Un ministre enchâsse un autre. Un Breton en chasse un autre. Le secrétaire d’État à la Mer et à la Biodiversité sortant du gouvernement Attal, Hervé Berville, a précédé à l’Académie de Marine, qui faisait sa rentrée solennelle mercredi 9 octobre, le ministre de la Mer délégué à la Mer entrant dans l'exécutif bleu cobalt de Michel Barnier.
Fabrice Loher, maire de Lorient depuis 2020, entretient ainsi cette tradition politique qui fait de la Bretagne une machine à fabriquer des ministres de la Mer. Hervé Berville est député des Côtes-d'Armor depuis 2017 et Jean-Yves le Drian, qui fut maire de Lorient avant l’actuel ministre délégué à la Mer, fut un éphémère secrétaire d'État à la Mer (1991-1992) dans le gouvernement d’Édith Cresson et un ministre de la Défense pendant cinq ans (et un jour), survivant à trois ministres. « Il a porté en quelque sorte la voix de la mer en incarnant la marine nationale et montré qu'un jour ou l'autre le maire de Lorient peut accéder à des responsabilités comme celle-là », lui a rendu hommage Fabrice Loher. Il n'est plus aux affaires maritimes, Jean-Yves Le Drian, tout comme Dominique Bussereau, un ancien ministre des Transports, charentais pour sa part, ne manquent jamais un rendez-vous de la profession. Annoncé, Jean-Yves Le Drian a dû y renoncer cette fois, rattrapé par le Covid mais le second était bien là.
L’événement de l’institution, qui a vu le président en fin de mandat Alain Bovis remettre les clés à son successeur Jean-Emmanuel Sauvée, se tenait à l’École militaire, monumental ensemble du XVIIIe siècle d’inspiration antique planté dans le 7e arrondissement de Paris.
Aucune mention du contexte pesant
Dans leur discours de circonstance devant les « éminents membres de l’académie », ni le titulaire sortant du portefeuille de la Mer ni le récipiendaire à peine en poste n’ont fait mention du contexte budgétairement pesant qui fait planer la menace d’un coup de rabot sur les acquis fiscaux du secteur.
Certes, ils s’exprimaient devant le parterre bienveillant d’une institution qui a vocation à éclairer par ses travaux savants les enjeux du secteur. Mais ils ont eu tendance à oublier qu’ils avaient aussi face à eux des acteurs-citoyens initiés à qui il ne s’agit pas non plus de conter l’histoire autrement.
Le sémillant Hervé Berville promettait un bilan de ses deux années en tant que chargé de la Mer (4 juillet 2022-11 janvier 2024, rattaché au Premier ministre Élisabeth Borne), avec la Biodiversité en prime à l'occasion d'un remaniement (8 février 2024-21 septembre 2024, rattaché au ministère de la Transition écologique de Christophe Béchu dans le gouvernement Attal). En 30 minutes et une fraction de secondes, il aura confirmé qu’un homme politique français ne sait pas dresser un bilan sans circonstances atténuantes.
Étrangement, alors qu’il fut particulièrement réactif pour répondre au débotté à l’activisme du député finistérien Didier Le Gac s'étant emparant du sujet du dumping social en transmanche, il n’en a quasiment pas fait mention. Pourtant, la promulgation de la loi dite Le Gac en juillet 2023 contre le dumping social fait partie des grandes satisfactions sociales du secteur du transport maritime.
Diplomatique maritime
En lieu et place, il a centré son propos sur la protection des océans comme vecteur de la diplomatie maritime. À l’image en somme du tropisme de son mandat finalement alors que son prédécesseur, Annick Girardin, titulaire d’un ministère de plein droit dont le secteur n’avait pas été gratifié depuis les années Mitterrand avec Louis Le Pensec (un autre breton), avait une fibre plus « armateurs ».
« J'ai eu la chance d’être nommé en 2022, une année assez exceptionnelle pour les sujets maritimes, a introduit Hervé Berville. Elle s’est ouverte sur la tenue du premier Ocean one summit à Brest voulu par le président Macron pour rallier un certain nombre d'États à la nécessité de protéger nos océans, dont dépend la réponse mondiale aux défis du dérèglement climatique et à la protection de la biodiversité. Mais il en a aussi fait un outil pour développer une culture maritime commune ».
