliser les vents de bâbord ou de tribord) et asymétrique.
L'entreprise garantit une propulsion régulière, aux effets de dérive limités, même par grande vitesse. « Nous avons développé et qualifié en soufflerie un profil asymétrique optimal qui fournit plus de puissance et permet de mieux remonter au vent. Notre technologie brevetée permet d’inverser ce profil et donc de déployer une aile asymétrique entièrement rigide sur bâbord et tribord amure, tout en divisant par deux la hauteur et en annulant quasiment le fardage dans une position symétrique », précise Bruno Toubiana, co-fondateur de CWS avec Julien Morel et Julien Ducarne.
Une aile par semaine
« Dès la fin 2025, nous serons en mesure de produire une aile par semaine et nous devrions créer entre 200 et 250 emplois d’ici 2025 », avance-t-il. Le dirigeant prévoit le lancement de la production pour début 2024. L’autorisation d’occupation temporaire (AOT) avec l’autorité portuaire de Nantes–Saint-Nazaire devrait être signée d’ici septembre. Pour justifier le choix d’implantation sur le foncier portuaire, le dirigeant met en avant les « capacités de levage et un savoir-faire sur la logistique XXL ».
Les premières ailes usinées devraient équiper la tout première flotte de porte-conteneurs assistés à la voile et ce, dès 2025, annonce Bruno Toubiana, qui prévoit de livrer 60 unités entre 2025 et 2026.
Le dirigeant fait référence à la commande de Zéphyr & Borée pour le compte de l’Association des chargeurs pour un transport maritime décarboné, une organisation cofondée par France Supply Chain et l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF). L’aventure pourrait offrir à l’entreprise une belle carte de visite pour la suite.
CWS est par ailleurs un des membres du consortium composé de Zéphyr & Borée, GTT et Centrale Nantes, qui a été retenu parmi les lauréats de l’appel à projet du Corimer piloté par l’État, avec son projet Mervent 2025 visant à développer un porte-conteneur à propulsion vélique composé de six ailes.
SolidSail, un ensemble intégré voile et gréement
La voile n’est pas une lubie de dernière minute au sein des Chantiers de l’Atlantique. Le constructeur avait lancé en 2009 un premier prototype nommé Eoseas. Depuis, la R&D s’est largement affinée et des tests menés entre 2016 et 2019 dans diverses conditions et sur plusieurs supports ont fini par donner corps au système Solid Sail, un ensemble intégré voile et gréement à balestron, demandant peu de maintenance et facilement opérable.
Le dispositif, qui fait la synthèse entre la technicité de la course au large et de la construction offshore, comprend une voile rigide de grande dimension, composée de panneaux rectangulaires en composite assemblés entre eux, hissables et affalables.
Dans cette aventure, les Chantiers se sont associés à cinq entreprises bretonnes – Avel Robotics, Lorima, CDK Technologies, SMM et Multiplast – pour former une coentreprise. C’est à Lanester, près de Lorient, que sera implantée l’usine de production des mâts d’ici le dernier trimestre 2024.
Il s'agira d'assembler des panneaux, en fibre de verre et époxy, de la voile qui se déploie sur 1 100 m² (contre 600 m2 pour le premier prototype) sur un mât de 40 m de haut.
Si le système avait été initialement développé dans le cadre du projet Silenseas, une classe de paquebots assistés à la voile, les porteurs du projet visent la plaisance et les ferries mais aussi les navires marchands.
Le Neoliner, roulier développé par Neoline (dont sont actionnaires CMA CGM et Corsica Ferries), est l’un de ses tout premiers clients.
Les industriels promettent une économie de carburant de 25 à 30 %, le surcoût lié à l’intégration de ce type de gréement (de 7 % sur un paquebot) serait amorti en 15 ans par les économies de carburant. À la différence des concepts précédemment cités, le Solid Sail est conçu à ce stade exclusivement pour des navires neufs.
Adeline Descamps
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