Canal de Panama : quels impacts sur les flux énergétiques et les matières premières ?

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Canal de Panama

Les mesures de restrictions prises par le gestionnaire du canal de Panama se sont rapidement matérialisées par une congestion aux deux extrémités de la voie navigable.

L'avenir incertain du Canal de Panama dans le contexte du réchauffement climatique perturbe le schéma mondial des flux de matières premières. Cela ne sera que le troisième choc depuis 2020, le premier lié à l'épidémie, qui a provoqué un grand tohu bohu dans le sourcing, le second dans la foulée de la guerre en Ukraine, qui a vu le charbon et le pétrole russes basculer à l'Est et le GNL américain se déverser sur l'Union européenne.  

Le canal de Suez, une des routes maritimes les plus empruntées pour rallier l'Asie depuis l'Europe, n'est plus le seul ennemi de Panama, dont le gestionnaire croyait pouvoir se battre à armes plus égales avec la mise à niveau de ses écluses en 2016 qui permet désormais à de grands navires de transiter.

C'était sans compter sur le réchauffement climatique et son acolyte, la sécheresse. L'isthme centraméricain, reliant l'Atlantique au Pacifique, connaît depuis plusieurs semaines une séquence critique avec ses niveaux d'eau à un niveau jamais atteint depuis 2016.

Le changement climatique se traduit depuis quelques années à Panama par une évaporation plus marquée des deux lacs artificiels qui fournissent en eau le système d'écluses – celui d'Alajuela (qui menace la pêche) et du Gatun (trafic maritime).

Pour préserver le capital en eau douce du lac Gatun, qui est aussi la seule source d'eau du pays, l'autorité du canal de Panama a instauré, le 24 mai, un ensemble de mesures visant à contingenter le nombre de passages quotidiens et à abaisser les tirants d'eau.

Elles se sont rapidement matérialisées par une congestion aux deux extrémités de la voie navigable même si la situation s'est nettement améliorée depuis début août où 162 navires étaient amassés aux abords.

Concrètement, les restrictions de tirant d'eau, qui imposent aux navires se délester avant de passer, supposent de faire plus de traversées pour transporter le même volume de marchandises.

Une autre solution consiste à emprunter des « itinéraires bis », tels que le canal de Suez et le cap de Bonne-Espérance, mais avec un allongement du transit-time.

Une situation qui peut « arranger » les transporteurs de conteneurs rattrapés par une surcapacité aiguë dans un environnement de demande en atonie. Mais déranger les exploitants de méthaniers à l'approche des frimas qui vont générer une demande forte en gaz.

« Ces trois situations – attente au canal de Panama, réduction de l'efficacité de la flotte et déplacement sur des itinéraires alternatifs –, réduiront la disponibilité des navires, ce qui entraînera une augmentation des taux de fret », soutient Drewry.

Alors que les premières mesures sont effectives depuis mai, il n'y a pourtant pas eu d'envolées spectaculaires si ce n'est des à-coups en réaction immédiate et sans qu'on puisse les attribuer exclusivement aux déboires du canal.

Effets mineurs sur les transits de brut

Parmi les transporteurs de brut, seuls les panamax (entre 50 000 et 74 999 tpl) et les handysize (38 000 à 49 999 tpl) peuvent transiter par le canal.

Sur une flotte de 2 279 navires, ce sont donc 118 navires, soit 5,1 % de la flotte, qui peuvent être potentiellement impactés. Entre 2020 et 2022, environ 6,4 Mt de pétrole brut ont été expédiées par le canal selon les données officielles, ce qui représente à peine 3,4 % du commerce total du sud de l'Atlantique vers le Pacifique et moins de 1,1 % des échanges commerciaux sur la route du nord. Durant la même période, 2,13 milliards de tonnes de brut ont été transportés par la mer.

De ce point de vue, Panama n'est donc pas indispensable au transport maritime de pétrole.

C'est moins vrai pour les exportations américaines de produits raffinés (diesel, essence, naphta, kérosène). Plus de 80 % ont pour destination l'Amérique latine, dont un tiers a été livré à la côte pacifique de l'Amérique latine en 2022 (Chili, Pérou, Équateur et Salvador) via le canal de Panama.

En revanche, pour les destinations asiatiques, Panama est aussi dispensable. Les navires peuvent passer par Suez ou la pointe sud de l'Afrique.