Cohérence d'action de l'État
Il s’attardera aussi sur la création de la DGAmpa, la direction générale des Affaires maritimes, de la Pêche et de l'Aquaculture (Eric Banel qui l’incarne était dans l’auditorium). Elle a permis « de donner une cohérence à l'organisation de l'État, d’action et de moyens pour pouvoir agir sur tous les sujets relatifs à la planification maritime et au développement de l'économie maritime. Je pense qu'on aurait pu aller plus loin et créer une véritable Direction générale de la Mer », regrette-t-il.
Il ne dira rien en revanche du détricotage qui s'annonce. Dans l’actuel gouvernement, la Mer et la Pêche (Fabrice Loher) comme les Transports (François Durovray) deviennent des ministères délégués placés auprès du ministère du Partenariat avec les territoires et de la décentralisation. Les conséquences pour les administrations centrales restent à apprécier.
Un contexte géopolitique particulier
Difficile aussi de ne pas mentionner le contexte géopolitique particulier dans lequel Hervé Berville a été plongé : la guerre en Ukraine qui a imposé un blocus maritime en mer Noire, un conflit latent entre les États-Unis et la Chine qui met sous pression le commerce maritime, de lourdes menaces non diffuses en mer de Chine, l'escalade des tensions au Moyen-Orient qui rend la mer Rouge inhospitalière pour les navires marchands.
« Le contexte a placé le sujet maritime au cœur de la question de la souveraineté nationale. Nous ne pouvons pas renforcer notre indépendance économique et énergétique si nous ne prenons pas en compte le fait maritime dans la mesure où 80 % du commerce mondial se fait à travers les océans, 90 % de ce que nous avons dans nos smartphone transitent par des câbles sous-marins et qu’une une grande partie de l'alimentation mondiale dépend de la ressource maritime », déroule le député dont on connaît la capacité à tenir un discours sans notes en distillant ici et là quelques gentillesses à l’adresse de ses anciens obligés.
À cet endroit, il ne reviendra pas sur les laborieuses avancées de la flotte stratégique dont certains armateurs attendent toujours la concrétisation. L’outil qui vise à « assurer les approvisionnements, maîtriser les flux du commerce extérieur et garantir notre indépendance énergétique », est inscrit dans la loi Économie bleue de 2016. L’engagement est aussi marqué dans le Code de la Défense de 2017 mais son application est marbrée.
Ce concept désigne ces navires que l’on dit essentiels car ils transportent des matières premières vitales à l’approvisionnement du pays ou parce qu’ils remplissent une fonction cardinale, à savoir des vraquiers pour les céréales ou le minerai de fer, des câbliers, des SOV pour les éoliennes ou encore des navires de recherche. Le retour d’une conflictualité exacerbée a remis le dossier en haut de la pile et fait l'objet d'un rapport confié au député du Var, Yannick Chenevard, par Élisabeth Borne. Livré, le rapport semble avoir été rangé dans un tiroir.
Hervé Berville se félicite par ailleurs de l’action menée contre la pêche illégale et la montée en puissance des capacités militaires de la France pour protéger sa ZEE, zone économique exclusive, deuxième plus grande au monde. « En Polynésie française, nous n’avions aucun patrouilleur alors qu’il y a des navires chinois qui viennent très près de notre ZEE et profitent de notre absence pour puiser dans nos ressources. La France a plaidé, notamment au sein du G7, pour développer une stratégie commune de lutte contre la pêche illégale ».
En grande Breton, il a fait de la pêche un de ses grands sujets de discussion, tenant parfois des positions qui l’ont exposé (polémique autour du chalutage de fond dans les aires marines protégées, soit 12 % des eaux de l’Union européenne).
