Bien qu’elle soit programmée depuis 2018, la ratification par le Bangladesh de la convention de Hong Kong (HCK) sur le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires, selon l'intitulé du texte, est un événement en soi. Car de son application dépend l’entrée en vigueur d’un traité international adopté par l'OMI en 2009.
Il reste quelques formalités à remplir mais toutes les parties prenantes n’ont jamais été si proches d’un « Alléluia » à savoir une entrée en vigueur à l'échelle mondiale.
Première destination mondiale pour le démantèlement des navires, le Bangladesh est le deuxième des trois grands pays recycleurs à rejoindre la Convention après l’Inde en 2019.
Il restera le Pakistan, placé hors-jeu du marché depuis quelques mois en raison de prix non compétitifs et de perspectives financières et politiques précaires, indique GMS, le premier acheteur au comptant de navires pour la ferraille.
En préparation depuis 5 ans
Le Bangladesh s'y prépare depuis novembre 2018, date à laquelle une nouvelle législation sur le recyclage des navires a été votée au niveau national tandis que le pays s’est engagé dans le programme Sensrec (Safe and Environmentally Sound Ship Recycling in Bangladesh) l'accompagnant dans les réformes nécessaires (juridiques, politiques…).
Certains chantiers sont engagés, il y a plusieurs années déjà, dans une démarche d’amélioration continue de sécurité. En 2019, PHP Shipbreaking and Recycling Industries of Bangladesh a ainsi recyclé un premier navire conformément à la Convention de Hong Kong.
Mais selon l’ONG Shipbreaking Platform, qui fait autorité sur le sujet, du moins du point de vue d’un recensement, il y a encore plus d'une centaine de chantiers loin des normes réglementaires.
Sur 92 navires démantelés, 78 en Asie
L’Inde et ses chantiers (Alang, Sosiya, Gujarat) pourvoyeurs de 60 000 emplois, le Bangladesh (Shitakund, Chattogram ; 40 000 emplois) et le Pakistan (Gadani, Baluchistan ; 20 000 emplois) représentent 80 % du marché mondial de la déconstruction (en port en lourd).
En avril, dernières données disponibles relevées par l'association, sur les 92 navires démantelés, 78 l’ont été dans les trois pays asiatiques (35 au Bangladesh, 37 en Inde et 6 au Pakistan) contre 18 en Europe et six en Turquie. Pourtant, le Règlement de l'Union européenne sur le recyclage des navires (EU SRR) impose que les navires battant pavillon d’un État membre s'adressent à un site agrée par l’UE dont la liste ne compte pas de chantiers asiatiques.
Quatre pays recycleurs
L'Inde, la Turquie (tous deux sont également de grands producteurs d'acier), le Bangladesh et le Pakistan, ont ainsi démantelé 96 % de la capacité de port en lourd et 77 % des navires au cours des cinq dernières années, selon le Bimco, principale association d’armateurs au niveau mondial.
Outre leur puissance de feu, les trois pays phares en Asie pour la vente à la casse sont dans la ligne de mire de nombreuses associations en raison des conditions de travail dangereuses et précaires, proposées sans formation, équipements de sécurité et d’accès aux services médicaux tandis que les normes environnementales sont complètement négligées.
Selon Shipbreaking Platform, les travailleurs – souvent des migrants exploités –, sont exposés à conditions de travail « qui tuent, blessent ou rendent malades à cause de l'exposition aux incendies, aux plaques d’acier qui tombent et aux substances toxiques ».
En 2022, au Bangladesh, une dizaine de personnes ont perdu la vie, parfois en dehors du temps de travail légal, et 33 autres ont été blessés lors des opérations sur la plage de Chattogram. Des sources locales ont également fait état de trois morts à Alang, en Inde, et de trois blessés à Gadani, au Pakistan.
Certains de ces accidents ont eu lieu à bord de navires appartenant à des compagnies maritimes occidentales réputées.
Une plaie pour les grandes organisations
Des lois sur l'environnement et le travail régissent le recyclage des navires mais, dénoncent les ONG, elles sont ignorées et facilement contournées par les armateurs, souvent avec l'aide d'acheteurs au comptant. « Ces derniers paient le prix le plus élevé pour les navires en fin de vie et, en général, les renomment, les réenregistrent et leur donnent un nouveau pavillon lors de leur dernier voyage vers les chantiers ».
Changement de pavillon quelques semaines avant l'échouage
Plus de la moitié des navires vendus à l'Asie du Sud en 2022 auraient ainsi changé de pavillon pour adopter des registres moins regardants, quelques semaines seulement avant de rejoindre les plages d'échouage.
« Au moins huit de ces changements de pavillon ont permis aux armateurs de contourner le règlement européen sur le recyclage des navires », poursuit l'association, qui demande l'introduction de mesures qui tiennent les propriétaires réels des navires pour responsables dans leurs propres juridictions, quels que soient les pavillons utilisés et les ports de départ pour la démolition.
