Il ne s'agit pour l'heure que d'une estimation, préviennent-ils, mais elle donne une petite idée de la répercussion de la feuille de route climatique européenne sur le coût pour transporter un conteneur sous le régime du marché carbone européen.
CMA CGM, Maersk et Hapag-Lloyd ont publié, l'un après l'autre, leurs estimations sur les surcharges prévues dès cette année pour certains des principaux trafics impactés. (cf.tableau).
Ces tarifs sont donnés à titre indicatif, prévient Hapag-Lloyd. « Il s’agit d’une illustration, basée sur la valeur actuelle du marché des quotas de carbone, de 90 € par tonne de CO2, car la surtaxe ETS, ses méthodologies et son prix estimé, sont susceptibles de changer ».
Surcharge estimée par CMA CGM, Maersk et Hapag-Lloyd pour le conteneur dry au titre de l’intégration du transport maritime dans le SCEQE (en euros). ©JMM
Volatilité du carbone
« Le coût de la mise en conformité devrait être important et continuera d'augmenter avec la mise en œuvre progressive. Il sera répercuté sous la forme d'une surtaxe indépendante appelée "surtaxe sur les émissions" appliquée à toutes les réservations du voyage qui seront soumises au système d'échange de quotas d'émission », expliquent les services commerciaux de Maersk.
Dans un avis client intitulé : « Préparer l'application du système d'échange de quotas d'émission de l'UE au transport maritime », CMA CGM explique aussi pourquoi et comment l’entrée dans le marché carbone européen va se matérialiser par une surcharge applicable à tous les conteneurs chargés.
« Le montant de la surcharge sera communiqué mi-novembre et pourra être revu trimestriellement, en fonction de la version actualisée de la réglementation européenne ETS et de la valeur de marché des quotas de carbone », indique l’armateur français.
« On s'attend à ce que la volatilité des quotas de l'Union européenne (EUA) échangés dans le cadre du SCEQE augmente en raison de facteurs liés à l'offre et à la demande. Par conséquent, la surtaxe sur les émissions sera mise à jour tous les trimestres pour s'aligner sur les changements de prix de l'EUA », précise pour sa part Maersk, qui prévoit de publier la surcharge d'émissions réelle avec un préavis minimum de 30 jours avant la date effective de mise en œuvre.
Surcharge estimée par CMA CGM, Maersk et Hapag-Lloyd pour le conteneur reefer au titre de l’intégration du transport maritime dans le SCEQE (en euros). ©JMM
Le grand saut vers l'inconnu
Dans quelques mois, à partir du 1er janvier 2024, le transport maritime va entrer dans sa première année au sein du SCEQE, le système communautaire d'échange de quotas d'émission, qui concernait jusqu'à présent les secteurs à forte consommation d'énergie, tels que la production d'électricité et les industries.
Concrètement, le mécanisme d'échange des émissions de gaz à effet de serre (GES) vise à fixer une limite, ou un plafond, aux émissions de GES générées par certaines activités. Chaque année, un nombre limité de quotas européens (EUA) sera mis à disposition des échanges sur le marché et réduit chaque année afin que l'UE atteigne son objectif de réduction de 55 % des émissions de GES d'ici 2030 par rapport à 1990, et de zéro net d'ici 2050.
En décembre 2022, les organes législatifs européens sont parvenus à un accord provisoire visant à étendre progressivement le SCEQE au transport maritime. Cet accord a ensuite été adopté le 16 mai 2023.
Il a été convenu que les compagnies maritimes devront soumettre des quotas équivalents à 40 % de leurs émissions en 2024 puis 70 % en 2025 et 100 % en 2026.
Le méthane aussi...
Ces règles s'appliquent aux navires de charge et aux navires à passagers de plus de 5 000 de jauge brute (GT) à partir de 2024 et aux navires offshore de plus de 5 000 GT à partir de 2027.
Le SCEQE couvrira dans un premier temps les émissions de dioxyde de carbone, puis sera étendu au méthane et au protoxyde d'azote à partir de 2026.
Les plus petites unités, de 400 à 5 000 GT, seront également tenues de déclarer leurs émissions et pourraient être intégrés au marché carbone à un stade ultérieur.
Dans le détail, la totalité des émissions générées lors des voyages et des escales au sein de l'Union européenne et de l’espace économique européen (composé des États membres de l'UE, de l'Islande, du Liechtenstein et de la Norvège) et 50 % des émissions lors des voyages à destination ou en provenance de l'UE/EEE, seront soumises au SCEQE.