Maritimisation de l'économie
Il terminera son propos sur le thème de « la maritimisation de l'économie ». Des propos resserrés sur l’exercice de planification à grande échelle – « inédit » et mené en même temps sur l’ensemble des façades maritimes de l’Hexagone –, destiné à définir d'ici 2040 « les espaces où nous allons renforcer la protection, déployer des énergies marines renouvelables, ou d'autres types d'activités ».
Après s’être étiré dans la durée, concertation publique oblige, le chantier amorcé en 2022 vient de s’achever. Cette entreprise « a démontré que la mer est cet endroit qu'il faut vraiment encadrer car y cohabitent des usages contraires, entre pêcheurs, ONG, énergéticiens, collectivités… », signifie-t-il. « Nous avons réussi à tenir à ce triple objectif, à la fois de protéger 30 % de l'espace maritime, de définir des zones où vont être déployés 40 GW d'énergies marines renouvelables d'ici 2040, et d’autres réservés à la pêche et à l’ostréiculture pour assurer la souveraineté alimentaire de notre pays ».
Cette aventure autour des énergies maritimes renouvelables, qu’il considère être de nature industrielle, territoriale, technologique et scientifique, « j’ai voulu en faire un enjeu industriel, de création d'emplois, de réindustrialisation, de mise à niveau des compétences. Nous devons le faire en Européen pour ne pas dépendre de technologies alternatives que nous ne maîtrisons pas ».
Un fonds doté de 1,5 Md€ avec le secteur privé, rappelle-t-il doit stimuler le déploiement de ces technologies afin de « mettre à l'eau, le plus rapidement possible, des navires carburant avec autre chose que de l'énergie fossile, en complément avec la relance de la propulsion à la voile ».
L’ex-ministre fait référence à une enveloppe de 300 M€ annoncé lors des Assises de la mer en 2022 dans le cadre de la démarche France Mer 2030, espérant générer des fonds privés en vue de constituer un fonds d’investissement maritime. Le même jour, CMA CGM s’était engagé à y abonder à hauteur de 200 M€ ponctionné sur son Fonds Énergies, doté de 1,5 Md€ sur cinq ans. En avril, l’armateur français a détaillé la façon dont sa participation serait gérée par la banque publique d'investissement Bpifrance (détails ici : Fonds de dotation maritime : CMA CGM précise les contours, la répartition et sa gestion).
Exacerbation des antagonismes entre blocs
Les « années Berville » auront été aussi celle de l’exacerbation des antagonismes entre grands blocs. « Si le maritime est souvent perçu comme un sujet de conflictualité, il peut aussi fédérer et amener un certain nombre d'États à s'entendre pour établir des règles juridiquement contraignantes et protectrices », préfère retenir l'ex-ministre.
Il en veut pour preuve une grande avancée en faveur d'un traité pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine (BBNJ), signé par 90 États membres de l’ONU mais pour être promulgué, 60 d’entre eux doivent encore l’approuver dans une loi nationale. « Avec l’Allemagne, nous avons relancé le processus de négociation qui stagnait depuis 15 ans. Pour la première fois, nous allons pouvoir créer des aires marines protégées dans des zones de quasi-non-droit mais où transitent plus de 80 % du trafic international de marchandises. Et nous allons pouvoir le faire à la majorité qualifiée ». La performance est en effet d’être parvenue à enrôler des pays comme la Chine, l'Inde, ou l'Arabie saoudite.
Pour lui, le moratoire sur l’exploitation minière des fonds sous-marins est une autre victoire. Une décision qui a suscité des polémiques. « Nous ne connaissons que 2 % des grands fonds marins. Il se peut qu'ils regorgent de ressources marines et génétiques bien plus précieuses pour l'avenir de l'humanité que les éléments qui ne seraient finalement pas si nécessaires que cela à la transition ». De quatre pays favorables au moratoire en 2022, ils sont désormais 28.
C’est dans ce contexte de « diplomatie maritime et environnementale » que la France prépare la Conférence des Nations unies à Nice en 2025 « avec cette triple ambition d’imposer notre pays comme une puissance maritime exemplaire, une nation scientifique et industrielle avec en prime une vraie culture de marins ».
Adeline Descamps