De l’agitation en amont avec des appels tous azimuts, émanant tant de l’industrie que des ONG environnementales et de certains pays comme la Chine qui a tenté de bloquer la taxe sur le carbone et l’engagement zéro carbone. Des réactions en aval, oscillant entre la satisfaction mesurée et la radicale déception, notamment des associations militant pour que l’accord de Paris sur le réchauffement climatique serve de fil directeur à la détermination des objectifs de décarbonation.
Entre les deux, deux semaines de marathon – cinq jours d’intenses pourpalers techniques (ISWG-GHG, groupe de travail intersession sur les gaz à effet de serre, dont les discussions servent de base aux décisions du MEPC) + cinq jours d’âpres négociations politiques pour définir la trajectoire de décarbonation des 25 prochaines années. À l’épicentre, le rôle de l’OMI dans l’histoire du climat.
Le Comité de la protection du milieu marin avait un ensemble de points à l’ordre du jour mais seuls deux d’entre eux ont focalisé les enjeux: mettre à jour la stratégie arbitrée en 2018, actuellement hors sol par rapport à l’accord sur le climat avec son objectif de ne réduire « que » de 50 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2008, et définir des « mesures à moyen terme » pour atteindre les objectifs révisés.
Sous ce jargon de l’OMI, il faut comprendre la tarification du carbone, dont la forme reste à déterminer mais dont le principe est plus ou moins acté, ainsi que tout ce qui peut inciter à l’usage des carburants verts, vertueux mais coûteux, dont il faut réduire l’écart de compétitivité avec les combustibles fossiles.
Le MEPC 80 ne partait pas dans les meilleures conditions au regard du texte de compromis assorti de réserves établi à l’issue du ISWG-GHG.
Sur la révision de la stratégie de 2018, il subsistait encore trois options possibles: émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) nulles « d’ici 2050 au plus tard », « d’ici le milieu du siècle ou aux alentours, en tenant compte des différentes circonstances nationales », « d’ici 2050 ou aux alentours, en tenant compte des différentes circonstances nationales ».
Pour les objectifs intermédiaires, en 2030 et 2040, le consensus s’est fixé sur au moins 20 % [s’efforcer d’atteindre 25 %] pour la première étape et au moins 70 % [s’efforcer d’atteindre 75 %] pour la seconde. Ces étapes, appelées dans le lexique créatif de l’OMI, des « points de contrôle intermédiaires » (sémantique qui crispe moins), pourraient s’avérer tout aussi déterminantes que l’objectif global de zéro émission nette car elles sont subordonnées à des mesures économiques et techniques qui n’ont pas été arbitrées et qui doivent l’être en 2025 pour entrer en vigueur en 2027, soit trois ans avant la première étape.
Quant à la norme stipulant un pourcentage de carburants alternatifs à introduire, le texte final évoquait « [au moins] 5 % [en s’efforçant d’atteindre 10 %] de l’énergie utilisée par le transport maritime international ». Les crochets étaient importants car le Comité devait valider ou amender.
Les États membres ont validé le principe du « zéro émission » de gaz à effet de serre générés par les navires à l’horizon 2050, avec une réduction d’au moins 20 % en valeur absolue des émissions en 2030, « en s’efforçant d’atteindre 30 % », et réduction d’au moins 70 % en 2040, « en s’efforçant d’atteindre 80 % ».
Pour que la transition débute le plus vite possible, la part des énergies et carburants zéro émission devra représenter 5 % du total utilisé par le transport maritime international en 2030, « s’efforçant d’atteindre 10 % ».
« L’adoption de la stratégie 2023 de l’OMI sur les gaz à effet de serre est un aboutissement monumental et ouvre un nouveau chapitre vers la décarbonation du secteur maritime. En même temps, ce n’est pas l’objectif final, c’est à bien des égards un point de départ pour le travail qui doit s’intensifier encore plus au cours des années et des décennies à venir. Toutefois, avec la stratégie révisée que vous avez approuvée, nous disposons d’une orientation claire, d’une vision commune et d’objectifs ambitieux pour nous guider dans la réalisation de ce que le monde attend de nous », a déclaré, à l’issue du MEPC, le secrétaire général sortant Kitack Lim qui espérait bien laisser un héritage de progrès avant de céder sa place en décembre.
Rien n’a en revanche vraiment été décidé concernant les mesures (techniques et économiques) pour permettre d’atteindre les objectifs de réduction, à savoir une norme sur les combustibles marins réglementant leur intensité carbone et un mécanisme de tarification des émissions carbone, quelle que soit sa forme. Ces points n’ont été évoqués que partiellement. Quand l’OMI décide ne rien décider, elle a pour habitude de renvoyer la question à la création d’un groupe de travail, lequel lancera une étude d’impact basé sur des scénarios.
La France a vu du succès à toutes les lignes. « Le MEPC s’est accordé pour sélectionner une mesure technique, à savoir une norme décroissante d’émission de gaz à effet de serre des carburants marins, et une mesure économique de tarification du carbone émis par les navires, que la France avait porté dans le cadre du Sommet pour un Nouveau pacte financier mondial et que le gouvernement souhaite voir être adoptée à l’horizon de la troisième Conférence des Nations unies pour les Océans, que la France accueillera en 2025 », a indiqué Matignon dans un communiqué, diffusé très rapidement après la clôture du MEPC le 7 juillet.
Les délégués français se satisfont également du calendrier convenu pour adopter les mesures permettant d’atteindre les objectifs, dont la date (2025) paraît bien tard pour se conformer aux premières injonctions de 2030.
L’ensemble de ces questions animera pas moins de cinq MEPC jusqu’à un comité extraordinaire prévu à l’automne 2025 qui doit valider le panier de mesures et la stratégie de décarbonation.
Il y avait un enjeu pour l’OMI: éviter une fragmentation et conserver son mandat de réglementation du transport maritime mondial alors que l’UE a déjà validé l’intégration du transport maritime dans son système d’échange de quotas d’émission et conclu un accord provisoire visant à fixer un objectif pour les carburants marins renouvelables à partir de 2034.