Le transport de CO2 aiguise de plus en plus les appétits, les candidats étant appâtés par le marché à grande échelle qu’offre potentiellement la transition énergétique avec les développements de la technologie de stockage et de capture du carbone (CSS). L'Agence internationale de l'énergie (AIE) en fait une technologie critique pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris contre le réchauffement planétaire. Les producteurs de pétrole et de gaz la considèrent comme un moyen de rendre plus vertueuse l'utilisation du gaz naturel pour produire de l'électricité ou de l'hydrogène. L'Oil and Gas Climate Initiative (OGCI) qui regroupe des géants mondiaux du secteur, en fait même une de ses priorités. BP, Equinor, Shell et TotalEnergies sont partenaires dans un projet géant en Norvège pour stocker du CO2 sous la mer du Nord.
Jusqu'alors, le transport maritime de dioxyde de carbone était plutôt l’exclusivité de quelques transporteurs spécialisés et pour le compte d’industriels mais les développements se multiplient, témoignant d’une certaine effervescence dans ce transport de niche. La manifestation la plus évidente de cet engouement est la récente acquisition par la compagnie japonaise du spécialiste norvégien Larvik Shipping dont les navires-citernes transportent du CO2 liquéfié depuis trois décennies pour le compte de Norsk Hydro, Yara, Praxair et Nippon Gases Europe. Avec MOL à bord, les deux sociétés envisagent la conception et commande de navires de plus grande taille.
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Des navires-citernes de trois tailles
L’annonce du jour concerne les deux compagnies danoises de transport de gaz Evergas et Ultragas, actionnaires d’une entité nouvellement créée pour se positionner sur ce marché naissant. Dan-Unity, la nouvelle compagnie, vise le transport de CO2 capté à la fois pour le stockage (CCS) mais aussi sa réutilisation (CCUS) grâce à son partenariat avec Icelandic Carbfix. Le CO2 pourra ainsi être injecté dans le socle volcanique de l'Islande où il sera naturellement transformé en pierre en deux ans.
Pour rappel, la technologie CSS vise à séquestrer le CO2 (sur des centrales de production d'électricité ou des sites industriels) et à le transporter pour être stocké définitivement dans des réservoirs géologiques hermétiques (comme d'anciens champs pétroliers). Dans certains cas, il peut aussi être réutilisé (CCUS), par exemple dans une centrale Power-to-X.
« Quel que soit le besoin, le transport par des navires spécialisés est nécessaire. La technologie et l'expérience sont en place. Le captage, le transport et le stockage sont tous des concepts éprouvés. Pour envisager la construction de navires adaptés, il suffit donc de s'assurer que le cadre réglementaire, y compris la taxation du CO2, soit en place », indique Steffen Jacobsen, PDG d'Evergas, un ancien de Maersk, tout comme Martin Fruergaard, le CEO d’Ultragas (qui doit prochainement quitter l’entreprise pour diriger l’exploitant de vraquiers Pacific Basin). Les deux dirigeants estiment être en mesure dès 2025 de proposer leur offre.
Financement danois
La coentreprise a reçu un financement du Fonds maritime danois pour lui permettre d’étudier la faisabilité technique de cuves capables de transporter entre 7 000 à 50 000 m³ de CO2 sous une forme liquéfiée et le développement d’un navire type. Plus précisément, la nouvelle coentreprise planche sur trois tailles de transporteurs, de 50 000 m³, 20 000 m³ et 7 000 m³. Soit des unités bien plus grandes que la capacité maximale qui est actuellement d'environ 3 600 m³ (1 770 t).
« Un seul navire peut assurer le transport sûr et rentable de 450 000 t de CO2 par an, soit presque l'équivalent de la quantité annuelle totale visée par la stratégie climatique du gouvernement danois », font valoir les nouveaux actionnaires. Les navires étant construits spécialement pour le transport de CO2, ils attendent désormais des engagements contractuels à long terme pour lancer la ou les construction(s), étant entendu qu’ils seront conçus « pour naviguer à l'énergie verte ».
Des développements en nombre
Les asiatiques ont pris de l’avance sur ce nouveau marché. Mitsubishi Heavy Industries a annoncé en février qu’il allait commercialiser d'ici 2025 un navire pour le transport et le stockage du CO2. Avant cela, en août 2020, le constructeur naval japonais et ClassNK avaient présenté une première installation de démonstration de captage de CO2 à petite échelle sur un navire.
Hyundai Mipo Dockyard et sa société mère Korea Shipbuilding & Offshore Engineering (KSOE) ont signé en mars dernier un protocole d'accord avec American Bureau of Shipping (ABS) et le Marshall Island Registry (pavillon d’immatriculation) pour développer des navires destinés à transporter du CO2 liquéfié. Ils envisagent de recevoir une approbation de principe (AiP) d'ici la fin de l'année.
L’armateur suédois de pétroliers Stena Bulk s’est associé au consortium Oil and Gas Climate Initiative (OGCI) en vue de réaliser une étude de faisabilité sur le captage du carbone à bord des navires. D'ici fin 2021, les partenaires du projet devraient commencer à exploiter l'installation et à évaluer les performances du système en conditions réelles.
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Des projets avortés
Dans les années 2010, des précédents n’avaient pas abouti. Le chantier sud-coréen HHI et Maersk Tankers avaient envisagé un temps de développer une nouvelle génération de transporteurs de CO2 liquéfié. L’autre géant de la construction navale sud-coréenne DSME avait également lancé un projet de navire de transport de CO2 mais celui-ci n'a donné lieu à aucune commande.
Adeline Descamps