Flotte fantôme : changement de paradigme dans les sanctions en Europe

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Des simples considérations énergétiques à l'appréhension du problème sous l'angle de la sécurité et de l'environnement. Une révolution s'opère chez les Vingt-Sept. Une résolution du parlement européen demande que les navires de la flotte fantôme soient interdits d'accès aux eaux de l'UE, qu'ils prouvent leur couverture d'assurance, que les cargaisons illégales soient saisies sans compensation.
 

La flotte clandestine de navires, aux affaires pour le transport du pétrole russe sous sanction, met à l’épreuve la politique européenne dans sa capacité à faire appliquer ses sanctions, teste l’OMI dans sa volonté à réprimer une menace immédiate pour l'environnement et la sécurité de navigation et nargue Donald Trump qui devrait réactiver sa pression sur l’Iran et ses exportations de pétrole.

Pour mémoire, afin d'entraver la capacité financière de la Russie, qu’elle tire de ses revenus pétroliers en grande partie, et son aptitude à financer la guerre en Ukraine, l'UE et le G7 ont fixé un plafond de prix pour le pétrole russe en 2022, à 60 $ le baril. Pour contourner cette sanction, Moscou a investi, selon l’UE, pas moins de 10 Md€ dans une flotte de pétroliers (source de cette donnée mal renseignée), principalement contrôlée par des intérêts étatiques russes, iraniens voire chinois.

Ces sociétés ont acquis un grand nombre de navires anciens dans le cadre de transactions de seconde main par l'intermédiaire de sociétés opaques, souvent basées dans des pays tiers tels que les Émirats arabes unis. Quant à leur classification et assurance, elles relèvent de structures non agréées tandis que les navires naviguent sous des pavillons peu soucieux des normes les plus élevées, celles du MoU de Paris.

Projet de résolution européen

Si la flotte clandestine œuvre depuis des années pour le transport de pétrole de pays comme l'Iran et le Venezuela, celle opérant pour les intérêts russes se distinguerait par son ampleur (586 navires) et sa sophistication pour dissimuler l’origine – transferts de navire en navire en haute-mer (STS), au cours desquels le brut est souvent mélangé, désactivation des transpondeurs du système d'identification automatique (AIS)…–, et la destination (Inde et Chine notamment, où le pétrole est raffiné et réexporté vers l'Europe). Le tout compose une source croissante de risques de collisions et de déversement d’hydrocarbures. C'est sur cette problématique que semblent désormais se polariser les Vingt-Sept.

Si 46 pays et l'Union européenne ont signé l'appel à agir contre la « flotte fantôme », lancé par Londres en juillet au sommet de la Communauté politique européenne (CPE), empêcher les navires fantômes de pénétrer dans les eaux territoriales ou les zones économiques exclusives (ZEE) reste un défi.

Le parlement européen vient d’adopter un projet de résolution appelant les 27 États membres de l'UE à renforcer les inspections et les contrôles à l'aide de drones et de satellites, de sanctionner tout navire naviguant dans les eaux européennes sans être dûment assuré, d’interdire tout STS dans les eaux européennes. Il est aussi question de désigner des ports capables d'accueillir les navires sanctionnés transportant du pétrole brut et du GNL et de saisir les cargaisons illégales « sans compensation ». Les eurodéputés ont également appelé à une interdiction totale de toutes les importations de combustibles fossiles russes, y compris le gaz naturel liquéfié (GNL).

Changement de paradigme

« Il ne s'agit pas seulement de sécurité maritime, mais aussi d'environnement », a expliqué Apostolos Tzitzikostas, commissaire européen aux transports désigné, lorsqu'il a été interrogé sur la flotte noire lors de son audition de confirmation. « Si nous avons un accident, nous devrons faire face à de véritables problèmes. C'est pourquoi j'insisterai pour que la preuve de l'assurance maritime soit obligatoire, afin que nous puissions mettre en évidence les navires suspects », a-t-il déclaré au Parlement européen, appréhendant le problème sous l'angle de la sécurit et non plus des seules considérations énergétiques. Ce qui signifierait un changement d'approche.

« Les navires qui participent au commerce du pétrole russe et qui ne respectent pas les sanctions du G7/UE, qui n'ont pas d'assurance connue ou d'assurance équivalente à P&I et qui sont détenus ou exploités par des sociétés de pays qui ne respectent pas les sanctions, représentent une menace importante pour l'environnement et la sécurité de la navigation le long des côtes européennes et au-delà », abonde Sotiris Raptis, secrétaire général de l'Association des armateurs de la Communauté européenne (European Community Shipowners Association, ECSA).

La résolution commune n’étant pas juridiquement contraignante, il reste à la nouvelle Commission de reprendre ou pas certaines demandes dans la prochaine série de mesures de sanction (la 15e).

Un bataillon de 889 pétroliers

S&P Global Commodities at Sea recense 889 pétroliers de plus de 27 000 tpl susceptibles d'avoir été employés pour transporter le pétrole sanctionné. Avec une capacité consolidée de 111,6 Mtpl, la flotte fantôme représenterait environ 17 % de la flotte mondiale de pétroliers. Celle contrôlée par des intérêts russes est estimée à 586 navires et 57,1 Mtpl (loin devant l’Iran avec ses 155 navires et une capacité de 35,7Mtpl).

Les exportations maritimes de pétrole brut et de produits de la Russie ont augmenté d'environ 5 % pour atteindre 6,3 millions de barils par jour depuis le début de l'année 2022, lorsque le pays a envahi l'Ukraine, il y a 1 000 jours.

Adeline Descamps

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