Impacts minimisés pour le transport de GNL en raison d'un cas de force majeure

Le canal de Panama est un passage stratégique essentiel pour le transport maritime de GNL de la côte américaine du Golfe vers l'Asie, ne serait-ce que pour son transit-time défiant toute concurrence.

En moyenne, un méthanier effectue en 25 jours la traversée entre la côte américaine du Golfe et le Japon lorsqu'il passe par Panama mais 38 jours s''il transite via le canal de Suez. Le coût est également inférieur.

En 2021, quelque 540 méthaniers ont emprunté le canal de Panama mais seulement 374 en 2022 du fait d'un basculement des flux commerciaux dans le contexte de la guerre en Ukraine. Cela s'est matérialisé par une forte augmentation des exportations de GNL américain en Europe, réduisant le mouvement des méthaniers entre le canal de Panama et le bassin du Pacifique.

Cette reconfiguration des flux explique en partie pourquoi le transport maritime de GNL ne semble pas impacté par la situation du canal.

« Au 12 septembre 2023, les cargaisons américaines à destination de l'Asie utilisent toujours la route du Panama, mais empruntent de plus en plus le canal de Suez pour le trajet de l'Est », relève Drewry, estimant que la situation peut toutefois évoluer rapidement dans un sens moins favorable si les mouvements sociaux en Australie s'exacerbent.

Des répercussions sur le transport de GPL ?

Les VLGS (very large gas carrier) transitent par Panama car c'est le chemin le plus court pour les principaux échanges de GPL entre les États-Unis et l'Asie.

Dans un contexte favorable d'arbitrage des prix entre les États-Unis et l'Asie et de reprise dans le secteur pétrochimique asiatique, les exploitants de VLGS semblent préférer le canal de Suez, en particulier pour les trajets de ballast.

« Bien qu'il y ait des signes d'affaiblissement de la demande asiatique, les restrictions au canal de Panama ont stabilisé le marché avec des tarifs d'affrètement toujours en hausse. Nous nous attendons à ce que la réduction de l'offre de navires, contrainte par des itinéraires plus longs, soit de bon augure pour le secteur, en dépit de la conjoncture du secteur pétrochimique asiatique », rassure encore Drewry.

Une incidence particulière sur le vrac sec ?

Quant au vrac, après avoir baissé pendant trois mois consécutifs, les tarifs d'affrètement des vraquiers se sont améliorés pour les capesize en août, ce qui peut être en partie attribué à la congestion accrue du canal de Panama. Durant la pandémie, la congestion, réduisant l'offre disponible, a montré combien elle était déterminante dans la montée des taux de fret.

Or, le nombre de navires en attente dans la région du Panama a considérablement augmenté en août 2023. Le temps de transit également avec une moyenne de 10 jours contre trois à la même période l'année dernière. Certains ont même mis 16 jours pour traverser.

Le canal de Panama reste un point stratégique, à la croisée de plusieurs routes commerciales pour le marché du vrac sec.

Alors qu'une grande partie des échanges en Amérique latine passe par le canal (comme le charbon de la Colombie vers le Chili et le Pérou), les navires des itinéraires long-courriers (États-Unis-Chine par exemple) empruntent également ce passage. Il est ainsi par exemple des exportations de soja américain, dont la saison est imminente.

En outre, l'importation par l'UE de métaux comme le lithium et le cuivre en provenance du Chili et du Pérou passent aussi par ce choke point.

« Cela pourrait avoir un impact sur les schémas commerciaux », anticipe Drewry, qui songe à des transferts dans le sourcing, un pays se substituant à un autre.

Un autre tobu-bohu dans les flux à venir ? Cela ne sera que le troisième depuis 2020. Le premier était lié à l'épidémie, qui a provoqué une reconfiguration des routes pour les trafics de charbon, de pétrole ou encore de minerai de fer...

Le second découle de la guerre en Ukraine, qui a vu le charbon et le pétrole russes basculer à l'Est vers l'Inde et la Chine et le GNL américain se détourner de l'Asie pour servir l'Union européenne, privée de son fournisseur historique en guerre.

Ce dernier mouvement s'est opéré au détriment des gazoducs mais au profit des méthaniers.

Adeline Descamps

 

 

 

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