Les annonces s’enchâssent. Les japonais en avaient ces derniers temps l’initiative. Cette fois, ce sont les sud-coréens qui dévoilent leur projet de navire de transport de CO2 liquéfié. Capter le CO2 à la source, le transporter pour le réinjecter dans des process industriels ou le stocker définitivement, génère de l’intérêt. En dépit des freins et des limites.
L'Agence internationale de l'énergie (AIE) en fait une technologie critique pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris contre le réchauffement climatique. Les producteurs de gaz et de pétrole la considèrent comme un moyen de rendre plus vertueuse l'utilisation du gaz naturel afin de produire de l'électricité ou de l'hydrogène. L'Oil and gas climate initiative (OGCI), qui regroupe des géants mondiaux du secteur, en fait même une de ses priorités.
La technologie de la capture et du stockage de CO2 (CSS) génère un engouement certain alors même que de nombreux verrous techniques, réglementaires et financiers restent à lever. La technique, qui consiste à capter le CO2 à la source et le transporter pour le réutiliser (CCUS) ou le stocker définitivement dans des réservoirs géologiques hermétiques, se heurtent par ailleurs à des limites (lieux pour séquestrer le carbone) et essuie les critiques des ONG.
Pour autant, l’idée de séquestrer le CO2 et de l’empêcher de nuire est tentante pour de nombreuses secteurs pris dans une course à la réduction de l’intensité carbone. Est-ce le signe d’une montée en stress quant à l’objectif à devenir des entreprises à émissions nulles d'ici 2050 ? Toujours est-il qu’une opportunité apparaît pour le transport maritime. Les projets de navires de CO2 se multiplient pour se positionner sur le marché de la capture et du stockage de CO2.
De nouvelles opportunités pour les chantiers navals
À son tour, Hyundai Mipo Dockyard Co. et sa société mère Korea Shipbuilding & Offshore Engineering (KSOE) viennent de signer un protocole d'accord avec American Bureau of Shipping (ABS) et le Marshall Island Registry pour développer des pétroliers destinés à transporter du CO2 liquéfié. Ils envisagent de recevoir une approbation de principe (AiP) d'ici la fin de l'année.
Hyundai Mipo, qui possède une expertise dans la construction de transporteurs de gaz, sera chargé de développer les navires et le système de confinement du CO2 liquéfié tandis que KSOE sera responsable de la manutention de la cargaison (CHS). ABS et le registre des îles Marshall examineront si le nouveau navire est conforme aux réglementations internationales et au code international de construction et d'équipement des navires transportant des gaz liquéfiés en vrac (code IGC). C’est ainsi que le communiqué répartit les tâches. « La lutte contre le changement climatique offrira de nouvelles opportunités à l'industrie de la construction navale », assure Hyundai Mipo.
Un besoin pour des navires de grande taille
Il y a quelques jours, la principale compagnie japonaise MOL annonçait l’acquisition d’un spécialiste du transport de CO2, dont les navires-citernes desservent l’Europe et répondent à une demande d’industriels. Les deux entreprises envisagent ensemble des navires de plus grande taille. À l'heure actuelle, la capacité maximale de transport de CO2 liquéfié est d'environ 3 600 m3, soit environ 1 770 t. Les projets de CSC devraient générer, selon eux, des flux bien supérieurs à l’offre de capacités actuellement en service.
Avant elle, en août 2020, le constructeur naval japonais Mitsubishi Heavy Industries, Kawasaki Kisen Kaisha (K Line) et ClassNK avaient présenté une première installation de démonstration de captage de CO2 à petite échelle sur un navire. En février, le même MHI faisait savoir qu’il envisageait de commercialiser d'ici 2025 un navire pour le transport et le stockage du CO2.
En octobre, des majors pétrolières européennes, dont BP, Shell, Total, Equinor, Eni, se sont associées dans des projets visant à développer des infrastructures de transport et de stockage de CO2 en mer du Nord.
L’armateur suédois de pétroliers Stena Bulk s’est associé au consortium Oil and Gas Climate Initiative (OGCI) en vue de réaliser une étude de faisabilité sur le captage du carbone à bord des navires. D'ici la fin 2021, les partenaires du projet devraient commencer à exploiter l'installation et à évaluer les performances du système en conditions réelles. L’expérimentation vise à éprouver l'efficacité et la sécurité des infrastructures de captage de CO2 en mer.
Un avenir pour les « navires à capture de carbone » ?
Des pionniers n’avaient pourtant pas fait recette. D’autres constructeurs se sont employés ces dernières années à développer les nouvelles générations de transporteurs de CO2 liquéfié. En 2010, le projet porté par le sud-coréen HHI et Maersk Tankers avait avorté. L’autre géant sud-coréen DSME avait également développé son prototype mais n’a enregistré aucune commande dans les cinq années suivant son développement.
Les navires à capture de carbone sont-ils l'avenir ? s’interroge le courtier maritime Gibson dans son dernier rapport hebdomadaire. « D'une certaine manière, les prix du carbone dans l'UE pourraient être considérés comme un baromètre de la pression environnementale croissante, non seulement en Europe mais à l'échelle mondiale ». Les crédits du système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE) ont en effet atteint des niveaux record, se négociant à plus de 42 €, soit plus de dix fois plus que la fourchette habituelle de 4 à 8 € observée entre 2012 et 2018.
Plébiscite chez les compagnies pétrolières
Pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, les entreprises américaines, à commencer par les majors pétrolières, s’intéressent à la capture et le stockage du carbone alors que les entreprises européennes sont plus à l’aise avec les énergies renouvelables. Par le biais de sa nouvelle activité ExxonMobil Low Carbon Solutions, la major texane soutient que la « séquestration souterraine est une stratégie de réduction des émissions plus rentable que les véhicules électriques, la tarification du carbone et les technologies à faible émission de carbone. »
Occidental Petroleum fait également du captage du carbone un élément central de sa stratégie de réduction des émissions à long terme et prévoit de construire la première installation à grande échelle au monde pour capter le dioxyde de carbone directement dans l'air et dans le sol, soit pour le stocker ou pour améliorer la récupération du pétrole. Fin janvier, une filiale d'Occidental Petroleum, Oxy Low Carbon Ventures, a livré deux millions de barils de « pétrole neutre en carbone » à Reliance Industries en Inde. Chevron s'es, elle, engagée à augmenter ses dépenses en faveur de la réduction des émissions de carbone pour atteindre plus de 3 Md$ d'ici 2028, dont plus d'un milliard consacré à la capture et au stockage du carbone.
Pour l'instant, le captage du carbone est un processus coûteux, mais si la production est intensifiée, les coûts pourraient baisser considérablement, comme c'est le cas pour les panneaux solaires et les éoliennes. Il ne fait aucun doute que cette technologie a le potentiel de devenir révolutionnaire, non seulement pour les compagnies pétrolières mais aussi pour le transport maritime », veut croire Gibson.
Adeline Descamps