Comportement d'évasion
Afin d'éviter les comportements d’évasion, les porte-conteneurs escalant dans des ports de transbordement situés en dehors du périmètre mais à moins de 300 milles nautiques (550 km) d'un port de l'UE/EEE seront tenus d’inclure la moitié des émissions jusqu'à ce port, plutôt que de se limiter au court trajet depuis le port de transbordement. La liste des ports considérés par le transbordement doit encore être publiée.
Les exploitants de navires devront donc surveiller et déclarer leurs émissions et restituer des quotas pour chaque tonne de CO2e qu'ils émettent.
Les compagnies maritimes sont déjà tenues de surveiller, de déclarer et de vérifier les émissions de GES sur une base annuelle en vertu du règlement MRV de l'UE, et ces informations seront utilisées pour déterminer les quotas qu'elles doivent restituer.
Entre 80 et plus de 100 € pour la seule année 2023
Les quotas d'émission pourront être achetés (1 tonne de CO2 = 1 quota SCEQE) à un prix fixe lors de ventes aux enchères organisées plusieurs fois par an par la Bourse européenne de l'énergie (EEX) au nom de l'UE. Ils ont oscillé entre 80 et plus de 100 € pour la seule année 2023.
Ils peuvent également être commercialisés sur le marché secondaire par l'intermédiaire de courtiers ou de plateformes de négociation en ligne et être échangés sur différentes bourses et sur des marchés de gré à gré, l'offre et de la demande dictant les prix.
Il est par ailleurs possible de mettre en réserve des EUA pour les utiliser dans les années à venir. « Cela peut s'avérer utile si l’exploitant de navires prévoit des émissions plus importantes à l'avenir et qu’il veut s’assurer disposer de suffisamment de quotas pour compenser ces émissions », décrypte DNV, qui vient de publier une note sur le fonctionnement de ce marché.
Dérogations et exemptions
Dans ce document, on peut y lire la liste des dérogations et exemptions concernant notamment les navires super Ice ; les caboteurs entre les petites îles d'un État membre de moins de 200 000 habitants sans liaison routière ; les navires sous obligation de service public transnationale (limitée aux connexions entre un État membre sans frontière terrestre avec l'État membre le plus proche géographiquement, comme la connexion maritime entre Chypre et la Grèce), les voyages entre le port de la région ultrapériphérique d'un État membre et un autre port du même État membre.
Des amendes pour sanctions
Les entreprises qui ne restituent pas les quotas sont passibles d'une amende pour émissions excédentaires de 100 €/t e de CO2 tout en étant tenues de restituer les quotas requis. La non-conformité pendant au moins deux périodes consécutives peut valoir une exclusion de l'EEE/l'UE pour tous les navires dont elles sont responsables.
Un impact sur la tarification
L'achat et la restitution de quotas d'émission dans le cadre du SCEQE auront donc un coût qui sera inévitablement répercuté dans la structure du prix.
OceanScore estime ainsi que le SCEQE pourrait représenter un coût supplémentaire pour le transport maritime compris entre 8 et 10 Md€ par an une fois qu'il sera pleinement mis en œuvre en 2026 après une période d'introduction progressive de trois ans, en fonction d'un prix de marché fluctuant qui est actuellement d'environ 90 € pour un quota d'émission couvrant les émissions d'une tonne d'équivalent CO2.
Pas de principe pollueur-payeur entre l'armateur et l'affréteur
La répercussion des coûts sur l'affréteur, comme l’exigerait le principe du « pollueur-payeur », a fait l’objet d’âpres négociations en raison d'éventuels litiges sur les volumes. « L'échange de quotas d'émission dans le secteur du transport maritime est plus complexe que dans l'industrie terrestre, car de nombreuses parties prenantes sont impliquées », indique encore OceanScore.
Après des mois de négociations, le BIMCO, une des plus grandes fédérations d’exploitants de navires, est parvenu à définir une clause contractuelle avec des conditions standard pour le règlement des transactions liées au coût des quotas. Cette clause vise à protéger les armateurs des conséquences des émissions de GES encourues par les affréteurs dans le cadre de l'exploitation des navires.
Les transporteurs allemand et danois ont rappelé que les chargeurs qui utilisent leurs programmes de carburant vert – ECO delivery de Maersk et Ship Green de Hapag-Lloyd –, ne seraient pas soumis à une surtaxe ETS...
Adeline Descamps
Lire aussi
Exploitants ou affréteurs de navires : qui doit payer pour les émissions de CO2 ?
ITF/OCDE : la tarification du carbone est-elle applicable au transport maritime ?
Europe : un accord ambitieux sur la décarbonation du transport maritime qui oblige l’OMI
Comment la filière maritime et portuaire française compte se décarboner
Union européenne : acte final pour la réforme du carbone
Le projet de règlement de Bruxelles sur les technologies vertes fait réagir les armateurs européens