Des capacités de recyclage en défaut en Europe ?
Face à ces pratiques, les armateurs qui respectent les règles du jeu considère que l'entrée en vigueur de la Convention internationale de Hong Kong est la solution dans la mesure où des normes universelles seraient respectées dans tous les chantiers. Ceux qui y satisfont pourront ainsi s’ajouter à la liste des chantiers agréés de l'UE.
« Il sera alors possible de se tourner de plus en plus vers ces installations et d'augmenter la capacité mondiale de recyclage, qui fait cruellement défaut », soutient le Bimco.
La clé, c'est Hong Kong
Adopté en mai 2009, ouvert à la signature le 1er septembre de la même année, la convention internationale de Hong Kong, rédigée sous l'égide de l'OMI, d’ONG, de l'Organisation internationale du travail (OIT) et des parties prenantes de la Convention de Bâle, n'a jamais pu être ratifiée jusqu'à présent, faute du quorum fixé atteint.
Pour être promulgué, le texte doit être signé par 15 États représentant au moins 40 % de la flotte mondiale de navires de commerce et 3 % du tonnage de recyclage des dix années précédentes.
Une fois ce seuil atteint, il sera appliqué deux ans après. Sans le Bangladesh, les 20 pays qui y adhèrent actuellement représentant un peu plus de 30 %. Il est donc en mesure de débloquer l'entrée en vigueur.
Des conditions à remplir accessibles ?
Si sa candidature est acceptée, elle exigera des installations de recyclage des navires une autorisation d'exploitation et une licence d'importation des navires. Chaque navire entrant devra faire l’objet d’un plan de recyclage conditionnant l’obtention d’un « Certificat de recyclage prêt à l'emploi ».
Pour rappel, le traité international interdit ou limite l’utilisation de matières potentiellement dangereuses, les navires en fin de vie étant considérés comme des déchets. Les armateurs sont ainsi tenus de fournir aux chantiers de démantèlement un inventaire précis sur la présence d’amiante, métaux lourds, hydrocarbures, etc.
Les chantiers de recyclage de navires ont obligation d’établir un « plan de recyclage », précisant la manière dont chaque navire sera recyclé, en fonction de ses caractéristiques propres et des critères de sa dangerosité, « dans le respect de la sécurité des employés et de la protection de l’environnement ».
« À l'avenir, on s'attend à ce que le nombre de navires à démanteler augmente considérablement, indique Ingvild Jenssen, fondatrice de l'ONG Shipbreaking Platform. L'importance croissante accordée à l’économie circulaire et l’urgence à réduire les émissions de carbone offrent des opportunités pour transformer le secteur. Des politiques favorisent déjà l'accès à la ferraille pour la production d'acier vert. Des solutions propres sont disponibles et des innovations permettent aussi de rendre le recyclage durable des navires plus rentable », soutient la militante qui appelle les propriétaires de navires, « en particulier les grandes compagnies de porte-conteneurs qui auront de nombreux navires à démolir en 2023, à soutenir la transition des chantiers d'échouage ».
15 000 navires éligibles à la casse
« Au cours des dix prochaines années, de 2023 à 2032, plus de 15 000 navires d'un port en lourd de plus de 600 Mtpl devraient être recyclés, soit plus du double de la quantité recyclée au cours des dix années précédentes », assure Niels Rasmussen, analyste en chef du transport maritime au Bimco.
Beaucoup d'entre eux seront poussés vers la porte de sortie en raison des normes réglementaires de plus en plus exigeantes face à l'urgence climatique.
Adeline Descamps
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Les années se suivent et se ressemblent dans le recyclage
2022 n'a pas fait exception et le tonnage envoyé à la démolition est resté à des niveaux modérés, à quelque 10 millions de tpl (Mtpl), le plus bas depuis plus d'une décennie, indique BRS dans son dernier rapport annuel. Il se trouve de facto bien en dessous de la moyenne décennale de 29 Mtpl. Soit moins de 0,5 % du total de la flotte marchande en service.
Le durcissement de la législation environnementale et la hausse des coûts de l'acier, observés l'an dernier, n'auront eu aucun effet, les considérations de marché (des taux de fret historiques) ayant primé.
Le segment des pétroliers a été le plus actif dans la démolition avec 6,2 Mtpl, en baisse par rapport aux 12,3 Mtpl en 2021, devant les vraquiers (3,1 Mtpl versus 7,3 Mtpl en 2021), bien en dessous de la moyenne décennale de 15,1 Mtpl. Logiquement, il y a eu très peu de recyclage des porte-conteneurs, où un seul navire a été envoyé à la casse en 2022. Un inédit.
Les prix de la tonne à la ferraille ont pourtant fortement augmenté en 2022 pour atteindre des niveaux sans précédent : 582 $/tpl pour les vraquiers , 612 $ pour les pétrolies et 622 $ pour les porte-conteneurs.
En 2023, BRS estime que guère plus de 20 Mtpl seront envoyés à la casse.
A.D