DFDS confirme le choix de l’électricité pour le renouvellement de sa flotte en faisant part d’un investissement d’1 Md€ dans des navires électriques à batterie. La déclaration opportuniste fait partie des dix investissements dans le transport annoncés dans le cadre du sommet Choose France, événement initié par l'Élysée pour capter des investissements étrangers en France.
L’armateur danois, qui exploite une flotte de 55 ro-ro en mer Baltique, mer du Nord, Manche et Méditerranée, prévoit six premiers ferries tout-électriques. Ils seront déployés sur les lignes Dunkerque-Douvres et Calais-Douvres.
Le choix des batteries est précisément justifié par la courte distance entre les côtes françaises et anglaises (27 milles soit quelque 50 km, traversée entre 1h30 à 1h45).
« Il s'agit d'une étape importante vers la décarbonation du transport transmanche. En raison de la distance relativement courte entre le Royaume-Uni et la France, les itinéraires sont optimaux pour le transport en ferry électrique », rappelle Torben Carlsen, le PDG de DFDS.
Mais, ajoute-t-il, « sans accès à une alimentation électrique suffisante à terre et à des infrastructures pour accueillir des installations de recharge dans les ports, nous ne pouvons pas exploiter les navires. »
D'ici 2030 et sous pavillon français pour deux d'entre eux
Les deux premiers navires électriques seront en service d'ici 2030, assure la compagnie très implantée en France, tandis que les autres devraient suivre avant 2035.
Trois seront sous pavillon français. Depuis l’Hexagone, où il emploie 1 200 personnes dont 800 marins français, DFDS exploité déjà cinq navires enregistrés en France (Côte d’Opale, Côte des Dunes, Côte des Flandres sur Calais-Douvres ; Côte d’Albâtre et Seven Sisters sur Dieppe-Newhaven), sur les dix opérés en Manche.
Confirmation
Le choix ne surprendra personne. Torben Carlsen en avait déjà fait part à plusieurs reprises l’an dernier, une première fois en mars à l’occasion d’un séminaire sur la décarbonation de la route maritime entre le Royaume-Uni et l’Europe à Dunkerque, puis lors de la présentation de sa stratégie à l’horizon 2030 en décembre. Mais il s’agissait alors de construire six navires bas carbone, dont deux dans le détroit de Calais à l’électricité.
La compagnie cherche à abattre les 2,5 Mt de CO2 émis par ses ferries. Le groupe a prévu pour cela d'investir entre 200 et 270 M€ par an dans des systèmes de propulsion à émissions nulles, l’électrique mais aussi l'ammoniac et le méthanol.
Des bornes de recharge rapides et puissantes
De chaque côté du détroit, les ports devront donc s’équiper en bornes de recharge rapides, compte tenu des niveaux de rotation sur cet axe (50 minutes en moyenne), avec une puissance de plusieurs dizaines de mégawatts. Le poids des batteries, estimé par DFDS à 300 t par navire, requérait 45 minutes de charge pour une vitesse de navigation de 20 nœuds.
De ce côté de la Manche, la réglementation européenne imposera le branchement électrique à quai à compter de 2030 pour les ferries, paquebots et porte-conteneurs à partir d’un certain nombre d’escales annuelles.
Six prises de 20 à 30 MW à installer à Calais
Le port de Calais, premier port français pour le ferry transmanche (1,8 million de camions, 7 millions de passagers, 1,2 million de voitures, 40 départs de ferries par jour), entend installer dans les années à venir six prises de 20 à 30 MW, soit 120 MW de manière à alimenter les trois compagnies qui débarquent de Douvres, à savoir P&O, DFDS et Irish Ferries. C'est quarante fois plus que ce que le port consomme actuellement en période de pointe.
S’il ne s’agit pas de tout-électrique comme DFDS, P&O Ferries, qui opère des navires à bas coût, a déjà introduit sur le Calais-Douvres deux ferries hybrides équipés de batteries, les Pioneer et Liberté, qui promettent une réduction de 40 % des émissions. Leur conception, qui évite les manœuvres en demi-tours (ils sont dotés de deux cabines de pilotage), économise par ailleurs temps et carburant, fait valoir la compagnie fort décriée pour ses pratiques sociales depuis qu'elle a licencié avec brutalité son personnel pour le remplacer par des marins aux conditions d'emploi moins disant.
« Notre modèle économique, basé sur une activité 24h/24 et 7j/7, nécessite un temps de rotation très court », expliquait au JMM Benoît Rochet, le directeur général de la SEPD (Société d'Exploitation des Ports du Détroit), et vice-président de l’UFP, en marge du rendez-vous annuel des autorités portuaires européennes (Espo). « C’est un challenge que de fournir de l’électricité et du courant pour permettre une charge complète en moins d’une heure pour que les exploitants n’aient pas à brûler un litre de diesel marin
Une centrale nucléaire à proximité
« Nous devons donc d’abord être connectés aux autoroutes électriques et par chance, nous avons un réseau à proximité, à 10 km de Calais, avec la centrale nucléaire la plus puissante d’Europe occidentale [Gravelines, NDLR] »
Le gestionnaire de réseaux électriques français RTE planche, de son côté, sur la livraison de 225 000 volts au port.
Le port de Dunkerque dispose d’une certaine expertise, ayant été le premier à électrifier le quai de son terminal à conteneurs début 2020.
Douvres, qui n’est pas aussi bien loti, devra créer des lignes très haute tension.
À l'initiative d'un Corridor vert
La Manche – l'une des routes maritimes les plus fréquentées au monde –, représente 33 % des échanges commerciaux entre l'UE et le Royaume-Uni. Avec 300 000 t de CO2 par an générées, elle a un potentiel de décarbonation à suffisamment grande échelle pour avoir un effet probant sur les objectifs de décarbonation.
Raison pour laquelle DFDS et les ports de Douvres, de Boulogne-Calais et de Dunkerque se sont engagés, par le biais d'un protocole d'accord signé le 15 mars 2023, à créer un corridor vert dans le détroit de Douvres.
Ce concept a émergé en marge de la COP26 à Glasgow lorsqu’une vingtaine d’États, dont les principaux membres du G7, ont signé la déclaration de Clydebank, s’engageant à favoriser la mise en œuvre de ces itinéraires sur lesquels l'exploitation de navires bas carbone doit être favorisée par des mesures publiques et privées.
« La courte distance entre les côtes anglaises et françaises constitue un laboratoire pour expérimenter des solutions », s'enthousiasme Benoît Rochet.
Adeline Descamps